Tunisie : Quelle consultation pour quel peuple?
La consultation nationale annoncée par le président de la République Kais Saied devait s’ouvrir samedi 1er janvier 2022. Mais contre toute attente, il a été décidé de la reporter de deux semaines le temps d’expérimenter la plateforme électronique auprès d’un échantillon de jeunes choisis sur les volet par les bons soins des « organisateurs » et avec l’implication de quelques associations chargées de leur encadrement. On ne connait ni les critères de choix de ces jeunes, ni encore l’identité des associations, même si le ministre de la jeunesse et du sport a précisé, dans le JT de la Watanya Une, qu’il s’agit notamment de l’organisation des Scouts, notant au passage que 24 maisons de jeunes ont été mises à leur disposition, à raison d’une maison dans chaque gouvernorat.
De son côté, son collègue des technologies et de la communication n’a pas révélé le nom et l’identité de la société qui a réalisé la plate-forme numérique pour en mesurer la fiabilité et en savoir davantage sur son expérience dans le domaine.
Somme toute, à part quelques bribes distillées au compte-gouttes sur cette consultation, tout ou presque demeure dans la tête du chef de l’Etat qui est le seul à avoir le monopole de la parole publique.
L’objectif annoncé consiste, selon lui, à injecter davantage de « démocratie directe dans le système politique national ». La consultation électronique, un procédé singulier, portera sur une trentaine de questions réparties sur six axes : la politique et les élections, l’éducation et la culture, l’économie et la finance, le développement et la transition numérique, le social et la santé. Elle vise à recueillir les suggestions des Tunisiens sur les réformes proposées par le président Kaïs Saïed, et serviront ainsi de base à la mise en place de nouvelles réformes constitutionnelle dont l’amendement de la loi électorale et qui seront soumises à un référendum le 25 Juillet 2022.
« Ce mécanisme permettra de prendre connaissance des propositions du peuple, de ses attentes et de ses revendications… Nous ferons les réformes sur la base de la volonté du peuple et non de ceux qui l’ont escroqué », a-t-il souligné.
Problèmes techniques
Mais le processus préparé en catimini, pose de nombreux problèmes, d’ordre technique notamment.
Sur le plan technique, la Tunisie bien qu’elle ait été le premier pays arabe et africain à se connecter à Internet en 1991, les infrastructures de base n’ont pas connu le développement nécessaire. Elle demeure à la traine au niveau du haut débit fixe, et occupe la 157e place sur un total de 181 pays. Elle est devancée par le Maroc, qui se positionne à la 132e place et la Libye (137), ainsi que l’Algérie (144), et ce, selon le classement mensuel Speedtest global index pour le mois de novembre 2021. Pire encore, la Tunisie est classée 171e à l’échelle mondiale au niveau du réseau filaire avec l’ADSL, malgré le déploiement de la fibre optique par les opérateurs de télécommunication.
En plus, l’accès à Internet n’est pas également réparti sur tout le territoire national. La proportion des ménages connectés au réseau dépasse à peine les 50%, (51,5%), selon un rapport de l’Institut national de la statistique(INS) publié en 2019. Sans compter, bien entendu, le taux d’analphabétisme qui demeure élevé chez les personnes âgées et dans certaines régions du pays.
Le nombre de personnes analphabètes en Tunisie s'établit, en effet, à plus d’un million 742 mille personnes, sur une population de 11 millions 700 mille habitants, selon le recensement général de la Population et de l'Habitat réalisé par l’INS en 2018.
Sur le plan approche, la consultation dite nationale semble avoir été concoctée dans « des chambres noires », pour reprendre une expression chère au chef de l’Etat. On ne sait que peu ou prou sur ses objectifs, mais rien sur l’équipe qui l’a préparée. Ni sur la commission qui va procéder au dépouillement et au recensement des votes, ni celle qui va traiter les conclusions et élaborer les projets de réformes.
Inquiétudes et appréhensions
La consultation suscite inquiétudes et appréhensions. L’on se demande déjà si elle va être ouverte à tous. Même si l’on promet que l’anonymat sera garanti, pour s’inscrire, les participants devront toutefois envoyer par SMS leur numéro de carte d’identité, pour éviter des infiltrations étrangères ou des doubles participations. Ils recevront ensuite un code secret leur permettant d’entrer sur la plateforme. L’Instance nationale de protection des données personnelles qui n’a pas été consultée, s’interroge sur le respect ou non de cet anonymat.
Et puis le président n’a-t-il pas insisté que le dialogue ne se fera qu’avec « les gens honnêtes et constants », selon ses propres critères, bien entendu.
Ce genre de consultation, peu pratiquée dans les pays développés peut s’avérer trompeuse « si les citoyens sont de fait évincés, ou du moins poser problème en terme de représentativité ».
C’est pourquoi, il serait naïf de croire que cette consultation, qui n’a pas été précédée par un dialogue ouvert à toutes les composantes de la société, ne virerait en un plébiscite pour l’Homme du 25 Juillet 2021 et ne serait utilisée à d’autres fins par son auteur, pour imposer son projet aux Tunisiens.
B.O
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