Tunisie: Un premier Mai sur fond de tensions et de dérive autoritaire

Tunisie: Un premier Mai sur fond de tensions et de dérive autoritaire

Par Brahim Oueslati

Le 1er mai est, différemment, fêté partout dans le monde. Processions, défilés syndicaux, manifestations houleuses, joutes oratoires, le tout pour célébrer une date symbole qui marque, en fait, l’attachement des travailleurs à leurs droits acquis et leurs aspirations à des lendemains meilleurs. Il faut remonter à 1886 pour connaître les origines de cette journée quand plus de 400.000 ouvriers américains descendirent dans les rues de Chicago pour revendiquer la journée des «trois huit : huit heures de travail, huit heures de loisirs et huit heures de repos ». La manifestation a été durement réprimée causant des morts dont sept policiers et des blessés et entraînant l’arrestation et la condamnation à la peine capitale de huit militants. Depuis, cette date est commémorée comme la fête du travail et décrétée fériée chômée dans pratiquement tous les pays du monde.

 Trois ans plus tard, le congrès de la 2ème Internationale socialiste réuni à Paris pour le centenaire de la Révolution française, décide de faire du 1er mai « une journée internationale des travailleurs ».

« Dès 1890, les manifestants arborent un triangle rouge symbolisant leur triple revendication : 8 heures de travail, 8 heures de sommeil, 8 heures de loisirs. Cette marque est progressivement remplacée par une fleur d'églantine, en 1891, lorsqu'une manifestation à Fourmies, dans le nord de la France dégénère, les forces de l'ordre tirant sur la foule. Ce jour-là, une jeune femme portant une églantine est tuée. Cette fleur devient le symbole du 1er mai ».

Un dialogue rarement rompu

En Tunisie, la fête du travail est, depuis les premières années de l’indépendance, devenue à quelques rares exceptions près, la fête de la concorde sociale. Elle est célébrée, chaque année, sous le haut patronage du président de la République, en présence de tous les partenaires sociaux. C’est l’occasion d’honorer les travailleurs et les entreprises qui se sont distingués au cours de leur carrière par leur abnégation au profit de la communauté. C’est aussi l’occasion d’annoncer des mesures visant l’amélioration du pouvoir d’achat. C’est enfin, l’occasion de rendre hommage à toutes les parties prenantes pour le rôle qu’elles ne cessent de jouer dans le renforcement et la consolidation de la paix sociale. Ce qui a permis à l’action syndicale de s’épanouir et de s’exercer pleinement dans une atmosphère où le dialogue social n’a été que rarement rompu et où le consensus a, souvent, été la règle. Le but étant de réaliser la complémentarité entre la dimension économique et la dimension sociale par la préservation des droits fondamentaux des citoyens et la revalorisation constante des salaires.

Malaise profond

Cette année, elle est fêtée sur fond de malaise profond et de tensions politiques et sociales. Depuis le 25 Juillet 2021 et l’annonce des mesures exceptionnelles, le président de la République Kais Saied est le seul maitre à bord et s’impose comme étant l’unique « maitre des horloges ». S’appropriant tous les pouvoirs, au « nom du peuple », sa dérive personnelle du pouvoir inquiète tout le monde, la société civile, les partis politiques et la communauté internationale. Même ceux qui ont « dansé », pour utiliser un terme qui lui est propre, en cette soirée du 25 Juillet, ont fini par désespérer de lui. En rupture avec la démocratie participative et avec le dialogue classique, il veut imposer son agenda, faisant fi de tous les appels de l’intérieur comme de l’extérieur du pays de la part des partenaires traditionnels de la Tunisie. L’UGTT qui s’était rangée dès le départ derrière les mesures du 25 juillet et qui continue de prôner un dialogue inclusif, l’a vérifié à ses dépens.  Même le dialogue national de 2013 initié par le Quartet, venu consacrer une approche typiquement tunisienne qui a réussi, contre vent et marée, à sauver le pays d’une dérive annoncée, et qui a valu à notre pays le Prix Nobel de la paix, n’était, selon lui « ni dialogue ni national ».

Le gouvernement formé par lui et dont les membres lui sont « soumis » se trouve en maque d’arguments pour apporter des réponses aux revendications sociales et aux attentes de l’ensemble des Tunisiens. Najla Bouden, dont la nomination à la primature a été pourtant bien accueillie, fait l’objet de moqueries et certains n’hésitent pas à verser leur bile sur elle allant jusqu’à la qualifier de « pauvre » en raison de son inaction et de son silence.

Les discussions avec le Fonds monétaire international ( FMI) n’avancent pas. Le pays, qui souffre d’une inflation de plus de 7 % et d’un endettement de plus de 100 % de son PIB, d’une croissance faible (moins de 3 %) et d’un chômage élevé (plus de 18 %) est au bord de l’asphyxie financière.

Pour l’Institution monétaire « la Tunisie fait face à des défis structurels majeurs qui se manifestent à travers des déséquilibres macroéconomiques profonds, une croissance très faible malgré son fort potentiel, un taux de chômage trop élevé, un investissement trop faible, et des inégalité sociales. A ces défis structurels s’ajoutent aujourd’hui l’impact de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine ». Elle conditionne son accord à l’engagement ferme de notre pays à entamer des réformes douloureuses avec l’aval de la centrale syndicale. Or, la centrale syndicale tunisienne a fait savoir son rejet pour ce genre de réforme mettant en garde le gouvernement contre toute tentative d’un passage en force.

Pendant ce temps, le président Kais Saied qui se prend pour le « Messie » qui va sauver le pays de la dérive, le débarrasser des malfrats et des pillards de ses richesses, avant de le remettre sur la bonne voie, continue de s’isoler et d’isoler le pays. Le bon peuple qui a vibré comme un carillon aux annonces des mesures exceptionnelles, risque de se trouver encore une fois abusé et de se réveiller demain sur une dure réalité : un pays à genoux.

B.O

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