Tunisie: Une situation explosive à El Amra entre habitants et migrants
Des milliers de Subsahariens affluent dans cette petite ville de Tunisie, au bord de la Méditerranée.
Magasins, douches, coiffeurs, terrains de foot et tentes fabriqués de bric et de broc. À El Amra, à 30 km au nord de Sfax, les champs d’oliviers ressemblent dorénavant à des camps de migrants bien établis. Selon les activistes, entre 20.000 et 30.000 Subsahariens attendraient ici des conditions favorables pour traverser la Méditerranée. Un chiffre important pour cette localité agricole qui compte elle-même 30.000 habitants. Ces derniers supportent de plus en plus difficilement cette présence.
Les premiers migrants se sont installés en septembre. Ce sont des bus, affrétés par les autorités, qui ont déposé ces personnes qui campaient depuis la fin du printemps 2023 dans le centre-ville de Sfax, capitale économique de la Tunisie. Quelques mois plus tôt, en février 2023, le président Kaïs Saïed s’était fendu d’un communiqué évoquant «un arrangement criminel préparé depuis le début du siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie».
L’objectif serait de transformer « la Tunisie en un pays africain n’ayant aucune appartenance arabe et islamique. » Des mots qui ont profondément bouleversé la vie des migrants, qui, pour certains, vivaient de façon stable dans le pays. Nombreux sont ceux à avoir perdu leur travail et leur logement. Ils se sont réunis peu à peu vers Sfax, devenue le point de départ des bateaux vers l’Europe.
La Tunisie n’est désormais plus une terre d’accueil mais un lieu de passage. Pire, pour Romdhan ben Amor, porteparole du Forum tunisien des droits économiques et sociaux, une association locale qui suit le phénomène de migration, la Tunisie est devenue le «piège à migrants » de l’Europe. Des centaines de migrants entrent chaque jour dans le pays, par les frontières terrestres mais aussi par avion (de nombreuses nationalités africaines ont, comme les Européens, droit à un séjour de trois mois en Tunisie sans visa) pour tenter la traversée.
Seulement, les gardes maritimes tunisiens, poussés par l’Union européenne, font tout ce qu’ils peuvent pour empêcher ces départs. Au 15 avril, les arrivées en Italie avaient diminué de 50 % par rapport à la même période en 2023. Les migrants s’entassent sous les oliviers. Pour eux, le nom d’El Amra ne signifie rien. Les Subsahariens se basent sur les bornes kilométriques au bord des routes : on vit dans le camp du kilomètre 24, on se retrouve au kilomètre 25… Mais aujourd’hui, les Tunisiens souhaitent retrouver la situation d’avant.
Quelques manifestations ont été organisées, mais les solutions manquent. Un député a proposé de déplacer les migrants vers la cité sportive de Sfax qui n’en est qu’au stade de projet. L’élu n’a récolté que la colère des habitants, qui l’accusent de se contenter de déplacer le problème. Chadlya Salem, 60 ans, n’a pas de solution à proposer : « La politique c’est pour les élus. Je me contente d’appeler à l’aide le président KaÏs Saïed. » Elle n’en peut plus : « Tous les jours des migrants rentrent chez moi pour demander à manger, à boire, des vêtements. Je ne peux plus laisser sécher mon linge dehors, il est volé. » Comme beaucoup de ses voisins, la vieille dame a fait installer des barbelés pour clôturer son terrain, autrefois ouvert sur les oliveraies.
Cela n’a rien changé. «Je n’ose plus quitter la maison, j’ai peur des vols si je m’absente », explique celle qui se plaint également de la pollution et des odeurs, liées à l’absence de WC et de ramassage des ordures dans le champ d’oliviers voisin où se sont installés des dizaines de migrants. Hanen, une de ses voisines, est en colère : «Mes filles ne peuvent plus faire seules les 400 mètres qui séparent notre maison de l’arrêt de bus pour aller à l’école. Elles ont été menacées ! » On nous tire la manche pour nous emmener vers le cimetière du coin.
Un Subsaharien est en train de s’y habiller après avoir pris une douche. « Ils ont forcé le local du matériel. Ils s’en servent de toilettes ! », s’agace un habitant. Un groupe se forme et la colère monte. Une femme assure qu’un migrant lui aurait dit que les Arabes, comme elle, pour 25 dinars (7,40 euros) par jour quand un Tunisien demande au minimum 50 dinars (14,80 euros). « Cela a posé des problèmes, car beaucoup de Tunisiens attendent la récolte des olives pour gagner un peu d’argent», explique Hachmi Mselmi, président de l’Union locale de l’agriculture et de la pêche.
Dans les champs d’oliviers, des migrants ont ouvert des petites épiceries alimentées par des Tunisiens. « On y trouve du pain toute la journée alors qu’à El Amra, on ne trouve plus de pain deux heures après l’ouverture des boulangeries », explique Hachmi Mselmi. La farine, le couscous, les fruits et légumes y sont vendus plus cher qu’en ville, mais les migrants n’ont pas à se déplacer. «Quitter le camp, c’est prendre des risques, explique Mamouna, une Malienne de 24 ans. La police nous fait peur. Elle nous arrête, nous envoie dans le désert aux frontières algérienne ou libyenne. Parfois, ils viennent dans les camps et brûlent les tentes. Ils prennent toutes nos affaires. »
La jeune femme est en Tunisie depuis plus de deux ans. Elle a travaillé à Tunis puis à Sfax comme femme de ménage avant d’être renvoyée de son travail et de son logement suite au discours de Kaïs Saïed en février 2023. Depuis sept mois, elle vit dans ce camp et vend de vieux poulets sans plumes qu’elle achète à un Tunisien qui la livre, au milieu du camp, en camion.
Le soir, l’ambiance change. Des pick-up, flambant neufs, prennent les rues d’El Amra pour des scènes de rodéo. « Ce sont des trafiquants. Ils font les malins car, rien qu’en accompagnant les migrants jusqu’à la plage sur leur pick-up, ils gagnent 3 000 dinars (890,90 euros). Ils font travailler des petits jeunes à moto comme informateurs pour savoir où est la garde nationale. C’est de l’argent facile, mais on a beaucoup d’enfants en prison à cause de ça», explique un journaliste local.
Depuis une dizaine de jours, des raids ont lieu dans les camps d’El Amra. La garde nationale détruit les tentes. Mais les migrants reviennent s’installer dans ces champs. À Tunis, devant l’Organisation internationale pour les migrations et l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, deux camps ont été démantelés le 3 mai. Kaïs Saïed s’en est pris lundi à ces deux institutions onusiennes, affirmant qu’elles n’avaient rien fait pour les migrants à part des communiqués.
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