Tunisie, Youssef Chahed : « j’y suis, j’y reste »
Le ton grave, le visage crispé, le Chef du gouvernement Youssef Chahed a beau donner une image positive de son action depuis qu’il a accédé à la Kasbah depuis août 2016, il n’en demeure pas que le tableau qu’il brosse de la situation dans le pays n’est pas très reluisant.
Dans son interview diffusée vendredi soir sur la chaine Attessiaa TV, il a tenté pendant 55 minutes de prouver que les difficultés sont derrière nous et que l’année 2019 verra une amélioration des indicateurs qui laissent penser que le pays est dans la bonne direction sur les plans économique et social particulièrement.
Il en a donné pour preuve la réduction du déficit budgétaire ce qui aura pour conséquence d’abaisser le taux de l’inflation et de stopper la chute vertigineuse de la monnaie nationale. La loi des finances pour 2019 qui n’a prévu aucune taxe supplémentaire s’inscrit dans ce souci.
Dans ce cadre il s’est inscrit en faux contre les affirmations selon lesquelles le gouvernement a favorisé des lobbies en annulant des taxes imposées aux grandes surfaces. Il ne s’agit que d’un report puisque ces entreprises sont taxées à hauteur de 25%. L’augmentation à 35% a été ajournée pour éviter que la spirale inflationniste ne s’emballe alors que l’on veut la freiner.
Sans occulter les problèmes auxquels son gouvernement fait face, il s’est évertué à montrer, contrairement à ce qu’on prétend, qu’il a une vision pour le pays et qu’il est en train de la mettre en œuvre. Une vision qui s’articule autour de la sollicitude envers les couches démunies, de la priorité accordée à la santé et à l’éducation publiques, de l’intérêt prononcé pour préserver le pouvoir d’achat et combattre la spéculation entre autres.
Pour lui l’année qui va commencer sera meilleure puisqu’y seront lancés de grands projets structurants parmi lesquels il a cité le port en eaux profondes d’Enfidha, le pont de Bizerte, l’autoroute Tunis-Jelma, les nouveaux quais du Port de Radès ainsi que les centrales de l’énergie solaire d’une capacité de mille mégawatts. Le champ pétrolier Nawara dans le sud entrera en production ce qui permettra de réduire le déficit énergétique du pays.
Le modèle de développement en application depuis l’indépendance a atteint ses limites et ne doit-on pas le changer ? Youssef Chahed rejette une telle assertion en rappelant les avancées réalisées sous l’empire de ce modèle qu’il importe de consolider.
Sur le plan social, la question qui lui a été posée concernant la satisfaction des revendications de l’UGTT pour des majorations salariales en faveur de la fonction publique à l’image de ce qui a été consenti au secteur privé et aux établissements publics, Youssef Chahed a tenté de l’éluder tout en donnant implicitement raison à la centrale syndicale de déclencher une grève à cette fin.
Il s’est dit néanmoins disposé à œuvrer à trouver une solution qui tienne compte à la fois des doléances des fonctionnaires et des équilibres des finances publiques. A aucun mot il n’a avancé l’argument selon lequel les engagements pris avec le FMI lui interdisent d’envisager la satisfaction de ces revendications, tout en soulignant que lorsque cette institution est appelée à la rescousse, c’est que la situation n’est pas bonne.
C’est sur le plan politique que le chef du gouvernement a été plutôt peu prolixe et plutôt réservé. Contre toute évidence, il a nié que ses rapports sont tendus avec le président de la République. Il a d’ailleurs ménagé ce dernier dont il a rappelé le rôle. Tout au plus, a-t-il admis qu’ils ont « changé » depuis sa déclaration dans une interview antérieure que le directeur exécutif de Nidaa Tounés , Hafedh Caïd Essebsi a « démoli » ce parti, ce qui lui a valu de voir son adhésion gelée.
« Nidaa, quel Nidaa » s’est-il interrogé. Le Nidaa le projet fédérateur ça n’existe plus, a-t-il dit en se montrant sceptique que le congrès de celui-ci annoncé depuis belle lurette ait jamais lieu un jour. Il a pointé un doigt accusateur contre la direction du Nidaa qui cherche à couvrir les corrompus, a-t-il dit.
Se défendant de diriger un gouvernement d’Ennahdha, il a déclaré que ce n’est pas lui qui ait intégré ce parti au gouvernement. C’est le président de la République qui l’a fait dans le cadre du Pacte de Carthage et ce parti est représenté au gouvernement bien en deçà de son poids au Parlement, a-t-il souligné.
« Tout le monde sait que j’appartiens à une famille destourienne puisque mon grand oncle est Hassib Ben Ammar qui fut directeur du Parti socialiste destourien », a-t-il tenu à dire avec véhémence. « Je suis aussi un démocrate et j’appelle la famille démocratique et progressiste, les destouriens et les indépendants à se rassembler pour faire partie de la nouvelle dynamique qui se dessine en vue d’assurer l’équilibre de la scène politique ».
La rupture avec Nidaa est consommée mais le projet politique dont il dessine les contours ressemble à ce parti comme deux gouttes d’eau. Car même s’il ne le dit pas clairement le parti qu’il compte lancer reprendra la même configuration.
Envisage-t-il de se présenter aux prochaines élections ? lui demande-t-on à la fin. Sans dire que la question ne l’a jamais effleuré, il s’est dit plutôt préoccupé par les problèmes des Tunisiens. Mais il ne l’a pas exclu, comme quoi à chaque jour suffit sa peine.
Cependant il parait déterminé à aller jusqu’au terme de la législature puisqu’il a déclaré clairement qu’il mènera le gouvernement jusqu’aux élections présidentielle et législatives prévues au dernier trimestre 2019 dont il veut qu’elles soient démocratiques, libres et transparentes.
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