Une monnaie unique des BRICS impliquera un nouvel ordre monétaire et économique mondial
Par Habiba Nasraoui Ben Mrad
La montée en puissance de l’économie Chinoise, l’expansion des BRICS, et le durcissement des sanctions contre la Russie, commandent une réflexion approfondie quant à l’avenir du dollar en tant que monnaie de réserve et quant au devenir du système monétaire international. Notre discussion, s’organisera autour de quatre axes.
AXE I Les pays BRICS : Histoire, poids économique et perspectives
1) Histoire des BRICS Comment le groupe des Brics a-t-il été créé ?
En 2001, un économiste de la banque d'investissement Goldman Sachs, Jim O'Neill, a créé l'acronyme "Bric" pour Brésil, Russie, Inde et Chine. raison de leur croissance économique rapide, de leur population massive et de leurs vastes ressources, M. O'Neill considérait le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud comme des puissances économiques du XXIe siècle. Il s'agit d'importantes économies montantes
Il s'agit de grands pays à revenu intermédiaire dont l'économie connaissait une croissance rapide à l'époque. Il a prédit qu'ils pourraient devenir les premières économies mondiales d'ici 2050.
En 2006, les quatre pays ont décidé de s'unir pour former le groupe BRIC. Le groupe compte au départ quatre pays faisant partie des dix premières puissances économiques mondiales : Brésil, Russie, Inde et enfin la Chine. il s’agissait d’une association de superpuissances économiques émergentes. L’adhésion de l’Afrique du Sud s’explique par le fait qu’elle représentait l’une des principales économies d’Afrique, et répondant au besoin géostratégique de s’étendre au continent Africain.
II) Objectifs des BRICS
Face à l’hégémonie des puissances occidentales, et à travers notamment la consolidation du poids du Yuan, dans le système monétaire international, les BRICS recherchent une plus grande représentativité des économies émergentes auprès des instances internationales, dans le but de constituer une nouvelle force économique et géopolitique, capable de réformer ces institutions et d’instaurer plus d’équité entre les pays du Nord et les pays du Sud . Cet objectif a été formulé explicitement par les dirigeants des pays membres des BRICS, lors de leur 15e sommet 2023, qui s’est déroulé du 22 au 24 Août à Johannesburg en Afrique du Sud.
Les BRICS cherchent également à atteindre plusieurs autres objectifs dont :
-Jouer un rôle politique plus important, à l’échelle international et réformer le système de gouvernance mondiale
- Instaurer un ordre mondial multipolaire, plus inclusif et plus égalitaire.
-Promouvoir la coopération commerciale et économique entre ses pays membres. Des initiatives, telles que le Conseil des affaires des BRICS, sont utilisées pour attirer les investissements, réduire les barrières commerciales et développer les liens économiques
-promouvoir l'échange technologique et des connaissances, en développant la collaboration internationale dans les domaines de la science, de la technologie et de l'innovation
-Renforcer leur position sur les marchés des capitaux internationaux, et la place notamment du Yuan dans le système monétaire international. C’est ainsi qu’en 2014, les BRICS ont créé d’une part la Nouvelle banque de développement (NBD), dotée de 250 milliards de dollars, afin de prêter aux pays émergents de l'argent pour financer des projets d'infrastructure et de développement dans les pays membres. basée à Shanghai, capitale économique de la Chine, cette dernière jouera un rôle proche de celui de la Banque Mondiale ; et d’autre part l'Arrangement sur les réserves contingentes (CRA) pour le développement économique et la stabilité financière, dont le rôle se rapprocherait de celui du FMI.
III) Le poids des BRICS dans le monde : quinze ans après leur premier sommet, que pèsent les BRICS à l’échelle mondiale ?
Les pays des BRICS, constituent un véritable contre-pouvoir aux puissances économiques occidentales dominantes. Ils représentent en effet 42% de la population mondiale avec 3,24 milliards d'habitants. et leurs revenus nationaux totalisent 26 billions de dollars, soit 26 % de l'économie mondiale. Pourtant les BRICS sont injustement représentés au sein des Institutions Internationales des Nations Unies car ne disposent que de 15 % des droits de vote au sein de la principale institution financière des Nations Unies, le Fonds monétaire international (FMI), ce qui reflète très peu leur poids économique et démographique.
Constatant que "nous nous dirigeons vers un monde multipolaire", le chef de l'ONU Antonio Guterres a appelé à une refonte d'institutions multilatérales "dépassées", qui doivent être le reflet des "réalités économiques d'aujourd'hui".
IV) Futures dynamiques au sein des BRICS
"On a l'impression que l'équilibre des pouvoirs s'éloigne de l'Occident et que de plus en plus de pays en développement se tournent vers des puissances montantes comme les pays du BRICS", Xi Jinping, le président chinois, , qui a salué "un élargissement historique" et prédit un "avenir radieux pour les BRICS".
22 pays avaient en effet officiellement manifesté leur volonté de rejoindre le groupe des BRICS, lors du dernier sommet, ce qui confirme l'influence grandissante des pays émergents sur la scène mondiale.
Il s'agit de l'Algérie, l'Argentine, le Bahreïn, le Bangladesh, la Biélorussie, la Bolivie, Cuba, l'Égypte, le Honduras, l’Indonésie, l'Iran, le Kazakhstan, le Koweït, le Nigeria, la Palestine, l'Arabie saoudite, la Serbie, le Sénégal, la Thaïlande, les Émirats arabes unis, le Venezuela et le Viêt Nam.
Notons que 22 autres pays ont également exprimé leur intérêt pour rejoindre le groupe des BRICS, ce qui fait au total 44 pays intéressés par l’intégration à ce groupe.
Nous savons que 6 pays, ont été officiellement intégrés, à savoir, l’Egypte, l’Éthiopie, les Emirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite, l’Iran et l’Argentine. Avec le désistement de l’Argentine , pourtant en proie à une inflation étouffante et criblée d’une dette de 44 milliards de dollars à rembourser au FMI, le groupe constitué désormais, depuis le 1er Janvier de 10 pays s’appellera BRIC+.
Les nouvelles adhésions loin d’être fondées sur des critères économiques notamment l’Egypte , l’Ethiopie, l’Argentine et l’Iran, commandent une réflexion plutôt géopolitique et des considérations d’implantation sur tous les continents.
L’adhésion interpellante de l'Iran, pourtant en rupture diplomatique avec Washington, a certainement été appuyée par la Russie dont le commerce dépend fortement de la mer Noire . Cette adhésion peut être considérée comme un « succès stratégique » pour l’Iran , un succès également de la diplomatie Chinoise.
L’adhésion les deux ennemis du golfe Persique, l’Iran et de l’Arabie Saoudite, en même temps défend également un succès diplomatique, de la chine qui a su mettre en échec les tensions géopolitiques dans la région.
Par ailleurs, l’Arabie Saoudite l’Iran, et les Émirats arabes unis, représentent des puissances économiques redoutables, car hautement stratégiques par leur poids sur le marché mondial du pétrole.
L’intensification du conflit Russie-Ukraine, le durcissement des sanctions contre la Russie a amené les dirigeants du groupe BRICS lors du dernier sommet à Johannesburg à confirmer leur position "non-alignée", et à se constituer en contre-pouvoir géopolitique face à l’OTAN et aux USA et leurs alliés, le Japon, l’Australie, le Canada, l’UE, la Nouvelle Zélande et le Royaume Uni.
V) Les BRICS passent de 5 à 10 membres et deviennent les BRICS+ : Les BRICS+ face au G7, un nouvel ordre mondial ?
En passant de 5 à 10 membres, les pays BRICS, deviennent la première force économique mondiale, avec plus de 28 % du PIB mondial et 45,6 % de la population mondiale, donc un marché à l’exportation et des débouchés très attractif.
Toutefois, un critère infaillible de mesure du progrès social, à savoir les niveaux de vie restent largement inférieurs à ceux des pays développés. Nous pouvons également remarquer de fortes disparités, entre la Russie (plus de 15 000 dollars par an et par habitant) et l’Inde (moins de 2 500), en plus des inégalités croissantes et creusées davantage, par le processus d’émergence. L’adhésion de pays tels l’Arabie Saoudite ou les Emirats Arabes Unies, dont le PIB/habitant dépasse les 40000 $/an, semble œuvrer en faveur d’un plus grand rééquilibrage, pour ce dernier critère. Une autre caractéristique des BRICS est la position dominante de la Chine dont le PIB représente environ les deux tiers du PIB en PPA des BRICS). Malgré cette hétérogénéité, les États des BRICS partagent un même objectif essentiel, et prônent un nouvel ordre mondial et un monde multipolaire, équilibré, juste et égalitaire ; où le pôle Sud Global aura son mot à dire tout autant que le Nord. Or ce réajustement et ce rééquilibrage ne serait possible que par l’émergence d’un contrepouvoir économique, militaire et technologique, au G7 qui domine les relations géoéconomiques.
L’expansion des BRICS en 2023 semble leur donner l’arme nécessaire pour réaliser ce rééquilibrage , 6 pays du bloc sont effet membres du groupe puissant G20, ajouté à cela avec l’adhésion des nouveaux membres les BRICS, auront le contrôle de près de la moitié de la production mondiale d’énergies fossiles, puisque trois des dix premiers producteurs mondiaux de pétrole, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et l’Iran, en plus de la Russie qui occupe en 2023 le 2e rang mondial.
Notons que l’alliances des BRICS n’implique pas d'accords de libre-échanges ou de réductions des barrières douanières entre les pays membres.
VI) Sommets du groupe des BRICS
Nous ne dresserons pas une liste exhaustive de tous les sommets, nous nous limiterons aux plus importants, qui ont enregistré des faits marquants au profit du bloc
Le premier sommet des quatre pays BRIC a lieu le 16 juin 2009 à Iekaterinbourg, en Russie.
Le troisième sommet a lieu Le 14 avril 2011, en Chine. Ce sommet des BRICS, marque l'adhésion officielle de l'Afrique du Sud, et donc l’ouverture sur le nouveau continent Africain, objet de toutes les convoitises.
Le cinquième sommet des pays BRICS a lieu le 28 mars 2013 en Afrique du Sud. À la suite duquel, la Chine lance en septembre 2013 son initiative BRI (Belt and Road Initiative), Nouvelle route de la soie.
le septième sommet des pays du BRICS En 2015, s’est déroulé en Russie, et a marqué la création de la Nouvelle banque de développement (NDB), avec son nouveau siège établi à Shanghai, institution conçue comme une alternative à la Banque mondiale
Le 15e sommet des BRICS s’est tenu du 22 au 24 août 2023 à Johannesburg en Afrique du Sud. Les pays membres se sont accordés sur l’adhésion de six pays à savoir l'Argentine, l'Iran, l'Égypte, l'Éthiopie, l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis qui ont rejoint le groupe le 1er janvier 2024, à l’exception de l’Argentine qui a désisté. En plus d’accueillir le sommet de 2024 de BRICS+, à Kazan la Russie, présidera le groupe pour l’année 2024
VII) Les Institutions financières du groupe BRICS
Les pays BRICS ne manqueront pas de créer leurs propres institutions financières à l’instar de la Banque Mondiale et du FMI, dans le but d’exprimer leur souveraineté monétaire. Il s’agit de la Nouvelle Banque de Développement, qui est dotée d'un capital de 50 milliards de dollars qui doit être porté à 100 milliards de dollars dans deux ans. Elle peut accorder jusqu'à 350 milliards de prêts pour financer des projets d'infrastructures, de santé, d'éducation. Mais à la différence du FMI , la NBD n’assortit pas ses prêts de conditions contraignantes..
Le fonds de réserve est doté de 100 milliards de dollars destinés à financer les déficits de la balance des paiements, à l’instar du FMI. La Chine, y contribue pour 41 milliards de dollars, l'Inde, le Brésil et la Russie pour 18 milliards de dollars chacun, et enfin 'Afrique du Sud pour 10 milliards de dollars.
VIII) Le poids grandissant des BRICS
Le poids grandissant des BRICS dans l'économie mondiale, se confirme de plus en plus ces dernières années. Les BRICS deviennent en 2023 la première puissance économique mondiale, devant le G7 (FMI).
La part des BRICS, propulsée par la Chine, dans le PIB mondial (calculée en parité de pouvoir d'achat) est en effet passée de 20 % en 2003 à 32 % en 2023, alors que la part des pays du G7 est tombée de 42 % à 30 %.
AXE II La « dédollarisation » de l'économie mondiale est en marche.
I) Qu’est-ce que la dédollarisation ?
La dédollarisation exprime à la volonté de plusieurs pays, la Russie et la Chine, de créer une nouvelle monnaie alternative au dollar, dans le but, de réduire leurs échanges internationaux en dollars, et donc de limiter l’hégémonie du dollar et aboutir à un nouvel ordre monétaire mondial multipolaire, où régneraient plusieurs autres monnaies
La dédollarisation est utilisé pour signifier le processus par lequel un pays réduit sa dépendance envers le dollar américain, dans ses transactions internationales
Ce processus de substitution peut prendre plusieurs formes, la réduction des réserves de devises en dollars, l'encouragement à l'utilisation de la monnaie locale pour les transactions commerciales et financières, ou l'établissement de pactes commerciaux bilatéraux qui utilisent d'autres devises que le dollar pour le règlement des transactions.
II) Processus de substitution du dollar
1) Dédollarisation : évolution des réserves de change des banques centrales
Une monnaie ne peut prétendre l’internationalisation que si elle constitue une monnaie de réserve internationale, un moyen de règlement international pour les échanges commerciaux et financiers, et une réserve de change et sur le marché des changes. Depuis la création de l'euro en 1999, la part du dollar dans les réserves des banques centrales a fortement baissé pour passer de 71,5% à 58,9 % en 2023, et en général, la structure des réserves devient de plus en plus variée. Ce qui témoigne de l’émergence d’autres monnaies comme réserve internationale.
2) Une harmonie entre dédollarisation et la politique monétaire offensive de la Chine
a) Le rôle du yuan dans la conquête africaine
Entre 2000 et 2020 la Chine est passée de principal partenaire commercial de quelques pays africains : le Soudan, la Gambie, le Bénin et Djibouti, au statut de plus grand partenaire commercial bilatéral de l’Afrique, avec un commerce total de 200 milliards$ en 2019. En contribuant à plus de 40% aux financements des projets d’infrastructure, de grande envergure, la Chine devient également le premier investisseur étranger en Afrique. Cette extension se traduira certainement par une plus grande utilisation du Yuan en tant que moyen de règlement international et monnaie de réserve international, favorable au développement d’un marché de crédits libellés en Yuan.
b-Internationaliser le Yuan
Depuis plusieurs années, la Chine a entrepris des efforts pour réduire sa dépendance à l'égard du dollar américain et promouvoir l'internationalisation de sa propre monnaie, le Yuan. Cette évolution, traduit davantage des choix géopolitiques que véritablement économiques, visant notamment une plus grande représentativité au sein des Institutions Internationales. Pour ce faire la Chine a mis en œuvre plusieurs initiatives :
-L'initiative « One Belt, One Road » Dans le cadre de cette initiative, la Chine finance des projets d'infrastructure dans de nombreux pays, souvent en utilisant le yuan. En renforçant des accords de coopération avec ces mêmes pays, la Chine garantit son approvisionnement en matières premières, qu’elle pourra régler en Yuans. Cette initiative chinoise, débutée en 2013 a pour but de renforcer les liaisons commerciales entre la Chine, l'Europe et l'Afrique grâce au développement d'infrastructures maritimes et ferroviaires. Depuis 2013, il est estimé que les Nouvelles routes de la soie, ont engendré des projets d'investissement d'une valeur de plus de 1 000 milliards. Au-delà de l’objectif commercial, un objectif géopolitique semble évident à travers cette initiative.
-La création d'institutions considérées comme des alternatives au FMI et à la Banque mondiale. La Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures créée en 2013 dont le siège est à Pékin et dont la Chine détient 26 % des droits de vote , et la Nouvelle banque de développement, créée en 2015, ayant son siège à Shanghai
-L’ intégration aux Droits de tirage spéciaux du FMI en 2016, après un véritable parcours du combattant signe la reconnaissance du Yuan dans son caractère international
-Mise en place des accords de swap de devises avec plus de 30 autres Banques Centrales, ce qui permet de se passer du dollar américain au profit du yuan dans les échanges commerciaux.
L'émission d'obligations libellées en yuans sur les marchés de capitaux internationaux. Au-delà de l’internationalisation du yuan, par l’extension du domaine d’intervention, cela permet à la chine d'emprunter à des conditions plus favorables.
L’émission de sa propre monnaie numérique de Banque Centrale (MNBC), à savoir le yuan numérique. Ce qui facilitera le développement d’un marché de crédit en Yuan Chinois
III) Des mesures et actions de plusieurs pays en faveur de la dédollarisation: Des signes révélateurs
1) La Dédollarisation “est irréversible”
En juin 1975, deux ans après le choc pétrolier, l’OPEP annonçait couper les liens avec le dollar américain et commencer à coter les prix en DTS. Cette opération était considérée comme une étape vers la dédollarisation du monde. Si à l’heure actuelle, 85% des transactions pétrolières sont effectuées en dollars, ainsi que 88% des transactions internationales (la BRI), l’expansion des BRICS, présage des changements imminents au cours des prochaines années.
L’idée d’une dédollarisation des échanges économiques entre les pays des BRICS “a été au cœur des débats du dernier sommet” des BRICS. Lors de son allocution, Vladimir Poutine était formel : « La dédollarisation est irréversible ». L’émergence d’un pétroyuan est aussi réelle puisque l’Arabie Saoudite premier exportateur mondial de pétrole devient membre des BRICS, et semble être prêt à conclure des contrats en Yuan Cninois
La dédollarisation peut également s’observer à travers le transfert par certains pays de leur commerce transfrontalier vers des monnaies locales.
La liste des pays mettant en œuvre des initiatives pour se dédollariser est de plus en plus longue : Russie, Inde, Argentine, Brésil, Arabie Saoudite, Égypte, Iran, etc. Notamment pour les échanges de matières premières.
Le 17 mars 2022, la Banque de Russie et la Banque populaire de Chine travaillaient à la connexion des systèmes de messagerie financière russe et chinois et au développement de schémas de transfert d'informations utilisant la blockchain, notamment le rouble numérique et le yuan numérique.
Le 31 mars 2022, l'Inde a proposé à la Russie le transfert du commerce vers le rouble et le SPFS.
En mai 2023, les pays membres de l'ASEAN ont exprimé leur volonté, de favoriser l’utilisation des monnaies locales pour les transactions transfrontalières régionales.
En 2013, lors du sommet des BRICS, le Brésil a conclu un accord avec la Chine pour échanger en real brésilien et en yuan chinois. Fin mars 2023, le Brésil et la Chine ont conclu un accord sur le commerce en yuan et annoncé la création d’une chambre de compensation commune.
Depuis 2011, la Chine réalise de moins en moins ses échanges en dollar américain au profit du yuan chinois . Au premier trimestre 2020, la part du dollar dans le commerce bilatéral entre la Chine et la Russie est passée pour la première fois sous la barre de 50 %.
En 2015, la Chine a lancé CIPS, China International Payments System, un système de paiement qui offre des services de compensation et de règlement à ses participants en yuan (renminbi) comme alternative à SWIFT
Depuis mars 2018, la Chine a commencé à acheter du pétrole en yuans adossés à l'or . Parmi les exemples , la Russie et l’Iran.
En 2017, SPFS, un équivalent russe du système de transfert financier SWIFT, a été développé par la Banque Centrale de Russie. En juin 2021, la Russie a annoncé qu'elle éliminerait le dollar de son Fonds national de richesse. Il convient de noter qu’en février 2022, les Occidentaux ont gelé les réserves de change de la Banque Centrale Russe à l’étranger. la Russie a, depuis, diversifié ses réserves de change.
Le 23 mars 2022, Vladimir Poutine a signé une ordonnance interdisant aux pays "non amis" (y compris les pays de l'UE, les États-Unis et le Japon ) d'acheter du gaz russe dans toute autre devise que le rouble russe. Ce qui aurait eu pour conséquence d’augmenter la valeur du Rouble sur le marché de change international.
En mars 2022, l'Arabie saoudite était en discussion avec la Chine au sujet de l'échange de pétrole et de gaz saoudiens en yuans chinois , et en décembre 2022, la conclusion du premier accord de crédit en yuan a été annoncée publiquement
Le Ghana, l’Afrique du Sud et le Nigeria, le Rwanda, utilisent déjà le yuan dans leurs réserves.
IV) Quelles sont les principales raisons de la dédollarisation
1) Le dollar américain : monnaie de réserve du monde entier et pierre angulaire de l’infrastructure mondiale des paiements
La suprématie du dollar américain dans l'économie mondiale confère aux États-Unis un « privilège exorbitant », selon l'expression de Valéry Giscard d'Estaing plusieurs avantages :
-une influence significative sur les politiques économiques mondiales.
-Le dollar américain étant la principale monnaie de réserve mondiale, la demande pour ce dernier est élevée. permettant aux États-Unis de financer un large déficit commercial à des taux très faibles.
-La plupart des transactions internationales étant libellées en dollars, cela élimine le risque de change pour les entreprises américaines et les rend plus compétitives sur les marchés mondiaux ;
Cependant, cette hégémonie du dollar américain s'accompagne de nombreux inconvénients pour les autres pays. Parmi ceux-ci :
-Les pays dont les réserves de devises sont largement constituées de dollars sont économiquement dépendants des États-Unis. Les fluctuations du dollar peuvent impacter leur stabilité économique.
-La suprématie du dollar donne aux États-Unis la capacité d'imposer des sanctions économiques aux autres pays. Les États-Unis utilisent leur pouvoir de sanction comme une arme économique pour imposer des restrictions quant à l’accès de certains pays au système financier international , créant ainsi des tensions géopolitiques et des inégalités entre les pays. En usant du pouvoir d'extraterritorialité de leur loi, permise par le statut de monnaie internationale du dollar, les États-Unis ont rompu le pacte moral implicite avec le reste du monde.
Cependant, la dédollarisation ne se fera pas du jour au lendemain. En effet :
au dernier trimestre de 2022, le dollar a été impliqué dans près de 90% des transactions de change, 50% des facturations commerciales et 42% des paiements effectués via le réseau SWIFT. Ces données témoignent de la confiance persistante dans le dollar en tant que monnaie de réserve et de référence dans le commerce international.
La majorité de la dette publique des États, à l’international est libellée en dollar américain. il faut donc disposer de dollars américains, pour la rembourser,
l’étroite relation entre l’hégémonie militaire des États-Unis et sa puissance monétaire.
AXE III- Démondialisation : nouveau modèle et nouvel Ordre économique Mondial
I) L’ordre mondial en mutation Guerre économique, multilatéralisme/ Multipolarisation et lutte géopolitique pour le pouvoir
L’expansion des BRICS est l’amorce de l’émergence d’un monde multipolaire, inclusif , égalitaire et équitable, devant anéantir l’hégémonie du dollar et la prééminence des États-Unis.
Les dispositions actuelles en matière de gouvernance mondiale, sont source d’injustices voire de despotisme, leur réajustement permettra certainement la réalisation d’un plus grand équilibre .
Cette mission des BRICS, pour un rééquilibrage des pouvoirs au sein d’un système international et multilatéral plus souple, plus efficace, plus représentatif, devant être facilitée par le fait que tous les pays fondateurs des BRICS sont membres de l’OCDE : un club de 38 économies, pour la plupart à haut revenu
Les BRICS et les pays de l’OCS disposent d’atouts économiques, et de ressources en marchandises et en minéraux de terres rares, qui leur permettent de faire valoir une approche multipolaire.
Du fait que la lutte géopolitique pour le pouvoir s’intensifie entre les États-Unis et la Chine, les investisseurs doivent se préparer à un nouveau modèle mondial. Les relations entre les États-Unis et la Chine sont passées de prospères à glaciales. Il y a quelques années, les autorités chinoises ont été accueillies à bras ouverts dans l’Iowa, l’un des plus grands producteurs agricoles des USA. L’Iowa a conclu 20 ententes commerciales avec la Chine, au cours de la seule année 2013, et établi des partenariats amicaux et mutuellement avantageux dans une variété de secteurs, ce qui avait resserré les liens commerciaux. À présent, en 2023, les ententes commerciales ont fait place aux déclarations hostiles et aux litiges.
Lorsque sont survenues les vulnérabilités de la chaîne logistique, les grandes puissances et autres économies d’importance stratégique ont redéfini leurs relations.
L’Arabie saoudite et les autres pays du Moyen-Orient, dont les Emirats Arabes Unis ne considèrent plus les États-Unis comme leur principal allié. Ces dernières années, des changements sont survenus dans tout le Moyen-Orient. Les Saoudiens et de nombreux autres pays arabes ont forgé avec la Chine un partenariat stratégique robuste et formel. Chine le plus important consommateur mondial. Près de 20% de la Ce qui se comprend aisément quand on sait que l’Arabie Saoudite est le plus gros fournisseur de pétrole au monde et la consommation de pétrole chinoise vient d’Arabie Saoudite.
Nous pensons, par ailleurs que le rapprochement de l’Arabie saoudite avec son rival régional, l’Iran soutenu par la Chine en mars 2023, répond en partie à son désir de consolider ses relations avec la Chine. Un autre élément, et pas des moindres, la Syrie ; longtemps après son cloisonnement vient d’être réadmise à la Ligue arabe alors que États-Unis et le Royaume-Uni, s’y opposaient fermement. Les relations entre l’Inde et la Russie sont les meilleures jamais vues en 70 ans. Sur le plan politique, tant l’Iran comme la Russie veulent dépasser leur isolement international, l’un en raison de ses ambitions nucléaires, et l’autre en raison de sa guerre contre l’Ukraine.
Les gels d’actifs et les sanctions sans précédent imposées à la Russie, combinés aux sanctions et aux barrières commerciales américaines contre la Chine, ont incité les pays membres des BRICS et de l’OCS à réévaluer leurs vulnérabilités économiques et financières. Nous constatons ainsi deux blocs économiques :
Cette lutte de pouvoir aura certainement pour conséquence une fragmentation de l’économie mondiale, la régionalisation, et la relocalisation. Quelles en seront les conséquences ? La montée du protectionnisme et la démondialisation, s’observent au travers des comportements de division entre des pays qui renforcent leurs mesures de sécurité, et de protection de la souveraineté, et des stratégies de relocalisation, ou localisation en territoire ami (friendshoring) poursuivies par les puissances économiques occidentales.
AXE IV- La dynamique du système monétaire international depuis le XIXe siècle
I) L’étalon-or (ou Gold Standard)
Des années 1870 jusqu’à la Première Guerre mondiale, le système monétaire international reposait sur l’étalon-or : un système monétaire dans lequel l’unité monétaire est définie en référence à un poids fixe d’or ; et chaque monnaie d’une zone économique est convertible en or. La guerre (1914-1918) a entraîné d’importantes dépenses et donc transferts d’or entre pays débiteurs et créanciers. Les Etats La Conférence de Gènes 1922 instaure le système dit d’étalon de change or ou de « gold exchange standard ».
II) Le système de Bretton Woods (1944-1971-1976) et hégémonie du dollar
La Conférence des Nations Unies à Bretton Woods (New Hampshire, États-Unis) du 1er au 22 juillet 1944 met en place le « système de Bretton Woods » (1944-1971).
En théorie, toutes les devises sont définies par une parité fixe en or . Mais dans les faits, les États-Unis détiennent 70% des réserves mondiales d'or : seule la parité-or du dollar est assurée. et la valeur du dollar américain était ainsi ancrée à la valeur de l'or. Les autres monnaies sont alors définies par rapport au dollar. dont la valeur est de 35 dollars l’once ;
L'augmentation des dépenses publiques, et déficit budgétaire dans les années 1960 a cependant fait douter de la capacité des États-Unis à maintenir cette convertibilité. La diminution des stocks d’or et la diminution de la valeur du dollar, ont amené le président américain Richard Nixon, le 15 août 1971 à suspendre « temporairement » la convertibilité en or des dollars présentés par les institutions financières. La valeur du dollar américain n'était donc plus corrélée à l'or. Les Accords de la Jamaïque (8 janvier 1976) légalisent le système des taux de change flottants et mettent fin, au niveau international, aux parités fixes mais ajustables.
III) L’hégémonie du pétrodollar : Le choc pétrolier de 73, l’accord de William Simon
Après la faillite du système de Bretton Woods en 1971, la monnaie n’était plus garantie par de l’or, mais par du pétrole grâce au géni géopolitique Américaine.
En 1973, l’Arabie saoudite et d’autres pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient ont décrété un embargo sur le pétrole destiné aux pays qui soutenaient Israël lors de la guerre du Kippour, y compris les États-Unis. Cela a provoqué un choc de l’offre de pétrole, autrement dit une baisse de l’offre comparée à une demande de plus en plus croissante, et donc à un choc des prix du pétrole associé. C’est justement le premier choc pétrolier. Le quadruplement du prix du pétrole s’est en effet traduit par une situation d’inflation galopante, et de ralentissement de la croissance, donc de « Stagflation ».
En 1974, le nouveau secrétaire au Trésor américain du président Nixon, William Simon, est en visite diplomatique officielle en Europe et au Moyen-Orient. La véritable mission, gardée dans la plus stricte confidentialité , devait se dérouler, en Arabie saoudite.
L’accord conclu par Simon au nom de l’administration Nixon avec les dirigeants saoudiens consistait en ce que les États-Unis achèteraient beaucoup de pétrole à l’Arabie saoudite et lui vendraient en retour beaucoup d’équipements militaires et d’aide au développement. Par extension, les États-Unis utiliseraient leur puissance navale pour s’assurer que le détroit d’Ormuz reste ouvert au commerce mondial du pétrole.
L’Arabie saoudite investirait ses excédents commerciaux en dollars, appelés « pétrodollars », dans des titres du Trésor américain pour financer le déficit budgétaire des États-Unis. En outre, l’Arabie saoudite n’accepterait que des dollars en contrepartie du pétrole qu’elle leur vendrait. C’est ainsi que le dollar devient moyen d’échange et de règlement international.
En effet, tous les pays importateurs de pétrole ont augmenté leur demande de dollars pour régler leurs achats de pétrole , ainsi que leur demande de bons du Trésor américain, pour en constituer des réserves. Ce qui s’est traduit par une augmentation de la demande mondiale de dollars , et de confirmer le statut du dollar en tant que moyen d’échange international et de réserve de valeur internationale.
L’accord sur les pétrodollars a également été motivé pour l’Arabie Saoudite, par son désir d’assurer sa sécurité militaire, face à son rival l’Iran et ce par l’armement en provenance des Etats Unis, ainsi que l’assistance technique, dont il était convenu qu’il en bénéficierait .
À partir de 1974 et jusqu’à aujourd’hui, le monde a essentiellement fonctionné sur la base de cet étalon pétrodollar.
AXE IV - l’émergence d’un Nouvel ordre monétaire mondial et rôle de l'or
I- L’embryon d’un nouvel ordre monétaire international et future monnaie des BRICS
Avec le développement des systèmes alternatifs au Swift, comme le CIPS chinois, ou le SPFS Russe, le spectre d’un nouvel ordre monétaire international et d’ un monde multipolaire est en train de profiler à l’horizon, devant mettre fin à l’hégémonie du dollar, et à l’actuel ordre monétaire international issu des accords de Bretton-Woods, et dont les infrastructures financières font du réseau Swift, une arme de sanction économique et d’exclusion financière.
Les pays des BRICS ont évoqué la perspective de créer une monnaie commune adossée sur l’or. Il s’agit d’une « monnaie commune » venant s’ajouter aux monnaies nationales et non s’y substituer. Elle a été formalisée par Lula lors du dernier sommet : “Créer une monnaie unique pour les transactions commerciales entre les pays BRICS peut réduire notre vulnérabilité.”
La question est de savoir à quoi pourrait être rattachée la monnaie commune?
-À une monnaie existante tel le yuan chinois :nécessitant la création d’une zone monétaire Yuan.
-À l’or
-À des monnaies numériques de banques centrales: Il s’agirait d’une unité de compte composite, incluant les monnaies numériques émises par les banques centrales des BRICS.
-Une "unité de compte composite" basée sur un panier de devises ou un indice associant plusieurs produits des devises, des matières premières. Les BRICS+ détiennent 80% des réserves de terres rares, céréales, étain, titane, chrome, pétrole, gaz, métaux précieux. Par ailleurs, 90% des matières premières se négocient en dollars. C’est cette réalité qui donne d’ailleurs toute sa chance au processus de dédollarisation en cours.
-Une unité de compte basée sur le DTS. Pour illustrer l’importance d’une unité de compte basée sur le DTS, il est utile de rappeler un fait d’une grande importance, le projet de modifier le libellé du prix du pétrole, en remplaçant le dollar par le DTS, inscrit à l’ordre du jour du Sommet de l’OPEP qui s’est tenu du 3 au 5 mars 1975 à Alger.
I) L’or sera au centre du nouvel ordre économique mondial.
1) nouveau système monétaire lié à l’or », l'or comme étalon pour les nouvelles monnaies
La volonté de créer une monnaie des BRICS (adossée à l’or) est claire. Les pays des BRICS, augmentent leurs stocks d'or de manière constante depuis plusieurs mois. Durant le dernier sommet des BRICS, le cours de l’or a grimpé en flèche.
Selon le Conseil mondial de l'or du FMI la Russie et la Chine ont doublé leurs réserves d’or au cours des dix dernières années. Cette attitude méfiante de la Russie s’explique notamment par le gel des réserves de devises russes en février 2022 par l’Occident ; et la LBMA et l’éviction des banques Russes de la LBMA .
La Chine et la Russie veulent détrôner la LBMA (le marché de gré à gré à Londres) et le COMEX. (le marché à terme de l’or à New York).
Sachant que la demande d’or des consommateurs a baissé de 43% , en Europe et aux Etats Unis, au cours de cette période, on s’attend à terme à une multipolarisation des marchés de l’or et à l’émergence d’un fixing asiatique du cours de l’or qui devancera le duopole LBMA/COMEX.
2) Difficulté et limites de la création d’une nouvelle monnaie commune des BRICS
La stratégie de mise en place d’une monnaie commune se heurte à une première réalité. Les stratégies des pays membres du bloc peuvent diverger sur des questions de politique étrangère.
La position de la Chine et de l’Inde se distingue de celle du Brésil et de la Russie.
La Russie, tout comme le Brésil, ont un excédent commercial avec leurs principaux partenaires commerciaux. En Inde, la situation est beaucoup plus compliquée avec des taux de croissance du PIB stables, l’Inde n’a donc pas besoin pour le moment du soutien des pays des BRICS ; une orientation multilatérale oblige New Delhi à maintenir de bonnes relations avec les États-Unis et les pays de l’UE, et se méfie de l’internationalisation du yuan.
La position de la Chine est claire. Elle est, intéressée par la dédollarisation, mais, n’envisage pas de se retirer du système financier occidental.
Habiba Nasraoui Ben Mrad
(Docteure, chercheure et enseignante universitaire)
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