Vers une nouvelle « Troïka » Ennahdha-Nidaa-UPL
L’initiative de création d’un « front parlementaire centriste et progressiste » initié par un certain nombre de députés de Mashrou3 Tounes, d’Afek, du groupe national et de quelques députés de Nida et des indépendants, a réuni, selon ses initiateurs, quelque 43 députés, alors qu’ils tablaient sur au moins 70. Ils ont convoqué une assemblée générale ce lundi 13 novembre pour annoncer le lancement officielle de ce front qui « permettra d'unifier les positons et les vues sous la coupole du parlement et ambitionne de rétablir l'équilibre dans le paysage parlementaire ». Mais à la suite de la réunion, samedi dernier, des trois présidents de groupes concernés, Al Horra, groupe national, Afek et le représentant des indépendants, il a été décidé de reporter à plus tard cette assemblée, le temps de fignoler davantage la plateforme commune, car celle annoncée par le député Sahbi Ben Fredj n’est qu’un avant-projet qui devrait être discuté avant son adoption par l’ensemble des membres concernés. Au départ, les initiateurs ont tablé sur 70 députés, mais ils ne sont que 43 à avoir donné leur accord et le nombre pourrait descendre au dessous des 40.
Il n’est pas sorcier de deviner que ce projet vise essentiellement à contrecarrer « l’hégémonie » d’Ennahdha et de Nida au sein de l’Assemblée des représentants du peuple. Ces deux mouvements ont scellé une alliance, le 6 juin dernier, au cours d’une veillée romanesque. Ils ont, en effet, annoncé, dans un communiqué conjoint, signé par les présidents des deux groupes en présence de Rached Ghannouchi et Hafedh Caid Essebsi, la création d’un comité de coordination. Ce comité a pour mission de « renforcer le consensus entre les députés des deux partis dans le but de préserver la stabilité dans le pays ». Et c’est justement cette crainte, outre le souci d’un rééquilibrage du paysage parlementaire, qui a présidé à l’annonce de création d’un front parlementaire.
Or, cette initiative a été vivement critiquée aussi bien par Ennahdha que par Nidaa Tounes. Rached Ghannouchi n’a pas mâché ses mots en se déclarant résolument contre cette initiative. « Ce Front ne sera d’aucune utilité pour les Tunisiens, car il vise uniquement l’exclusion d’Ennahdha », a-t-il affirmé, ajoutant que c’est une « étape dans le droit fil de la logique d’exclusion et d’éradication de notre mouvement ». Eradication, un terme très fort qui résonne comme un retour aux années de plomb. Cela rappelle de très mauvais souvenirs au mouvement Ennahdha, à ses dirigeants et à ses adhérents et ses sympathisants. C’est une question de « sécurité nationale », a-t-il affirmé.
De son côté, Nidaa Tounes qui a organisé des journées parlementaires craint que ce front ne fragilise davantage le parti et ne réduise sa capacité d’action, si jamais son groupe à l’ARP était réduit par l’exclusion ou le départ d’autres membres. Il a déjà perdu une trentaine de députés depuis la première législative et ne compte plus que 56 députés cédant la premier place à son allié Ennahdha qui, à son tour, a perdu un membre, mais compte 12 membres de plus, soit 68.
La menace d’une nouvelle fissure à l’intérieur du parti cher à Béji Caid Essebsi est réelle. Elle pourrait toucher non seulement les équilibres au sein de l’Assemblée, mais également impacter le paysage politique et les fondements du « Document de Carthage ». Le porte-parole de Nida, Mongi Harbaoui a même déclaré que « la formation d’un Front parlementaire centriste et progressiste est un putsch contre les choix du président de la République. Il a pour dessein d’éparpiller les groupes parlementaires qui appuient le gouvernement d’union nationale. Il vise à saper les choix du chef de l’Etat visant à instaurer la paix sociale et à garantir la pérennité de l’Etat, à l’abri de toute crise profonde ». Ce front est même qualifié « d’hérésie » par le président du groupe Nida Tounes, Soufien Toubal qui a précisé qu’au sein d’un parlement, « il y a des groupes parlementaires et non des fronts parlementaires ».
Le Front Ennahdha-Nidaa-UPL sera un front entre partis politiques pour coordonner leurs actions et leurs postions vis-à-vis des questions de l’heure. Comme il pourra se muer en une nouvelle « Troïka ». Il comptera sur au moins 136 membres au parlement. Suffisant pour contrecarrer toute autre velléité de « saper » les choix fondamentaux de la coalition au pouvoir et de faire passer les projets de loi sans l’apport d’autres voix. Les trois partis tiendront des réunions consultatives périodiques avec le chef du gouvernement Youssef Chahed, pour se concerter sur les points chauds de l’actualité.
Ces deux fronts qui risquent de s’affronter aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’hémicycle, affichent, pourtant, leur soutien au gouvernement d’union nationale, formé notamment de Nida, Ennahdha et Afek Tounes. Or, ce dernier qui compte trois ministres et deux secrétaires d’état a pris ses distances et s’est montré très critique vis-à-vis du consensus entre Nida Tounes et Ennahdha qui, selon son président Yassine Brahim, a « lourdement échoué et ne peut plus faire l’objet de confiance ». Le retour de l’UPL de Slim Riahi au bercail annonce, selon certains observateurs avertis, le départ d’Afek de la coalition tripartite et la possible réintégration de ce parti dans l’équipe gouvernementale dont on parle de plus en plus d’un possible remodelage à la lumière des derniers événements. Afek et Al Massar seraient probablement scarifiés sur l'autel de cette nouvelle coalition. Certains sont même allés jusqu’à parler d’un éventuel changement de gouvernement sur fond de désaccord entre Carthage et la Kasbah à propos de la guerre contre la corruption ! Et ce qu’a laissé sous entendre Momamed Hamrouni dans le journal « Array Al Aam » qui est considéré comme le « porte-parole » du mouvement Ennahdha. Les débats sur le projet de loi des finances pour l’année 2018 s’annoncent d’ores et déjà électriques. La nouvelle « Troïka » va la discuter pour mieux coordonner ses positions alors que le front parlementaire qui tarde à voir le jour, a affiché son soutien au chef du gouvernement.
Une guerre des fronts qui s’annonce au sein et en dehors de l’hémicycle. Elle reflète un paysage politique fragmenté avec 208 partis qui connaissent tous des crises plus ou moins aigues. D’où la désaffection des Tunisiens vis-à-vis des institutions politiques et qui est devenue un trait caractéristique de la jeune démocratie naissante.
Crédit photo: Kapitalis
Brahim Oueslati
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