1,2 milliard de dollars non payés par les entreprises tunisiennes à l’État
Un nouveau rapport de la Banque mondiale a certes constaté que l’évasion fiscale a diminué parmi les entreprises proches de l'ancien régime de Ben Ali, mais il a aussi constaté l’augmentation de pratique largement répandue du non acquittement des droits à l’importation par les entreprises qui entretenaient des relations privilégiées avec le régime de l'ancien président tunisien Zine El Abidine Ben Ali.
Selon les calculs présentés dans le rapport intitulé Political Connections and Tariff Evasion: Evidence from Tunisia, ces entreprises ont pu éviter de payer, en déclarant des valeurs inférieures, pas moins de 1,2 milliard de dollars en droits entre 2002 et 2009.
Pour mettre au jour les droits impayés, les auteurs du rapport comparent les chiffres d'exportation des partenaires commerciaux de la Tunisie à la valeur des importations déclarée à la douane tunisienne. Il ressort de la comparaison que la valeur déclarée à l'importation par les entreprises protégées par Ben Ali est supérieure de 18 % à celle déclarée par les entreprises ordinaires. De même, les volumes d'importation déclarés sont 21 % plus élevés, tandis que le prix unitaire déclaré est en revanche 4,8 % plus bas en moyenne. Pour les biens importés assujettis à des droits plus élevés, le prix déclaré est encore plus faible, soit 8,1 %. Cette pratique de la déclaration frauduleuse a permis aux entreprises proches du pouvoir de cumuler un montant total de 217 millions de dollars en fraude fiscale pour la seule année 2009.
« Ce rapport met à nu les pertes économiques causées par le non-paiement des droits à l'importation durant les dix dernières années, une situation qui a fait perdre à l'État des milliards de dollars », déclare Eileen Murray, Représentante Résidente de la Banque mondiale pour la Tunisie. « Avec l'appui de la Banque mondiale, le ministère des Finances prépare un ensemble de mesures de réforme de la douane pour simplifier les procédures et les rendre plus transparentes. Cela permettra de stimuler les exportations et de limiter les possibilités de fraude à l'importation ».
En plus des pertes budgétaires qu'elle provoque, cette pratique de la fraude à l'importation par les entreprises protégées mine la concurrence et crée une situation qui ne donne pas à tous les mêmes chances. Elle leur accorde, au détriment des entreprises ordinaires, un avantage non mérité, qui n’est ni basé sur une productivité plus élevée ni sur une plus grande efficacité. Elle a contribué également à créer des inégalités en permettant à une élite plus riche et proche des milieux politiques d'amasser des profits plus élevés en payant des droits plus faibles à l'importation.
« Les pertes budgétaires que nous avons calculées sont essentiellement basées sur les montants inférieurs déclarés et ne prennent pas en compte d'autres formes de fraude fiscale, telles que la déclaration frauduleuse des volumes importés ou encore la contrebande par laquelle passent les entreprises pour échapper totalement à la douane », souligne Bob Rijkers, économiste de la Banque mondiale et auteur principal du rapport. « La révolution a entraîné une baisse de la déclaration de prix inférieurs par les entreprises protégées, mais s'est accompagnée d'une augmentation de la fraude à l'importation par les entreprises ordinaires et d'une intensification du commerce informel ».
Le rapport note un recul de 16,2 % du non-paiement des droits à l'importation après la révolution, notamment pour les lignes de produits dominées par les entreprises qui étaient proche du pouvoir. Cela dit, il rend également compte d'une augmentation simultanée de la fraude à l'importation de l'ordre de 5,7 % dans les autres lignes de produits.