Bassem Ennaifer : La baisse des prix du pétrole ne serait pas profitable à la Tunisie sur le long terme

« La baisse des prix du pétrole sur le marché international aura certes des effets positifs immédiats sur l'économie tunisienne, mais cela ne sera pas le cas, sur le long terme, car cette situation conduira à une récession mondiale, notamment en Europe, 1er partenaire économique de la Tunisie », a estimé l'économiste, Bassem Ennaifer dans une interview accordée à l'agence TAP.
TAP : Le marché pétrolier international a été marqué, récemment, par des fluctuations des prix considérables. Selon vous, quels sont les facteurs permettant de maîtriser le niveau de ces prix ?
Bassem Ennaifer : La chute des prix du pétrole sur le marché international à court terme reste bénéfique pour la Tunisie. Dans le budget de l'Etat 2025, le gouvernement a estimé qu'une baisse du prix du pétrole sur le marché international (en dollar), permettrait de faire économiser à l'Etat près de 162 millions de dinars. Par conséquent, la baisse des prix du pétrole sur le marché international et l'appréciation du dinar face au dollar constituent une aubaine pour la Tunisie.
Toutefois, il est à noter que l'élaboration du budget de l'Etat ne se limite pas au prix du pétrole. D'autres variables le conditionnent, comme les recettes fiscales, la dynamique économique et la création de la richesse, qui sont essentielles à la génération de ressources à long terme. Nous observons aujourd'hui des signes de récession économique à l'échelle mondiale, notamment, en Europe, premier partenaire économique de la Tunisie qui absorbe 70% des exportations tunisiennes, ce qui n'est pas sans impact sur la performance des entreprises tunisiennes à l'export.
De surcroît, les industries mécaniques et électriques dont les produits figurent sur la liste des produits exportés vers l'Union européenne, sont les plus concernés par la guerre tarifaire de Trump. En outre, la régression cette année, des recettes des exportations de l'huile d'olive tunisienne, par rapport à l'année écoulée, aura un impact sur la balance commerciale alimentaire et la balance commerciale en général.
La conjoncture internationale qui reste tributaire des fluctuations des prix du pétrole sur le marché international, à long terme, entraînera une croissance économique faible dans le monde entier, y compris la Tunisie dont les ressources fiscales, notamment, celles provenant des entreprises, seront affectées au titre de 2025 et de 2026. En somme, nous pouvons déduire que la baisse du prix du pétrole sur le marché international aura certes des effets positifs immédiats sur l'économie tunisienne mais cela ne sera pas le cas à long terme, car il va affaiblir l'économie mondiale. Cette situation ne profitera pas à la Tunisie.
TAP : Quels sont les répercussions de la baisse des prix du pétrole sur la Tunisie en tant que pays consommateur et importateur ?
Ennaifer: Cette baisse aura un effet immédiat sur les dépenses gouvernementales et de subvention destinées à l'énergie. Cette situation pourrait impacter les ressources gouvernementales en 2025 et en 2026, car plus les prix de pétrole baissent, plus les gains des entreprises régressent. Par conséquent, les impôts appliqués sur les bénéfices des sociétés, contribuant à financer le budget de l'Etat devront baisser. La chute des prix du pétrole entraînera, par ailleurs, une désaffection des entreprises opérant dans le secteur pétrolier et découragera la prospection en raison d'un manque de rentabilité.
TAP : La ministre des Finances a, récemment, évoqué une loi de finances complémentaire pour l’année 2025. Quels sont, selon vous, les domaines qui méritent une révision ?
Ennaifer : Un point important à souligner, c’est qu’en Tunisie, il n'est pas d'usage d'élaborer des lois de finances rectificatives durant les premiers mois de l’année budgétaire. Cette démarche est, généralement, effectuée durant les derniers mois de l'exercice. Il est important de relever que les prix du pétrole actuellement en baisse, profiteront au budget de l’État.
La Tunisie ne fait pas face, non plus, à un problème de dette extérieure ou intérieure qui inciterait à réviser la loi de finances initiale. En revanche, deux points méritent d’être réexaminés. Le premier étant la croissance économique prévue de 3,2 %, un objectif difficile à atteindre dans un contexte mondial instable et le second concerne la révision de la masse salariale, notamment avec les recrutements prévus d'enseignants suppléants.
Le ministère des Finances dispose, probablement, de données l’incitant à envisager une révision de la loi de finances 2025. Toutefois, les informations disponibles, actuellement, ne justifient pas l’élaboration d’une loi de finances rectificative en ce début d’année budgétaire. Il serait plus judicieux d’attendre que les perspectives économiques s’éclaircissent.
En effet, si l’on adopte une loi rectificative maintenant, et que d’autres changements surviennent plus tard, cela obligerait à en élaborer une autre. Il vaut mieux observer pour le moment, l’évolution de la situation internationale.
TAP : Pensez-vous que dans le cadre de son rôle social, l'Etat pourrait recommander au Comité technique chargé de la mise en place des mécanismes de réduction des subventions des hydrocarbures, de prendre une décision en faveur des consommateurs ?
Ennaifer : L'Etat va gagner, indéniablement, au niveau de l'importation de pétrole. D'ailleurs, l'année dernière le budget de l'Etat a tiré profit du niveau des prix du pétrole sur le marché international, qui n'avait pas dépassé le plafond de l'hypothèse adoptée pour l'exercice 2024, ce qui a permis d'exécuter le budget et d'alléger les pressions.
J'estime que l'abaissement des prix des hydrocarbures ne sera pas efficace à l'heure actuelle, surtout que l'Etat n'a pas augmenté, dans le cadre de sa politique sociale, les prix des carburants depuis environ deux ans et partant a supporté une plus grande charge au niveau de la subvention, pour ménager le citoyen.
En outre, l'abaissement des prix des hydrocarbures pourrait impacter négativement, les recettes provenant de la commercialisation des carburants estimées à 587 millions de dinars dans la loi de finances 2025, contre 457 MD en 2024, en raison d'une diminution des recettes fiscales provenant des entreprises actives dans ce domaine.
Il est donc prématuré de prendre la décision de baisser les prix des hydrocarbures sur le marché intérieur et il est préférable d'attendre la stabilisation des prix sur le marché mondial pour laisser à l'Etat une marge de manœuvre.
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