Béji Caïd Essebsi sort de son rôle, c’est dommageable pour la démocratie naissante

 Béji Caïd Essebsi sort de son rôle, c’est dommageable pour la démocratie naissante

 

Le journal Al Arab paraissant à Londres a créé l’actualité en publiant ce mardi une longue interview exclusive du Président de la République Béji Caïd Essebsi. Sachant la manière avec laquelle les journalistes du Machreq prennent des libertés avec les propos qu’on leur tient j’ai attendu que la présidence de la République publie l’interview sur sa page officielle pour en parler. Car de la sorte, le texte est jugé authentique et il reprend mot à mot ce qu’a dit le chef de l’Etat.

Car en consacrant plus des ¾ de l’entretien à des questions d’ordre national, BCE ne commet pas une bévue, il prend l’opinion publique étrangère pour témoin dans des problèmes domestiques dont il aurait dû réserver l’exclusivité aux médias nationaux. Pourquoi cette propension à parler des problèmes tunisiens à des journalistes étrangers. Si cela pouvait s’expliquer au temps de la dictature et de la presse muselée il n’a plus aucune justification au moment de la liberté de la presse et de la pluralité des médias de toutes natures dans notre pays.

Ce qui est encore plus grave, c’est la substance de cette interview. Le président de la République, symbole de l’unité nationale déroge aux règles les plus élémentaires liées à sa fonction. Il ne parle pas de politique, il livre ses états d’âme. Il n’avance pas des idées, encore moins des solutions à la situation très difficile dans lequel le pays se trouve, il nous mène dans des batailles politiciennes qui n’ont aucun sens et qui n’intéressent en aucune façon l’opinion publique étrangères quand bien même elle est arabe.

En plaçant au-devant de la scène le conflit qui l’oppose au chef du gouvernement qu’il a lui-même proposé à la Kasbah, quand les Tunisiens sont dans de grandes difficultés, cherche-t-il à discréditer la classe politique. Il faut le craindre car, ce faisant, il ne fait que détourner l’attention en focalisant ses compatriotes à ce moment historique sur des questions marginales alors qu’il a lui-même engagé le pays dans cette voie. N’est-il en train de faire de la politique politicienne de bas étage, celle qui met tout le monde dans un même paquet : tous mauvais, tous pourris.

N’est-ce pas de sa part une manière de faire fi de l’autorité de l’Etat, celle-là même qu’il s’est engagé à réhabiliter et à défendre lorsqu’il s’était présenté au suffrage des Tunisiens il y de cela plus de quatre ans.

« Youssef Chahed veut rester au pouvoir et Ennahdha a compris son ambition et l’a encouragé à créer sa propre formation politique pour qu’il partage le pouvoir avec lui après les élections de 2019 ». En parlant ainsi ne livre rien sauf des supputations et des approximations.

Ce n’est pas ainsi qu’un Chef de l’Etat s’adresse aux médias même si ce qu’il dit est vrai. Car il ne fait rien que de tirer des conclusions d’une situation de fait à laquelle il a pourtant contribué.

« Rached Ghannouchi va le soutenir en secret pour qu’il, (c’est-à-dire Chahed) présente sa candidature à l’élection présidentielle. Cela n’est un secret pour personne », a-t-il ajouté dans la même veine. « Les rapports tendus entre Chahed et Nidaa Tounés n’ont pas pour raison un désaccord politique mais plutôt le désir du Chef du gouvernement de se maintenir au pouvoir » a encore précisé le chef de l’Etat dans cette interview dont l’étrangeté le dispute à l’inconsistance.

Selon lui le mouvement Ennahdha contrôle actuellement le gouvernement de Youssef Chahed qui est a-t-il affirmé « le gouvernement d’Ennahdha depuis qu’il a été soutenu par 60% des députés à une majorité confortable mais dès qu’Ennahdha lui retire sa confiance, ce gouvernement tombe. »

Le président de la République fait de l’analyse politique fine. Mais est-ce son rôle et surtout est-ce que c’est pourquoi il a été élu ?

Pour lui Ennahdha est devenu l’ennemi à abattre, alors que c’est lui qui a mis en place la politique de compromis avec ce parti que son fils, en sa qualité de directeur exécutif de Nidaa Tounés a élevé à un moment à une « alliance stratégique ».

« L’appareil secret d’Ennahdha » qui aurait dû faire l’objet d’une enquête judiciaire et être sereinement examiné par la justice est opportunément utilisé par le chef de l’Etat dans la bataille politique qu’il est en train de livrer.

Si cela est de bonne guerre entre des adversaires politiques, il n’est pas normal que le président de la République, garant de la Constitution et donc de la séparation des pouvoirs s’implique personnellement dans une bataille forcément politicienne et partisane.

« De par ma qualité de président de la République et compte non tenu de mes appartenances personnelles, je soutiens la transparence », a ajouté BCE qui ne nie pas qu’il soit obnubilé par ses tendances partisanes.

Mais si cela est dans son rôle, ce qu’on peut lui reprocher c’est qu’il se cache derrière « beaucoup d’observateurs, d’hommes politiques et d’avocats » qui disent que cet organe secret existe bel et bien.

Si du commun des gens on peut admettre de telles assertions, ce n’est pas du président de la République responsable entre autres de la sécurité des Tunisiens qu’on peut l’accepter. De lui les Tunisiens n’attendent pas des analyses, des suppositions ou des conjectures, mais des décisions, rien que des décisions.

Pour conforter leur sécurité, le reste ce n’est que des balivernes. N’a-t-il pas dit qu’en tant que président il dispose du « magistère » et qu’il compte en user toutes les fois que c’est nécessaire. Mais ce magistère, il ne repose pas sur des à peu près et des approximations. Mais sur des faits avérés, vérifiés.

Sa qualité de président du conseil de sécurité nationale lui fait obligation de rassurer les Tunisiens et non de les mener en bateau.

Mais à l’évidence l’objectif est ailleurs, Béji Caïd Essebsi  semble préparer la voie à sa candidature à la présidence de la République. S’étant engagé à ne faire « pas plus d’un mandat », il est à la recherche de prétexte ou de justification à un nouveau mandat à la tête de l’Etat.

Il a beau dire qu’il « n’est pas adepte de la présidence à vie » et qu’il même carrément contre, car son « ambition ce n’est pas d’être président à vie », il se donne le moyen de pouvoir changer d’avis « Le jour où je déciderai d’être ou non candidat, ma seule motivation sera l’intérêt de la Tunisie. Si l’intérêt de la Tunisie exige que quelqu’un d’autre se présente, nous l’aiderons. Mais si l’intérêt requiert ma présence, alors je réfléchirai à ma candidature, » a-t-il dit dans des termes un peu alambiqués.

Mais ce qui est sûr c’est qu’il réfléchit sérieusement à se représenter, car à ses yeux, ce n’est pas de l’intérêt de la Tunisie que l’attelage Ennahdha- Chahed demeure au pouvoir car ce ne serait pas dans l’intérêt de la Tunisie. Lui seul et son parti Nidaa Tounes peuvent faire l’affaire, juge-t-il ?

En se livrant comme il l’a fait, Béji Caïd Essebsi rend un très mauvais service à la démocratie naissante. Car il donne une mauvaise image de la manière dont les dirigeants politiques pensent. Ce qui compte à leurs yeux, ce n’est pas l’intérêt du pays mais leurs intérêts étriqués.

Qu’on ne vienne pas ensuite reprocher aux Tunisiens de déserter les urnes.

RBR

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