De la Géopolitique à la Géo-histoire !

De la Géopolitique à la Géo-histoire !

Par Mahjoub Lotfi Belhedi

Chercheur en réflexion stratégique & digitale // CEO d’un cabinet spécialisé en transformation IA

Depuis la fin du siècle dernier, les guerres ne se livrent plus uniquement sur le terrain, mais aussi dans les livres d’histoire où les conflits ne se réduisent plus à des luttes pour le pétrole ou les frontières : ils sont devenus de féroces batailles entre récits divergents et incompatibles...

Comment expliquer cette transition dramatique, ce passage de la géopolitique à la géo-histoire ? Pourquoi l’histoire est-elle invoquée avec tant d’intensité dans les conflits contemporains ?

Si la géopolitique s’attache à la géographie pour remodeler les entités politiques et les relations internationales, la géo - histoire agit comme un facteur psychologique clé. Elle détermine quand le contrôle d’un territoire devient « sans valeur » ou, au contraire, revêt une importance vitale.

Ainsi, l’évocation du passé alimente les conflits contemporains : elle sert d’arme redoutable pour mobiliser les passions nationales, justifier massacres et génocides, légitimer des conquêtes géopolitiques sur des terres étrangères, ou rallier un soutien international comme l’illustrent parfaitement les conflits suivants :

1. Guerre russo-ukrainienne : Deux récits, une terre

La narration russe s’appuie sur l’idée qu’une « Ukraine historique » fait intrinsèquement partie du « monde russe », en invoquant les racines de la Rus’ de Kiev (État slave du IXᵉ siècle), berceau commun des identités russe et ukrainienne. Vladimir Poutine affirme ainsi que l’Ukraine est une « création de Lénine », dont les frontières actuelles résultent de décisions soviétiques arbitraires. À l’inverse, le récit ukrainien souligne l’autonomie et la singularité de son identité, évoquant l’État cosaque du XVIIᵉ siècle comme tentative d’émancipation, et rejette farouchement l’idée d’être un simple prolongement de la Russie.

2. Conflit israélo-palestinien : Mémoires en collision

Le narratif sioniste revendique la Palestine comme « Terre promise » des Juifs, selon la tradition religieuse (la Torah), et défend le droit à un État juif après le premier congrès sioniste de 1897. La narration palestinienne, elle, met en avant une présence cananéenne (palestinienne) millénaire, qualifiant le sionisme de projet colonial niant les droits des autochtones.

Résultat : Jérusalem, simple donnée géographique, s’est transformée en symbole sacré transcendant le politique. Israël y voit un droit religieux indivisible, tandis que les Palestiniens la placent au cœur de leur identité culturelle et spirituelle...

Ce contexte confirme l’adage : « Au Moyen-Orient, l’Histoire ne meurt pas... elle se réinvente chaque jour ! », et que seul la Géo-histoire constitue  la clé de déchiffrement de ce conflit éternel...

3. Expansion turque en Syrie et Libye : Le syndrome ottoman

Cette stratégie d’expansion reflète les ambitions d’Ankara de restaurer son influence régionale, en s’appuyant sur l’héritage ottoman. Le pouvoir turc combine outils militaires, politiques et économiques pour ressusciter, au XXIᵉ siècle, la domination ottomane sur les bassins méditerranéens oriental et occidental. Son influence actuelle incarne un mélange de néo-ottomanisme et de réalpolitik, où la force sert à réécrire le passé pour conquérir le présent.

Mots de la fin,

Face à cette bataille de récits, la « Géopolitique » ressemble à un combat mortel entre gladiateurs d’Athènes, tandis que la « Géo-histoire »  s’apparente aux pièces de Shakespeare : chaque personnage raconte sa version, et le public ignore qui ment.  

En Géopoitique classique  « Celui qui contrôle le cœur du monde (l’Eurasie) contrôle le monde », alors qu’en Géo- histoire « Celui qui impose son récit possède le monde ! Ainsi, l’Histoire n’est plus un champ de bataille secondaire, mais l’arène centrale où s’affrontent les peuples, les mémoires et les légitimités…

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