En amont du sommet pour l’action sur l’IA: un défi commun et une opportunité pour les deux rives de la Méditerranée

En amont du sommet pour l’action sur l’IA: un défi commun et une opportunité pour les deux rives de la Méditerranée

Par Anne Guéguen, Ambassadrice de France en Tunisie

L’intelligence artificielle (IA) est plus qu’une révolution industrielle et technologique, c’est sans doute la révolution copernicienne de notre temps. Ce n’est pas un outil neutre. Elle porte le potentiel d’un profond changement de paradigme de nos sociétés, dans nos rapports au savoir, au travail, à l’information, à la culture et même au langage.

En ce sens, l’IA est un enjeu politique et citoyen qui appelle une conversation mondiale impliquant les gouvernants de la planète, les chercheurs, les entreprises et la société civile au sens large. L’ensemble des Etats et des citoyens sont concernés. C’est pourquoi, dans le droit fil de la dynamique lancée par le Royaume-Uni et la Corée du Sud, la France a accepté la responsabilité d’accueillir à Paris, les 10 et 11 février prochains, le sommet pour l’action sur l’IA. Ce sommet réunira près d’une centaine de chefs d’État et de gouvernement et d’un millier d’acteurs de la société civile venus d’une centaine de pays, dont la Tunisie.

La question qui se présente à tous – usagers, startups comme grands groupes, chercheurs et décideurs, en France comme en Tunisie – est au fond assez simple : comment réussir le virage de l’IA ? Quelle stratégie collective devons-nous mettre en place pour que l’IA soit au service de l’intérêt public et de la formation de tous ?

L’enjeu est fondamental : faire en sorte que l’IA soit un outil de progrès et d’émancipation dans un cadre de confiance commun au niveau mondial et s’assurer de contenir les risques propres au développement d’une telle technologie de rupture.

Le Sommet a pour ambition de promouvoir l’action en priorité sur trois objectifs concrets :

En premier lieu, nous voulons une IA équitable, au service de l’intérêt général et accessible au plus grand nombre, afin que chacun puisse en bénéficier et développer de nouvelles idées pour en réaliser tout le potentiel, de Paris à Tataouine. Dans le but de réduire la fracture numérique et d’endiguer la concentration excessive du marché de l’IA, nous lancerons une initiative pour l’IA au service de l’intérêt général afin de favoriser le développement et le partage de la puissance de calcul, de jeux de données structurées, d’outils ouverts et de formations des talents. Ce projet sera porté tant par des acteurs publics que privés.

En deuxième lieu, nous voulons une IA durable, bénéfique pour l’écosystème humain : il faut impérativement penser conjointement les deux transitions majeures de notre temps que sont la transition écologique et énergétique et la transition numérique. Si l’IA peut contribuer à lutter contre le réchauffement climatique, elle s’inscrit aujourd’hui dans une trajectoire intenable sur le plan énergétique. Les dernières prévisions avancent ainsi des besoins en énergie pour le secteur de l’IA dix fois supérieurs, dès 2026, à ceux de 2023. Cette perspective n’est pas soutenable.

Les pays du Sud comme la Tunisie, où les effets des changements climatiques se font le plus ressentir, souffriront le plus de l’accélération de la pollution numérique liée à l’IA. En réponse, une coalition internationale multi-acteurs en faveur de l’IA durable sera lancée à l’occasion du Sommet, afin d’approfondir la recherche sur le coût environnemental de l’IA, d’évaluer les modèles sous ce prisme, de définir de nouveaux standards et d’accroître les investissements verts à tous les niveaux de la chaîne de valeur.

Enfin, nous devons bâtir collectivement un système de gouvernance de l’IA efficace et inclusif qui ne se limite pas aux questions d’éthique et de sécurité. D’autres enjeux sont primordiaux qu’il faut discuter : la protection des libertés fondamentales, la propriété intellectuelle, la lutte contre la concentration du marché, l’accès aux données pour ne citer qu’eux. Tout le monde doit pouvoir être autour de la table pour discuter de questions telles que la gouvernance mondiale de l’IA. Or, seuls sept pays dans le monde sont aujourd’hui parties prenantes des principales initiatives internationales sur l’IA, et 119 en sont entièrement absents. Par ailleurs, les acteurs privés et la société civile – particulièrement dynamique en Tunisie à travers l’écosystème des start-ups –doivent également être inclus afin de définir ensemble une architecture commune de gouvernance internationale de l’IA.

Le Forum Méditerranéen de l’Intelligence Artificielle, organisé le 15 novembre 2024 à Marseille, a déjà réuni plus de 300 acteurs majeurs de l’IA issus des pays méditerranéens – entreprises et startups, chercheurs et universitaires, investisseurs, banques et fonds de développement – pour réfléchir aux réponses que l’IA peut apporter aux défis régionaux et globaux (changement climatique, agriculture et stress hydrique, énergie et décarbonation, santé).

Ce premier événement, labellisé par le Sommet Mondial pour l’Action sur l’IA prévu à Paris les 10 et 11 février 2025, a permis de favoriser les échanges de savoirs, la coopération transméditerranéenne et les talents locaux afin de positionner la région comme un hub stratégique dans l’écosystème mondial de l’IA, avec un potentiel économique régional estimé à 246 milliards de dollars d’ici 2030.

Cette rencontre a également jeté les bases d’initiatives concrètes telles qu’une réunion ministérielle en format "Dialogue 5+5" sur le déploiement de l'intelligence artificielle en Méditerranée qui se tiendra en marge du Sommet pour l’Action sur l’IA, l’élaboration d’un rapport dirigé par le mathématicien Cédric Villani sur les opportunités pour l’IA en Méditerranée, ainsi que le lancement d’un projet Fonds Equipe France pour renforcer l’innovation et l’entrepreneuriat IA en Méditerranée. Tunis pourrait accueillir la 2e édition de ce Forum méditerranéen à l’automne 2025, montrant ainsi son leadership en la matière dans l’espace méditerranéen.

Les enjeux de transition vers l’économie numérique et les nouvelles technologies dont l’IA sont déjà un axe structurant de la coopération bilatérale entre la Tunisie et la France, en témoignent le succès d’initiatives et d’évènements récents autour de ces thématiques : seconde édition du Forum de co-développement numérique à Tunis le 17 octobre dernier organisé par Business France et la French Tech de Tunis, « Nuit des idées » sur le thème de la deeptech organisée le 26 septembre par l’Institut français de Tunisie, débat d’idées Hiwarna sur l’intelligence artificielle le 19 décembre, programmes de soutien au développement de l’entrepreneuriat innovant en Tunisie, comme Innov’i mis en œuvre par Expertise France et financé par l’Union européenne…

La France n’avance pas seule vers ce Sommet. Plus de 700 partenaires, publics comme privés, chercheurs et ONG issus des cinq continents contribuent depuis plusieurs mois à sa préparation. Aucun sujet ne sera éludé : du futur du travail à l’IA frugale, de la sécurité des modèles aux écosystèmes d’innovation, de la nécessaire diversité linguistique, et donc culturelle, à la protection des données personnelles.

La Tunisie et les nombreux talents tunisiens y ont toute leur place : vous êtes tous conviés sur la route du Sommet pour l’action sur l’IA, afin qu’ensemble nous construisions, dans un cadre de confiance, l’IA au service de tous, pour un monde prospère, plus ouvert et plus inclusif.

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