Féminicide : l'urgence d'une action concertée contre un fléau persistant

Féminicide : l'urgence d'une action concertée contre un fléau persistant

Le meurtre de la Tunisienne au Canada nous a profondément émus et a relancé la question urgente de lutter contre le féminicide. NBY, une femme dans la trentaine, aurait été mortellement poignardée par son mari dans leur domicile de Pointe-aux-Trembles, à Montréal, le 26 janvier 2024. Il s’agit du deuxième féminicide présumé survenu dans la province en 2024. Chloé Lauzon-Rivard, une femme de 29 ans de Granby, aurait été tuée le 5 janvier dernier par son conjoint, Michaël Dugas-Farcy.

Un problème mondial préoccupant

Les féminicides, ou meurtres de femmes en raison de leur genre, sont des tragédies préoccupantes non seulement en Tunisie, mais dans de nombreuses sociétés à travers le monde. Poignardées, égorgées ou tuées par arme à feu, les chiffres sont alarmants ! malgré les témoignages poignants, les récits de douleur et de résilience, les féminicides continuent de se produire à un rythme inquiétant, ces crimes odieux continuent de hanter nos sociétés.

Les mobilisations et les appels à l'action de la part des associations féministes et des citoyens conscients de l'urgence de la situation se multiplient. Des marches, des manifestations, des campagnes sur les réseaux sociaux numériques, et des initiatives locales voient le jour pour exiger des réponses politiques et sociales plus efficaces. Ces mouvements sont cruciaux pour maintenir la pression sur les autorités et pour faire entendre la voix des victimes qui ne sont plus là pour parler.

Qu'est-ce qu’un féminicide ?

Le terme féminicide est entré dans le dictionnaire « Larousse » en 2021 et désigne le « meurtre d'une femme ou d'une jeune fille en raison de son appartenance au sexe féminin ». Il ne s'agit pas seulement d'un acte isolé, mais d'un symptôme d'une culture profondément enracinée de misogynie et de domination masculine. Les femmes continuent d'être tuées simplement pour être des femmes, victimes de violences conjugales, de harcèlement, ou de crimes d'honneur dans certaines cultures.

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit le féminicide selon quatre catégories : le féminicide « intime », correspondant aux violences familiales et conjugales ; le féminicide « au nom de l’honneur », se référant au meurtre d’une femme pour protéger l’honneur de sa famille ; le féminicide « lié à la dot », c’est-à-dire le meurtre d’une jeune femme pour « non-paiement » de sa dot et le féminicide « non-intime ».

En Tunisie une multiplication alarmante des féminicides

En Tunisie, on note une multiplication alarmante des féminicides ! 13 femmes ont été tuées par leur conjoint depuis janvier 2023, contre quinze sur l’ensemble de l’année 2022. Une statistique qui laisse croire que ce fléau prend de l’ampleur en Tunisie, notamment si on rappelle l’atrocité des faits, dernièrement une femme a été brulée vive par son mari.

En Tunisie, en moyenne une femme est assassinée chaque mois par son époux. Les migrantes sont également exposées à toutes sortes de violences (sexuelles, économiques, etc.). Le Ministère de la Famille, de la Femme, de l'Enfance et des Personnes âgées confirme que, selon les dernières statistiques, la Ligne verte 1899 a reçu -durant la période du 25 juin 2023 au 25 juillet- 733 appels liés à des violences faites aux femmes. Selon les mêmes statistiques, les 216 signalements de violences faites aux femmes se répartissent entre 158 signalements de violences verbales, 84 signalements de violences psychologiques et morales, 156 signalements de violences physiques et matérielles, 39 signalements de violences économiques et 19 signalements de violences sexuelles.

Selon les chiffres publiés en mars 2023, par le réseau de recherche panafricain Afrobarometer, les Tunisiens considèrent la VBG comme le problème le plus critique en matière de droits des femmes qui doit être traité par le gouvernement et la société ; plus de la moitié (52%) disent que la violence contre les femmes et les filles est « assez courante » (31%) ou « très courante» (21%) dans leur communauté.

L’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) a réalisé une étude au mois de mai 2022, présentée par feu professeur Ahlem Bel Hadj. L’étude est intitulée « La trajectoire des femmes victimes des violences en Tunisie ». Dans une interview au media l’Economiste maghrébin (le 20 mai 2023), la secrétaire générale de l’ATFD, Ahlem Bousserwel, affirme que cette étude contient plusieurs chiffres lourds de sens : la durée moyenne pour qu’une femme victime de violence puisse trouver une solution à sa situation est 24 mois à partir du moment où elle a été violentée et où elle commence à faire le tour des administrations tunisiennes.

Autre chiffre choquant selon Bousserwel: il faut une moyenne de 68 mois pour que le procès d’une femme victime de violence soit tranché. « Parmi les femmes victimes de violences qui ont fait un parcours entre les différentes institutions, 34 affirment qu’elles étaient alourdies par les procédures de santé, de justice et de police.

De son côté, la présidente de l’ATFD, Neila Zoghlami, dans son intervention (lundi 27 novembre 2023), sur les ondes de Mosaïque FM, indique que l’année 2023 a enregistré 27 féminicides en plus de ceux qui n’ont pas été déclarés, un chiffre alarmant selon l’association.

Hausse des féminicides en Algérie

Chaque semaine en Algérie, au moins une femme est assassinée. Les associations réclament la criminalisation de ces féminicides. Mais, si la Constitution déclare protéger les femmes contre toutes les formes de violence, la « clause du pardon », incluse dans le code pénal, ainsi que le silence des proches des victimes permettent encore d’en absoudre les auteurs. Depuis le début de 2023, pas moins de 33 féminicides ont été recensés par la cellule de veille indépendante Féminicides Algérie. Le total de ces quatre dernières années est de 261. Les raisons souvent invoquées par les meurtriers sont la jalousie, de supposés crimes d’honneur et des troubles mentaux. Près de 80% des féminicides sont commis par un membre de la famille de la victime », précise Wiame Awres, cofondatrice de Féminicides Algérie au media Jeune Afrique (29 novembre 2023). Dans 61% des cas, il s’agit du conjoint ou, comme dans le cas de Racha, 19 ans, égorgée cette année par son père, d’un proche réagissant à des accusations d’infidélité supposée.

Forte hausse du nombre de féminicides au Canada

Déjà 2 féminicides au Québec en 2024 !

184 femmes ont été tuées par un compagnon ou un ex-partenaire en 2022 au Canada. En quatre ans, le nombre de féminicides a augmenté de 27%. Une hausse liée à l'absence de politique publique d'envergure, selon l'Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilité. Près de 60% des victimes ont été tuées par leur compagnon ou un ancien partenaire, note encore l'Observatoire.

Lors du bilan de 2022, les femmes autochtones constituaient 36 % des victimes de féminicides, alors qu'elles représentent seulement 5 % de la population canadienne ! Selon l’Observatoire canadien du féminicide, qui cite diverses études, les femmes autochtones sont 12 fois plus susceptibles d’être tuées par leur conjoint.

Les défenseurs des droits humains demandent par ailleurs que le pays reconnaisse les féminicides dans le code pénal, comme cela est le cas dans certains pays.

En France, le féminicide est en baisse de 20 %, un chiffre inférieur aux décomptes des associations

94 féminicides ont été commis en France, contre 118 en 2022. Le nombre de meurtres de femmes par leur conjoint ou ex-conjoint est en baisse de 20 %, mais les chiffres restent encore « très loin d'être satisfaisants, selon le ministre de la justice français, Éric Dupond-Moretti, dans une déclaration au Figaro, le 2 janvier 2024.

« Nous savons que lutter contre ce fléau prend du temps. C'est ce que l'on doit conclure de l'expérience espagnole, qui nous montre qu'il a bien fallu six à sept ans d'un plan d'envergure avant de voir les chiffres baisser drastiquement. Mais l'engagement de la justice française pour endiguer les féminicides porte tout de même ses premiers fruits », a indiqué le ministre de la Justice. Par un décret et une circulaire de novembre dernier, il a généralisé à toutes les juridictions la création de pôles spécialisés pour lutter contre les violences intrafamiliales au 1er janvier 2024.

Le collectif Féminicides par compagnons ou ex, qui répertorie les féminicides conjugaux évoqués dans la presse depuis 2016, conteste ses chiffres : « À ce jour, nous avons recensé dans la presse 102 féminicides conjugaux en France en 2023. », annonce le collectif sur X (anciennement Twitter).

De son côté, l’association Nous Toutes, dont le décompte enregistre toutes les femmes « tuées en raison de leur genre » (ce qui comprend les meurtres au sein du couple, mais aussi en dehors, notamment dans le cadre familial) comptait 134 féminicides au 31 décembre 2023, dont 72 % de féminicides conjugaux.

Les féminicides ne sont que la « partie émergée de l’iceberg » des violences intrafamiliales, relèvent les féministes. Les enfants covictimes de violences conjugales ne sont toujours pas suffisamment pris en compte. « Les droits de visite et d’hébergement sont maintenus pour le mari violent : la mère doit rester en contact pour lui remettre les enfants et ne peut lui dissimuler son adresse », déclare à l’Agence France-Presse l’experte féministe, Françoise Brié.

Un mal que les autorités ne semblent pas parvenir à endiguer, alors même que la lutte contre les violences faites aux femmes a été érigée en « grande cause du quinquennat » par Emmanuel Macron. Fin 2022, lors d'un déplacement à Dijon sur ce thème, le président de la République française avait reconnu une « obligation de faire mieux ».

Quel traitement médiatique ?

Les médias ont également la responsabilité de ne pas perpétuer des stéréotypes de genre ou des comportements toxiques qui pourraient contribuer à normaliser ou à justifier la violence à l'encontre des femmes. Ils ont un rôle crucial à jouer dans la promotion d'une culture de respect, d'égalité et de soutien aux droits des femmes.

En euphémisant les faits ou en utilisant des termes moins explicites, les médias peuvent ne pas mettre en évidence la réalité brutale de ces crimes, réduisant ainsi la prise de conscience publique sur la fréquence et la gravité des féminicides.

Selon l’étude de l’UNFPA-Tunisie, en partenariat avec la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis (décembre 2022), la médiatisation de ces cas est marquée par des récits journalistiques contre-productifs. L’étude explique qu’au niveau des sources utilisées, les journalistes ont tendance à n’exploiter que les sources policières et judiciaires.

Les témoignages sont également présents parmi les sources interrogées, cependant, le recours aux experts, aux sociologues, aux psychologues et aux représentants des différents ministères concernés ou à la société civile n’est pas une pratique privilégiée

Le traitement médiatique de la violence contre les femmes reste un sujet problématique qui nécessite une approche responsable et éthique pour éviter de perpétuer les préjugés et les stéréotypes nuisibles.

Chaque féminicide est une tragédie évitable qui nous rappelle l'urgence d'une action concertée. Nous ne pouvons plus nous permettre de détourner le regard ou de rester silencieux face à cette violence insensée. Il est temps de dire "plus jamais" et de travailler ensemble pour créer un monde où les femmes seront enfin en sécurité, respectées et libres de vivre sans crainte pour leur vie.

Par Souhir LAHIANI

(Docteure en sciences de l’information et de la communication)

Votre commentaire