Féminicides en Tunisie : silence on tue

Un féminicide bouleversant s’est produit dimanche 6 avril 2025 à La Manouba. Une femme de 42 ans, mère de deux enfants, a été sauvagement tuée par son mari, qui l’a poignardée à plusieurs reprises en pleine rue. Sa fille de seize ans a également été blessée en tentant de s’interposer.
Selon les premiers éléments de l’enquête, l’auteur du crime est le second mari de la victime, qu’elle avait épousé il y a deux ans malgré son lourd passé judiciaire. L’homme avait déjà été condamné pour des faits d’agression, comme l’a révélé la sœur de la victime ce lundi 7 avril sur les ondes de Mosaïque FM.
La sœur a précisé que les tensions au sein du couple étaient récurrentes depuis plusieurs mois. Les premières disputes auraient éclaté en raison de différends entre l’agresseur et le fils de la victime, issu d’un premier mariage. Mais « ce sont surtout des problèmes financiers qui auraient envenimé la situation, jusqu’à mener au drame », a-t-elle confié.
Toujours selon ses déclarations, l'épouse avait déjà été victime de violences physiques et verbales de la part de son époux. « Elle avait porté plainte à ce sujet, mais sa requête n’aurait pas été suivie d’effet, laissant la victime sans réelle protection », a-t-elle regretté.
Une femme sur deux victimes au moins une fois dans sa vie de violence domestique
En 2024, 25 femmes ont été tuées, un bilan similaire à celui de 2023. En six ans, le nombre de victimes a quadruplé, passant de six décès en 2018 à 25.
Les femmes tunisiennes sont toujours confrontées à des niveaux élevés de violence. Selon une enquête des statistiques de la Tunisie publiée le 7 mars 2024, 84,7% des femmes interrogées ont déclaré avoir été victimes d'au moins un acte de violence depuis l’âge de 15 ans. 57,1% ont déclaré avoir subi une agression au cours des 12 derniers mois.
Des chiffres qui font froid au dos
42,7% des femmes ont été victimes d’au moins un acte de violence conjugale les 12 derniers mois qui précèdent l’enquête..
46,2 % des femmes enquêtées ont divorcé pour des raisons de violences physiques, verbales et/ou psychologiques (y compris l’adultère).
35,6% des femmes ont été victimes d’au moins un acte de violence non conjugale les 12 derniers mois qui précèdent l’enquête.
19 % des femmes ont vu ou entendu dire que leur mère a été violentée par leur père.
17% des femmes ne se sentent pas confortable (متهنية) dans leur vie de couple.
En Tunisie, les violences augmentent en même temps qu’il y a une crise économique, une crise politique ou encore une crise sociale et on sait que dans les moments difficiles de crise, ce sont toujours les femmes qui en pâtissent le plus.
La mort tragique d’une jeune femme tuée par son mari a mis en évidence les conséquences désastreuses des manquements des autorités chargées de protéger les femmes tunisiennes contre la violence domestique.
La loi ne suffit pas, faire évoluer les mentalités pour gagner le combat
Malgré une loi importante en matière de lutte contre les violences, votée en 2017 et supposée mieux protéger les victimes, les féminicides sont fréquents et les associations dénoncent le silence des autorités sur le sujet.
Contre les violences faites aux femmes, la loi ne suffit pas. Mais comme le système tunisien de protection est inefficace, celles-ci continuent tous les jours à mourir sous les coups.
En 2024, dix centres d’hébergement d’urgence pour les femmes victimes existent en Tunisie. C’est huit de plus par rapport à 2022. Malgré l’existence de ces dispositifs nous pouvons dénoncer les “longueurs des procédures judiciaires” qui aggrave selon lui, la prise en charge des femmes.
Viols, mutilations sexuelles féminines, violences conjugales, prostitution, harcèlement sexuel, mariages forcés, crimes dits « d’honneur », polygamie... ces violences, loin d'être des faits isolés, sont le produit d’un système patriarcal instituant un rapport inégalitaire entre les femmes et les hommes. L’origine sexiste de ces violences est reconnue dans de multiples résolutions et rapports internationaux et nationaux, et pourtant elles ne reculent pas !
Un État patriarcal ne peut prévenir les féminicides
Un système fondé sur la domination masculine ne peut s’étonner de voir sa logique poussée jusqu’à ôter la vie à l’autre appelée en arabe « le sexe faible ».
Le combat pour arrêter ces violences sur la femme n’est pas terminé pour les défenseurs des droits des femmes. Il est nécessaire de poursuivre et de renforcer les politiques publiques et les moyens dédiés pour la prévention et l’accompagnement des femmes ainsi que le soutien aux associations engagées dans la lutte contre ces violences, en particulier celles qui accompagnent des femmes sur l’ensemble du territoire.
Pour éviter de tels drames à l’avenir, le gouvernement tunisien doit prendre des mesures de grande ampleur. Cela suppose de former la police, les juges et les procureurs aux exigences de cette loi et de les amener à rendre des comptes lorsqu’ils s’abstiennent d’enregistrer des plaintes, d’émettre et d’appliquer des ordonnances de protection et d’enquêter sur des affaires. Cela suppose également de sensibiliser aux services de soutien destinés aux victimes de violence domestique et de mettre en place des campagnes de sensibilisation et d’éducation du grand public pour faire évoluer les attitudes sociales propices à la violence à l’égard des femmes.
La lutte contre les violences à l'encontre des femmes n'est pas aujourd’hui « Grande Cause Nationale »
Nous appelons chaque citoyen(n)e à en faire sa cause personnelle. Chacun(e) d'entre nous peut s'engager dans ce combat, en remettant en cause les stéréotypes sexistes dans sa vie quotidienne, en sensibilisant ses proches, en se mobilisant pour obtenir des pouvoirs publics le renforcement de la politique de lutte contre les violences. Agissons sur les mentalités est une priorité absolue pour gagner ce combat sociétal vital.
La violence à l’égard des femmes n’est jamais acceptable, jamais excusable, jamais tolérable.
A.Klai
Votre commentaire