Ghazi Mabrouk : "Le deal…le «dol» du siècle !"

Ghazi Mabrouk : "Le deal…le «dol» du siècle !"

Le livre de Ghazi Mabrouk (*) «La Palestine Assassinée» publié par Ceres Production et distribué par Demeter dans les années 80, est actuellement mis à jour par son auteur. Sachant le nouveau moment historique tragique que traverse la cause palestinienne, avec le soi-disant «deal du siècle» projeté dans l’environnement politico-médiatique international, nous avons engagé ce dialogue avec Ghazi Mabrouk, sur ce sujet :

Vous devez, comme nous tous, avoir été choqué par le dernier cru de ce qui a été appelé « le deal du siècle » en direction des palestiniens ?

Pas le moins du monde ! Il fallait vraiment être naïf et crédule, pour ne pas avoir imaginé qu’en temps opportun et à terme les Etats-Unis, Israël et les forces d’influence dans le monde n’allaient pas saisir – et même façonner – les opportunité pour «débarrasser» la dynamique  sioniste de l’assise palestinienne dans le monde arabe et dans le reste du monde occidental.
  
Et pourtant ce ne sont pas les tentatives de plans de paix qui ont fait défaut. Elles sont multiples et variées depuis des décennies.

En effet, le saupoudrage qui a fait cours durant des décennies, avec la complicité active et tacite des tenants de divers pouvoirs au Moyen-Orient, a été savamment médiatiquement exploité à bon escient par la machine pro-israélienne. Mais cela avait un seul but : celui que nous venons de vivre, et qui n’en est qu’à ses débuts en matière de lâchage et de lynchage de la cause palestinienne par tout un chacun. 

Le Président de la République tunisienne Kaïs Saïed est sur une ligne fondée sur la fidélité et il l’a déclaré en proclamant comme «haute trahison» en Tunisie, la collusion avec les sionistes et Israël.

On ne peut pas douter de la sincérité et de la portée de l’engagement de la personne du Président de la République à l’égard de la solidarité avec la cause palestinienne, tout au long de son parcours citoyen, universitaire et politique. Toutefois, force est de constater qu’il s’agit d’une affirmation forte, au porte-voix, mais qu’elle ne s’appuie pas sur un texte de loi qui criminaliserait cette trahison en tant que telle. 

En parler est une chose, mettre en branle les conditions d’un texte législatif à cet effet, en est une autre. Lorsque nous verrons le Président de la République engager cette initiative, les contours seront perçus autrement, par-delà les déclarations. 

Pourtant le Ministère tunisien des Affaires Etrangères a pris officiellement position au sujet de ce «deal du siècle».

Avec les tournures diplomatiques d’usage ! Même si la Présidence de la République, dont il est sensé dépendre, à réorienté la texture de la position dans un sens plus combattif, le Ministère des Affaires Etrangères est le Gouvernement tunisien, et ne pouvait pas aller plus loin alors que le pouvoir gravite autour des islamistes en Tunisie. 

Vous imaginez que les islamistes tunisiens vont prendre le risque de se mettre à dos le puissant lobby pro-israélien AIPAC ou les Etats-Unis et leur Président, surtout en ce moment ? Un simple communiqué de circonstance a fait l’affaire. Et contre cela le Président de la République ne peut rien.

Bourguiba l’aurait-il fait ?

Arrêtons de tout ramener à Bourguiba. Il a historiquement fait ses preuves quant au soutien réel à la cause palestinienne. Si on l’avait écouté à Jéricho, les officiels palestiniens n’en seraient pas là.

Il avait préconisé une politique par étapes, fondée sur la légitimité onusienne ?

Pas que ça ! Le Président Habib Bourguiba avait surtout appelé - bien avant la débâcle de 1967 - les palestiniens à ne compter que sur eux-mêmes et à adopter l’approche de la lutte du Mouvement National tunisien pour l’indépendance. Il les avait mis en garde contre les manipulations des dirigeants arabe et leur verbiage anesthésiant. 

Ce grand leader visionnaire avait conseillé le pragmatisme vigilent et militant, sur la durée. Il a été un vrai soutien à la lutte de libération du peuple palestiniens, au point que des leaders sionistes tels que Golda Meïr craignaient son approche stratégique. N’oublions pas la phrase fameuse de Bourguiba à Yasser Arafat après les accords bilatéraux : «trop peu ! trop tard» ! 
Maintenant, Bourguiba est là où il est ! Il a fait son devoir. Qu’on lui fiche la paix. Les forces nouvelles vont pouvoir nous montrer désormais leur intelligence et leur détermination et vont nous montrer ce qu’elles savent vraiment faire, si tel est le cas. Qu’elles abandonnent le camouflage et qu’elles aient l’honnêteté intellectuelle d’agir au grand jour. C’est bien ce qu’attend la jeunesse de notre pays, non ?

Les occidentaux et leurs relais d’opinion sont en train de mener campagne pour une criminalisation de l’antisionisme ont voulant le classifier comme antisémitisme.

La grande supercherie continue. Il faut être très clairement contre l’antisémitisme et les comportements anti-juifs sont à condamner et à proscrire dans notre quotidien et dans notre culture.
 
C’est le sionisme qui est antisémite ! 

Le sionisme porte en germe l’antisémitisme. Israël est l’émanation d’un phénomène et d’un processus purement colonial à connotation référentielle religieuse.

Comment, dans ce cas pourraient survivre les palestiniens dans un tel contexte ?

Il y a eu une faute à double détente qu’avait déjà soulignée Bourguiba : celle d’accepter de suspendre la lutte sur le terrain et celle d’avoir mis le doigt dans le pseudo-processus de paix. Ces deux fautes ont vampirisé les élans de la résistance palestinienne et du peuple palestiniens et ont fait miroiter des espoirs vains.

Et l’Etat palestinien dans tout ça ?

Depuis 40 ans, lorsque j’étais l’un des jeunes cofondateurs des Comités Palestine en Europe dans les années 70, j’avais été pour un seul Etat. Et je l’avais longuement exprimé dans mon livre précité et qui est toujours disponible sur Amazone. Il aurait fallu fondre les palestiniens sous occupation dans un Etat colonisateur et leur permettre de faire ainsi jouer la lutte permanente de l’intérieur, sous la férule visible de l’occupant : Un peuple, une terre palestinienne, même occupée ! Et un apartheid affiché. 

Ghazi Mabrouk présentant son livre à Bourguiba

Vous avez vu la politique de Frederik De Clerc et Nelson Mandela en Afrique du Sud ? C’est ainsi que l’apartheid sioniste aurait été pourri et que le peuple palestinien aurait repris son destin en main. Il aurait fallu du souffle et de la durée. Ceci au lieu d’avoir à valider la politique de la dernière guerre mondiale en France, à savoir «une zone libre et une zone occupée».
 
Maintenant, pour répondre à votre question, je dirai :c’est fini ! Les dirigeants palestiniens en sont les premiers responsables. Je dis toujours à mes étudiants la chose suivante : «Il ne faut pas incriminer les adversaires qui savent travailler et aboutir à leurs fins. Il faut plutôt se critiquer soi-même de votre propre absence de savoir faire et de succès. Prenez-vous en plutôt à vous-même de ne pas savoir le faire. Ils y sont arrivés eux et vous pas» !

Comment qualifieriez-vous ce qui est présenté comme «Le Deal du Siècle» ?

Ce n’est pas un deal. C’est un dol ! Le dol désigne une manœuvre frauduleuse visant à tromper une personne ou une partie, dans le but d'obtenir son consentement. Espérons pour le peuple palestinien que cette approche n’est pas en bonne voie.
J’aimerai terminer cet entretien, si vous le permettez, et citer le Général de Gaulle le jour de la libération de Paris en 1944, en le paraphrasant : «Palestine outragée ! Palestine brisée ! Palestine martyrisée ! Mais Palestine immuable !»

Propos receuillis par N.B.M

---------------
 (*) Ghazi MABROUK - Docteur en Sciences Politiques de l’Université de Paris – Professeur Emérite des Université en Diplomatie Economique et Lobbying - Conseiller Spécial de l’Observatoire Européen du Maghreb - Spécialiste des Fonds Souverains – Président-Exécutif du G7 Circle - Public Affairs-euro lobbyiste.  Il a exercé les fonctions de Délégué Général auprès des Institutions Internationales – Vice-président de l’Alliance Economique Européenne - Président-exécutif de la Convention Euro Méditerranée sur le Libre Echange - Vice-président de la Commission Méditerranée à l’ancien Conseil Fédéral Européen – Officer Ad-Honores – Auteur de l’ouvrage «La Palestine assassinée».

Votre commentaire