Hommage à si Hamed, l'homme de la rigueur et de la discipline

Hommage à si Hamed, l'homme de la rigueur et de la discipline

Avec le décès du Dr Hamed Karoui, la Tunisie perd un de ses enfants les plus valeureux, un des fondateurs de l’Etat national. Personnellement, je perds un patron auprès de qui j’ai beaucoup appris. J’ai eu en effet le privilège de travailler sous son autorité au ministère de la Jeunesse et des Sports puis à la direction du PSD entre 1986 et 1988. Il me rappela à ses côtés lorsqu’il a été nommé aux fonctions de Premier ministre le 27 septembre 1989 et j’y suis resté juste une année. Si Hamed comme on l’appelait affectueusement était un homme très raffiné, d’une grande culture et d’une affabilité confondante. Il était surtout d’une grande rigueur et d’une discipline à toute épreuve y compris dans sa vie personnelle. Pour lui, la ponctualité était une valeur cardinale avec laquelle il ne transigeait jamais. L’heure c’est l’heure, et il n’est point question de pénaliser ceux qui arrivent à l’heure. Ainsi les conseils ministériels se tenaient à l’heure annoncée et les portes se fermaient dès que les travaux commençaient. Il n’a pas fallu longtemps pour que les membres du gouvernement le comprennent et arrivent plus tôt que prévu sinon ils trouvaient portes closes. Cette rigueur, il en faisait une marque de fabrique, puisque les réunions devaient être aussi brèves que possible sans fioritures ni débat stérile. Il avait aussi une capacité de synthèse phénoménale. Il n’aimait pas tant que d’être distrait par des questions secondaires. Lorsqu’il avait officié en tant que directeur du PSD il avait exigé que l’on ne venait pas perturbait son travail et que tous ceux qui voulaient le rencontrer sollicitent un rendez-vous auprès de son secrétariat, ce qui avait amené certains de comparer la direction du Parti qui était auparavant un moulin à vent à « une clinique ». Cela ne l’empêcha guère de tenir à ces rendez-vous pris à l’avance.

Homme de compromis
Homme à l’esprit ouvert il ne détestait pas tant que les positions tranchées et les excès d’où qu’ils viennent. Démocrate par nature et tempérament, il avait une grande capacité d’écoute et laissait à ses collaborateurs un large champ d’action et une grande marge de manœuvre, ce qui n’était pas commun à son époque. Homme de compromis, il avait gardé des amitiés dans toutes les familles politiques et ne s’en cachait guère. Ainsi avais-je eu l’honneur de connaitre le regretté Dali Jazy alors dirigeant du MDS qui venait le rencontrer au MJS. Par le concours de circonstance que l’on sait le même Dali Jazy fut nommé ministre de la Santé dans le gouvernement que dirigeait Hamed Karoui.
Avait-il été mis au parfum au cours de la fameuse nuit du 6 au 7 novembre 1987, je ne puis répondre à la question, mais il prit une part importante au « Changement » dont il soutint qu’il ne fut pas un coup d’état comme certains l’avancent. Aux premiers mois de la présidence Ben Ali, il fut partisan aux côtés du Premier ministre Hédi Baccouche du maintien du parti destourien quand d’autres plaidaient pour la formation d’un nouveau parti présidentiel. C’est lui qui organisa en février 1988 la réunion du comité central ayant décidé le changement du nom du parti de PSD en RCD. Le compromis fut d’ailleurs trouvé dans la nouvelle appellation puisque si le qualificatif destourien est maintenu dans le nom arabe, il ne se retrouva pas en français car on revient à la dénomination originale du parti fondé par Thaalbi, à savoir « parti libéral constitutionnel tunisien ». Hamed Karoui dirigea ensuite les préparatifs du 1er congrès du RCD dit « congrès du Salut tenu en juillet 1988. Peu de jours avant la tenue de ces assises, il fut nommé ministre de la Justice. Dans l’entourage de Hédi Baccouche, on soutint que Ben Ali lui «remit son bâton de maréchal » avant d’être mis à la retraite. A ce département où sa qualité de médecin faisait désordre, il avait été flanqué d’un chef de cabinet, juriste et militaire Mustapha Bouaziz à qui le poste devait échoir. Mais le destin en a voulu autrement puisque le 27 novembre 1989, il devint Premier ministre. Il va y rester jusqu’en 1999. Même lorsqu’il quitta la Kasbah, il demeura vice-président du RCD jusqu’en 2008.
Militant destourien dès son jeune âge, il avait gravi tous les échelons de responsabilité au sein de ce parti. Il fut tour à tour président de cellule, président de fédération (celle de France) membre du comité central, membre du bureau politique. Après la révolution, il tâcha de rassembler la famille destourienne. Ayant appelé les destouriens à « lever la tête » et à « être fiers » de leur contribution à l’édification de l’Etat national, il se résolut à réunir les destouriens de fonder le « Mouvement destourien » non point comme un parti de plus sur la scène politique mais comme un creuset pour le rassemblement de la famille destourienne. Il transmit les rênes de ce parti rebaptisé « le Parti destourien libre » à l’issue d’un congrès tenu pour le symbole le 13 août jour de la fête de la femme dans la salle du 2 mars (jour du congrès de Ksar Hellal) à l’ancienne maison du PSD, à une nouvelle direction présidée par Me Abir Moussi.
On a beaucoup dit qu’il était proche des islamistes. Ce qui n’était nullement vrai. Mais, étant pragmatique, il considérait qu’il s’agissait d’une force politique avec laquelle il fallait compter. Il considérait qu’il était meilleur de les intégrer dans le jeu politique que de les en exclure avec les risques que cela pourrait avoir. Mais il tenait à ce que cela se fasse par étapes. Ainsi a-t-il été à l’origine de l’autorisation qui leur avait été accordée de publier un journal, à savoir l’hebdomadaire « Al-Fajr ». Les choses s’envenimèrent ensuite et l’affaire de Bab Souika crispa Ben Ali et toute possibilité de dialogue devenait impossible. Cela n’empêcha pas Hamed Karoui de se concentrer sur les affaires économiques et sociales de façon prioritaire. Ainsi il avait été l’initiateur des « négociations sociales » avec les organisations professionnelles et des accords triennaux de majorations salariales en vue d’instaurer une paix sociale durable.
Homme à la probité jamais prise en défaut, il n’avait jamais tiré le moindre avantage de ses éminentes fonctions ni pour lui-même ni pour ses proches. Personne n’osait d’ailleurs lui demander une faveur qu’il ne méritait pas.

R.B.R

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