Khaled Khiari:"C’est grâce à la Tunisie que j’ai pu donner la pleine mesure de mes compétences"
Sa nomination a été accueillie avec un enthousiasme non dissimulé, car cela fait longtemps qu’un Tunisien n’avait pas accédé à une fonction aussi prestigieuse. Mais comme une bonne chose ne vient jamais seule. Quelques jours après sa nomination, la Tunisie est élue à la quasi-unanimité en qualité de membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU où elle siègera en 2020 et 2021.
Khaled Khiari nommé Sous-secrétaire général des Nations Unies pour les questions politiques et de maintien de la paix au Moyen-Orient, en Asie et au Pacifique est actuellement l’Arabe qui exerce la fonction la plus élevée au sein du secrétariat de l’ONU sous l’autorité de l’actuel Secrétaire général le Portugais Antonio Guterres. Ce dernier l’a vu à l’œuvre et a beaucoup apprécié ses qualités.
En effet, de novembre 2012 à décembre 2018, Khaled Khiari a servi comme ambassadeur permanent de la Tunisie auprès de l’ONU à New York. Comme il a fait la transition entre Ban Ki-moon auquel il a remis ses lettres de créance et Guterres, qui vient de le nommer à son nouveau poste, il a eu le même privilège puisque nommé par l’ancien président Moncef Marzouki sous le gouvernement de la Troïka, il a accueilli le président Béji Caïd Essebsi lors de sa visite officielle à la Maison de Verre de Manhattan.
Le gars de Hammam-lif, joueur dans sa jeunesse au Club sportif local n’est pas peu fier de son parcours puisque pour lui c’est un rêve qui se réalise. Fruit du travail et de la chance, son accession à cette haute fonction internationale il la doit à son pays mais surtout à lui-même.
Le presque sexagénaire (il aura 60 ans en 2020) est un diplomate né. En 35 ans de carrière, le diplômé de l’Institut supérieur de gestion, entré au MAE sur concours s’est spécialisé dans la diplomatie multilatérale. Son premier poste en 1987 fut à Genève à la représentation de la Tunisie auprès de l’office des Nations Unies et des institutions spécialisées. De retour à Tunis en 1994, il est nommé directeur adjoint des Nations Unies et du Conseil de sécurité à la Direction générale des organisations et des conférences internationales. De 1996 à 2002, il est affecté à l’ambassade de Tunisie à Bruxelles où il est en charge des relations avec l’Union Européenne...
En 2003, il est de nouveau affecté à Genève où il restera jusqu’en 2006. Entre 2006 à 2009, il occupe la fonction de directeur adjoint d’Euromed au Département Europe du ministère des Affaires étrangères. En juillet 2009, il fait un court intermède comme Chargé de mission au cabinet du ministère de la Jeunesse et des sports.
De septembre 2011 jusqu’à sa nomination en qualité d’ambassadeur-représentant permanent auprès des Nations Unies à New York en novembre 2012, il est directeur des droits de l’homme auprès de la Direction générale des organisations et des conférences internationales du ministère des Affaires étrangères depuis septembre 2011. De retour à Tunis, au terme de son mandat comme ambassadeur représentant permanent auprès de l’ONU, Khaled Khiari a été nommé directeur général pour l’Asie-Amérique et Pacifique au ministère des Affaires étrangères.
Avant de quitter Tunis pour s’envoler à New York, où il prendra ses fonctions, Khaled Khiari a bien voulu nous accorder en exclusivité l’interview ci-après, ce dont nous le remercions. Nous lui exprimons nos vœux les plus chaleureux de succès dans cette haute charge où il fait honneur à la Tunisie, ce dont nous tirons une légitime fierté.
Espace Manager : Vous êtes nommé Sous-secrétaire général des Nations Unies, vous succédez à de grands diplomates tunisiens comme M’hamed Essaafi et plus récemment le regretté Hédi Annabi, la Tunisie a-t-elle joué un rôle dans votre nomination puisque votre poste n’est pas soumis à la répartition géographique ?
Khaled Khiari : Bien évidemment, ma nomination, je la dois à mon pays. C’est grâce à la Tunisie que j’ai pu donner la pleine mesure de mes compétences. De par mon statut d’ambassadeur-représentant permanent de la Tunisie auprès de l’ONU à New York j’ai pu connaitre les arcanes de l’organisation internationale. Président de l’ECOSOC (Conseil économique et social de l’ONU), président du conseil d’administration d’ONU-Femmes, j’ai été en mesure d’être vu à l’œuvre. C’est en étant président du comité de réforme du Conseil de sécurité, que j’ai joui d’une certaine visibilité qui m’a permis d’être invité par des grands pays comme l’Inde ou la Chine. Tout cela je le dois à la Tunisie qui a soutenu pleinement mon accession à ce poste. Je lui en suis reconnaissant et je ferai de mon mieux pour être à la hauteur de la confiance placée en ma personne.
Vous êtes nommé concomitamment avec l’élection de la Tunisie comme membre non permanent au Conseil de sécurité, une élection que l’on vous doit en votre qualité d’ancien ambassadeur représentant de la Tunisie auprès de l’ONU. Y a-t-il un lien entre les deux événements et y aurait-il synergie entre les deux fonctions ?
En vérité, il n’y a pas de rapport entre l’un et l’autre. Cela fait plusieurs années que nous avions commencé les démarches pour l’accession de notre pays à la fois au Conseil des Droits de l’Homme et à la qualité de membre non permanent du Conseil de sécurité. En ma qualité d’ambassadeur-représentant permanent je m’y suis pleinement investi. Je suis heureux que les deux événements soient concomitants, j’en tire une fierté professionnelle et personnelle. Mais la neutralité de la fonction publique internationale m’oblige à un devoir de réserve, y compris en direction de mon propre pays, car je dois être à égale distance de l’ensemble des Etats membres.
Vous vous définissez comme un diplomate multilatéraliste ? La diplomatie multilatérale a-t-elle un avenir avec un monde où l’Amérique veut régenter tout en étant un pays dominateur et sûr de lui-même, comme disait le Général de Gaulle d’Israël ?
Dans un monde globalisé, la diplomatie multilatérale est plus que jamais indispensable. Les problèmes les plus graves sont ceux qui concernent l’humanité dans son intégralité et ceux-là on ne peut leur trouver des solutions que dans un cadre multilatéral. Ce ne sont pas uniquement les questions politiques qui sont les plus importantes même elles sont les plus visibles surtout lorsqu’il s’agit de conflits réels ou latents. Les dérèglements climatiques, le terrorisme transnational, le crime organisé, tous ces nouveaux fléaux se posent à tous et exigent des solutions qui ne peuvent être prises que dans un cadre global. C’est aussi le cas des grandes avancées technologique, des nouveaux outils de communication, du développement du commerce, cette panoplie du XXI ème siècle et des siècles suivants rendent indispensable la mise en place de règles acceptables par tous, ce qui ne peut être envisagé que dans un cadre multilatéral. D’ailleurs même les pays qui semblent privilégier leurs intérêts propres s’investissent de plus en plus dans les négociations multilatérales.
Vous aurez sous votre autorité les plus grands conflits que connait le monde puisque de la Corée du Nord, en passant par l’Iran, l’Afghanistan, l’Irak et en arrivant à la Syrie, à la Palestine et au Yémen ce sont les guerres et les problèmes les plus insolubles que connaissent ces régions du monde; comment allez- vous, vous y prendre, pour y construire ou y maintenir la paix ?
Ce que vous dites est vrai, même si l’on doit quelque peu relativiser, puisque l’Afrique connaît elle aussi des conflits et a besoin du peace-making, peace-keeping et peace-building. Cela ne m’effraie guère, car au sein de l’Organisation des Nations Unies, tout est bien huilé. La chaine de commandement, la prise de décision, la concertation. Tout est bien agencé de sorte que mon rôle sera grandement facilité. Je serai amené à beaucoup voyager dans les pays qui sont dans ma zone de compétence, je serai en contact permanent avec les représentants ou émissaires du Secrétaire général dans les pays concernés. Bien évidemment, tout sera entrepris sous l’autorité du Secrétaire général Antonio Guterres qui s’investit personnellement en faveur de la paix et de la sécurité internationales.
Votre qualité de Tunisien et d’Arabe est-elle un atout ou un handicap s’agissant de votre action en faveur de la cause palestinienne, une question qui figure parmi vos attributions et pour laquelle vous devriez beaucoup vous investir ?
Ce ne serait ni l’un ni l’autre, car la position des Nations Unies et de son Secrétaire général sur la question palestinienne est claire et ne peut donner lieu à aucune confusion. L’ONU est pour la solution des deux Etats vivant en paix côte-à-côte. Elle défend la légalité internationale tant en ce qui concerne la ville sainte d’Al Qods-Jérusalem qu’en ce qui a trait au Plateau du Golan. Certes le processus de paix est lent mais nous ne devons pas perdre espoir.
Vous avez été président du comité chargé de la réforme du Conseil de sécurité. Verrons –nous un jour le début du commencement de cette réforme devenue un serpent de mer ou l’Arlésienne dont tout le monde parle mais que personne n’a jamais vue ?
C’est un sujet important qui m’a été donné de connaitre de près, en ma qualité de président du comité de réforme du Conseil de sécurité. Des avancées importantes ont été réalisées même si on en parle peu. Ainsi les membres non-permanents parmi lesquels siègera la Tunisie en 2020-2021 ont plus de responsabilités au sein du conseil. Ils assument un vrai rôle dans la paix et la sécurité internationales.
La pierre d’achoppement reste la configuration du conseil tel qu’il existe et qui lui est hérité de la seconde guerre mondiale. Des divergences demeurent s’agissant des membres du conseil, des pays détenteurs du veto, de la durée du mandat des membres non permanents, puisque certains voudraient créer une catégorie intermédiaire avec des pays ayant un mandat plus long (6ans par exemple) au sein du Conseil. Comme il s’agit d’une révision de la Charte, cela nécessite qu’aucun des membres permanents n’oppose son veto et qu’il y ait un très large consensus au sein de l’Assemblée générale. Cela n’est pas encore le cas, mais cela viendra. Sera-t-il envisagé à moyen ou à court terme, personne ne le saurait. Mais ma conviction est que cette réforme se fera un jour ou l’autre. Car le plus grand danger c’est que le Conseil de sécurité perde sa crédibilité. De cela personne ne voudrait.
Propos recueillis par Raouf Ben Rejeb
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