Accusés d’apologie du terrorisme pour avoir diffusé un reportage montrant des images d’un jeune berger décapité dans la région de Sidi Bouzid, neuf journalistes de la chaîne tunisienne El Wataniya 1 ont été convoqués le 18 janvier par la brigade policière anti-terroriste de Gorjani. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une instrumentalisation de la loi anti-terroriste.
Lundi 18 janvier, neuf journalistes de la télévision nationale de Tunisie El Wataniya 1 ont été interrogés par la brigade antiterroriste d’El Gorjani pour avoir diffusé un reportage sur la décapitation d’un berger de Sidi Bouzid le 14 novembre dernier. Le rédacteur en chef du média privé Hakaek online a reçu une convocation semblable mais a refusé de se rendre à la brigade.
Ce mardi 19 janvier, c’est au tour de la journaliste Nadia Rtibi de se voir citée. Si l’affaire était portée devant le tribunal, les journalistes risqueraient de un à cinq ans de prison ferme, comme le prévoit l’article 31 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent.
Selon le Syndicat national des journalistes Tunisiens (SNJT), dont une délégation s’est rendue au Premier ministère le 19 janvier 2016, le Premier ministre Habib Essid leur a affirmé que l’objectif de la justice tunisienne était de rechercher les “taupes” complices des terroristes au sein de la télévision publique nationale tunisienne. Les personnes convoquées sont pourtant toutes censées l’avoir été à la suite de la réalisation d’un sujet sur le berger de Sidi Bouzid. Il y a donc une nette contradiction entre la légitimité des investigations destinées à démanteler les réseaux terroristes et la réalité des enquêtes menées par la justice. Toute enquête centrée sur la production et la diffusion des contenus journalistiques est une atteinte à la liberté de la presse.
Le décret-loi 115 prévoit explicitement dans son article 69 que l’engagement des poursuites pour les délits commis par voie de presse ou par tout autre moyen d’information ne peut se faire que conformément aux dispositions de ce décret-loi. A ce titre, l’utilisation de la loi antiterroriste contre les journalistes de Wataniya 1 est clairement un abus de droit.
“Le déclenchement de cette procédure, sur le fondement de la législation antiterroriste, démontre malheureusement que les autorités tunisiennes passent par pertes et profits le décret-loi 115, adopté après la révolution pour protéger les journalistes tunisiens, déclare Yasmine Kacha, responsable du bureau Maghreb. Justifier la limitation du droit à l’information par des arguments sécuritaires est extrêmement grave et peut conduire, à terme, à l’auto-censure des journalistes. Nous demandons au ministre de la Justice Omar Mansour de rappeler aux magistrats d’appliquer la législation spécifique.”
En décembre dernier, le rédacteur en chef d’Inkyfada était lui aussi interrogé par la brigade anti-criminelle de la gendarmerie nationale dans une affaire du même ordre.
La Tunisie figure à la 126 ème place du Classement de la liberté de la presse 2015 de RSF.
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