La loi bancaire et des institutions financières 2016, répond –elle aux exigences du système?
(Par le Professeur Ali Chebbi)
La loi bancaire et des institutions financières (BIF) adoptée cette semaine par l’ARP présente des avantages liés (1) au renforcement institutionnel du dispositif de contrôle, (2) à l’élargissement du champ d’exercice de la BCT eu égard à son indépendance reconnue par son nouveau statut, et (3) des mesures préventives garantissant les droits des déposants en cas de faillite.
Cependant à la lecture des 198 articles de cette loi, quelques insuffisances auraient pu être évitées. Nous les articulons autours des deux questions suivantes :(1) Les nouveautés apportées par la Loi Bancaire et des Institutions Financières de 2016 (LBIF) sont-elles si profondes et innovatrices, (2) Cette nouvelle loi serait-elle au diapason des prérogatives du développement de la deuxième république? L’objectif est d’apporter un éclairage supplémentaire sur le devenir des institutions bancaires actuellement objet de polémiques.([1])
I. LES NOUVEAUTÉS DE LA NOUVELLE LOI BANCAIRE : PORTÉE ET LIMITES
Établie dans la lignée du nouveau statut de la BCT récemment adopté, celle articulée autour du fonctionnement interne de l’institution, la LBIF apporte les nouveautés suivantes :
(1)La finance non-conventionnelle ou islamique : ne faisant pas exception par rapport à plusieurs économies dans le monde, et dans un contexte de polémiques locales extra-économiques, la LBIF retient le principe de la finance islamique comme source additionnelle (i) de mobilisation de l’épargne, et possiblement (ii) d’atténuation des risques de crises bancaires, comme le montrent nombre de travaux empiriques. Cependant, en renonçant à la spécialisation des banques (voir plus loin),cette loi semble ne pas être exhaustive sur les produits financiers spécifiques à la finance islamique mais aussi elle délègue à la BCT sans précisions réclamées, le monopole de contrôle de la correspondance des opérations aux ‘’normes internationales’’ [Art. 11]. Le texte ne se réfère ni à un type particulier de normes, d’ailleurs assez diversifiées, liées à la finance islamique proprement dite (SmartBank, ou autres...) pour lesquelles la BCT n’a pasles capacités requises, ni à celles(les normes) adoptées par le comité de Bâle. Notons par ailleurs que les travaux actuels du comité de Bâle se poursuivent et qu’un package de nouveaux instruments de gestion des risques pour l’horizon 2017-2018, considéré par certains comme Bâle IV, est en cours de préparation. Or, aucune banque en Tunisie ne répond totalement aux conditions de Bâle II. Ces ‘’normes internationales’’, seraient-elles imposées à toutes les banques? Si oui, selon quelle stratégie? Et par référence à quel agenda? Le justificatif en faveur de la LBIF n’en donne pas de réponses.
(2) Un nouveau seuil de capital requis pour s’adonner à l’activité bancaire et financière : établi à 75 (et puis révisé a 50) MDT pour les banques et 25MDT pour les ‘’institutions financières’’ [Art. 32], ce seuil semble être déterminé arbitrairement ou simplement par référence au niveau moyen de capital des banques existantes, (soit environ 80MDT sur les 22 banques, dont le plus faible est celui de la BFT avec 5MDT et le plus élevé est de l’UIB avec 196MDT). Ce choix ne traduit pas (i) une stratégie faisant face aux limites connues du système bancaire (nous y reviendrons), (ii) ni une approche consolidant la concurrence bancaire en adoptant les acceptions nouvelles de l’Économie Industrielle,i.e., ‘’la Survie Industrielle des Banques’’, la concurrence par les couts, le monopole par l’innovation bancaire voire par la spécialisation sectorielle et le droit de propriété intellectuelle, le rôle régulateur, et non seulement stabilisateur, de la BCT..).En effet les conditions financières d’accès à l’Industrie Bancaire semblent molles, alors que celles de sortie occasionnent des couts de transactions subies par plus qu’une partie prenante [voir Art. 39-108-117, et ch. III pour les procédures].
Par ailleurs, le statu quo selon lequel la part du marché de chaque banque est isomorphe à sa taille persistera même si les distorsions ne sont pas absorbées, ce qui dénoterait de la persistance de la sous-optimalité de l’état du secteur bancaire. Le seuil minimum du capital aurait dû être mieux étudi épour ne permettre l’accès qu’à de nouvelles banques à moindre risques et à plus de capacité à financer le développement.
(3) La séparation entre la fonction de Direction Générale de la Banque et celle de la présidence de son Conseil d’Administration sauf par dérogation spéciale relevant de la BCT [Art.46]. Mais l’article 47 n’explicite pas les mécanismes de désignation des membres du CA sauf par des critères généraux portant réputation, compétence, expérience et absence de conflits d’intérêt, qui sont révolus par rapport à l’approche de la gestion/contrat par objectifs.
Le souci d’améliorer la gouvernance interne des banques en renforçant les contrôles a priori et a posteriori, sur pièce et sur place, et en imposant une structure-type a toutes les banques, est clair.([2])Ces nouvelles mesures institutionnelles renforcent et élargissent le champ d’exercice, souvent peu justifié, du pouvoir de la BCT et son intervention, un peu poussée, dans les choix organisationnels internes des banques, considérées en concurrence, au risque de compromettre leur performance : (i)environ 20 institutions, structures, conseils et commissions sont directement ou indirectement impliqués dans la gestion/le contrôle/l’audit/la punition/../la liquidation d’une banque, dont le Ministère des Finances n’est quasiment pas impliqué surtout dans celle octroyant les licences... Certaines de ses structures sont superposées et découle l'une de l'autre pour dépendre d’une tierce!
Une complexité additionnelle vient alors marquer le système bancaire, occasionnant ainsi des couts de transaction, alors que les approches modernes se penchent plutôt sur la simplification des procédures par l’amélioration du système d’information, (ii)la BCT intervient même dans le contrôle du rôle joué par chaque composante au sein de la banque ou institution financière(devant avoir une structure organisationnelle préétablie), ce qui introduirait des rigidités systémiques additionnelles et limite les marges de manouvres des banques, comme si elles n’assumaient le minimum de responsabilité sociétale. Par ailleurs, la BCT elle-même, n’est pas sujette à de tels mécanismes dans son statut.
(4)Les mesures portant liquidation des banques en faillite...ces mesures auraient dû être allégées et mieux conçues [Art 151 et suivants].Le ‘’Fonds de Garantie des Dépôts Bancaires’’, en charge de dédommagement des affiliés de la banque en faillite, et ayant le capital de 5MDT, est in fine financé par le contribuable, ce qui n’est point le cas pour les autres sociétés anonymes ayant le même statut que les banques et institutions financières!
En cas de faillite, en plus du rationnement du remboursement des déposants par le Fonds de garantie, sont exclus du dédommagement les institutions et établissements étatiques et publiques, la BCT, les banques et les institutions financières et leurs agences, la Poste et les institutions d'assurance et de réassurance, les organismes de placement collectif, les courtiers en bourse, les sociétés d'investissement,…, les directeurs généraux et adjoints, les actionnaires détenant au moins 5% du capital de la banque,..[Article 152]. L’autre source de dédommagement des déposants/créanciers est le partage du résultat net de la banque ou du résidu après liquidation, soustraction faite des montants versés par le fonds de garantie des dépôts pour indemniser les déposants. En cas d’insuffisance, le partage se fait au prorata des créances. Comme si les créanciers devaient contribuer à l’assurance de leurs fonds contre une mauvaise gestion de la part des managers!
En somme, le risque de faillite d’une banque est supporté essentiellement par ses créanciers, ses déposants, ses actionnaires et résiduellement par le Fonds de Garantie des Dépôts Bancaires puisqu’il (ce dernier) récupèrera, tout-ou-partie, les montants d’indemnisation versés au début !
Le rôle de BCT comme ‘’Financier en dernière instance’’ semble être dilué dans des procédures assez complexes …
A ce propos, la LBIF aurait pu éviter cet arsenal procédural en envisageant(i) ‘’l’Assurance des dépôts bancaires’’ et /ou (ii) l’augmentation du ratio des réserves obligatoires en le modelant en fonction de la robustesse de chaque banque, et /ou (iii) une ‘’Mutuelle des Banques’’, jouant le rôle d’Assurance et soutenant celles en difficultés. Toutefois, nous ne croyons pas que le Fonds de Garantie des Dépôts Bancaires pourrait soutenir les banques en cas de crise systémique que la présente loi n’en envisage pas les procédures de gestion, pourtant la BCT est à la tête du Comité de surveillance macro-prudentielle et de gestion des crises financières non-impliqué dans cette loi et aurait pu imposer un ‘’Early Warning System’’ à toutes les banques de la place.
II. LE PROJET REND-T-IL COMPTE DE CHANGEMENTS PROFONDS DANS LE SYSTÈME BANCAIRE ?
Le système bancaire n’est pas un ensemble de banques isolées. C’est un équilibre dont la dynamique est gérée par des règles/lois/relations. Envisager une loi devrait reposer sur des reformes portant sur la nature de ces relations et les compartiments du système bancaire. Il s’agit de (i) le moderniser, (ii) renforcer sa capacité à financer le développement et s’inscrire dans la perspective des objectifs stratégiques de l’État, (iii) approfondir ses capacités de résilience, et (iv) minimiser les risques de son effondrement. Ce faisant, elles devraient aussi établir des mécanismes faisant face aux fragilités actuelles : (i) de banques à tailles réduites, (ii) de nombre de banques non-optimal, (iii) de distribution spatiale à forte concentration dans le grand Tunis et le littoral (iv) de faible taux d’innovations financières, (v) de prédominance du secteur de l’intermédiation financière par les banques face aux opportunités réduites d’arbitrage, (vi) de disparité en termes de compétitivités (vii) de gouvernance, (ix) de difficultés d’adoption des normes de Bâle les plus récentes,(x) de tarification élevé des services et des produits bancaires, et (xi) de la dynamique des marchés monétaire et de change et les règles de conduite des banques en matière de spéculation. Nous aurions souhaité que la LBFI ait envisagé des mécanismes juridiques appropriés pour pallier ces insuffisances.
Focaliser alors la LBIF sur l’un de ces aspects sur un ensemble de contraintes procédurales, serait à notre sens la principale limite que nous déduisons de ses 198 articles.
Enfin, la LBIF ne prévoit pas la spécialisation sectorielle orientée vers des activités précises nécessaires au développement comme celles agricoles, digitales ou touristiques avec une diversification de leurs prestations…. En fait la spécialisation déclinée par la LBIF était étriquée aux seuls produits financiers non-conventionnels!
D’autres axes auraient pu être traités par la LBFI si des reformes préalables avaient été envisagées :
(1) la création de Banques-Assurances et de la Poste-Banque pour la finance inclusive,
(2) la création de Banques tunisiennes à l’internationale,
(3) la réorganisation des activités bancaires portant intermédiation financière, et surtout,
(4) La dynamique du marché monétaire et les nouvelles règles de conduite des banques,
A suivre…
([1]) La version de la loi objet de cet article est la ‘’version 2.0’’
([2]) Comité des licences, Comité d'Audit, Commission des Risques, commission de Nominations et de rémunération, Comité de sauvetage, Fonds de garantie des dépôts bancaires, Comité d'audit et de risque, Comité qui comprend des représentants du MF et de la BCT pour mener l’audit du Fonds de garantie des dépôts bancaires, et le Comité des sanctions.
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