La Tunisie ne s’effondrera pas: Rien ne laisse présager un tel scénario

La Tunisie ne s’effondrera pas: Rien ne laisse présager un tel scénario

Par Habiba Nasraoui Ben Mrad

Pourquoi donc les déclarations, quant à l’effondrement de la Tunisie au plus haut niveau international, se multiplient ? Pourquoi nous jettent-ils un tel sortilège ? Ne serions-nous pas en droit de demander des explications ?

Commençons par demander, ce qu’ils auraient signifié par effondrement, peuvent-ils au moins nous définir « l’effondrement » : une récession, un déclin, une crise économique globale…….? On ne nous en dit pas plus. Ils expriment juste leur inquiétude. A nous d’exprimer notre désarroi quant à des déclarations diffamatoires, qui peuvent porter préjudice à la paix sociale d’un pays.   

Tous les signaux, les paramètres économiques et sociaux de notre pays ne nous envoient rien qui laisserait, prévoir, entendre une telle situation, un tel scénario. Des pays comme l’Inde, la Grèce, …etc ont connu pire et ne se sont pas effondrés pour autant. Bien au contraire , grâce à la bonne gouvernance, ils ont pu redresser leur situation économique

L’effondrement, n’est pas une mince affaire, de quelques jours ou de quelques mois, l’effondrement est un déclin économique qui se prolonge et s’étale dans la durée. L’effondrement signifierait une combinaison de plusieurs facteurs à la fois à savoir :

-La cessation de paiement, impliquant que la Tunisie serait incapable d’honorer ses engagements. Quant à la notation de Moody’s , je tiens à préciser que la crédibilité de ces agences de rating a été mise à rude épreuve par l’affaire de la Silicon Valley Bank, qui au moment de sa faillite était classée au plus haut niveau de sécurité. D’autant plus que nous n’avons pas à ce jour en souvenir, que la Tunisie a failli au service de la dette.

-Un appareil productif à l’arrêt pour pas moins de 50% voire 75% de sa capacité, ce qui devrait se traduire par une baisse drastique de la production pour pas moins de 50 à 70%, et donc une croissance économique négative ; Or d’après les chiffres publiés par l’INS, la  croissance économique serait de l’ordre de 2,9% au troisième trimestre 2022. Les prévisions du FMI n’en sont pas bien loin. L’effondrement donnerait tout un autre scénario

-Des problèmes d’approvisionnement des marchés, en matières premières et produits finis. Or , à quelques difficultés près pour 3 ou 4 produits, tous les Tunisiens n’ont pas du tout un tel ressentiment.

-Des stations d’essence fermées pour plus de la moitié et des files d’attente qui n’en finissent pas

-Des millions de Tunisiens au chômage, sans revenus

-Des émeutes générales que seule la répression policière peut arrêter

-Des écoles , des lycées voire des universités qui ferment car l’Etat ne peut ni payer les salaires, ni les autres charges de fonctionnement. Le déficit budgétaire atteint 11 milliards de dinars en 2022, loin d’être alarmant, insoutenable. La loi des finances 2023, montre certes un déficit à combler mais plusieurs voies restent encore possibles dont le club de Paris, qui ne devrait plus être considéré comme une fatalité mais comme une nécessité. D’autres voies, méritant une décision courageuse  tels le changement, des billets de banque qui drainera certainement des fonds énormes pour l’Etat , un petit tour auprès des délinquants fiscaux, l’intégration du secteur parallèle

-Une dette publique insoutenable or l’encours de la dette publique de 115 milliards de dinars est loin de se situer à 150% du PIB à l’instar de la dette publique Italienne

-Des problèmes d’approvisionnement en eau , gaz et électricité, sur ce plan, rien à signaler, tout fonctionne normalement

-Une inflation galopante de plus de 100%, pouvant atteindre jusqu’à 300%, à ma connaissance , le taux d’inflation qui vient de franchir le seuil des 10% reste gérable et non alarmant.

-Un gouvernement qui est dans l’incapacité de payer les salaires. Or nous savons que tous les fonctionnaires perçoivent , et dans les délais leurs salaires, primes c’est aussi le cas des employés du secteur privé 

-Des licenciements par milliers au quotidien, or le taux de chômage en Tunisie se situe aux alentours de 15%, et ne s’est pas aggravé cette dernière année, et reste dans des normes acceptables

-Des entreprises qui mettent au quotidien la clé sous le paillasson, bien au contraire l’année 2022, a marqué la création de plusieurs nouvelles entreprises , voire des startups, qui opèrent dans les secteurs technologiques …..etc . Certes la crise pandémique a forcé plus de 100 mille PME sur les 800 mille,  à fermer leurs portes, mais ceci était dû, à la très mauvaise gestion de la crise et à la faiblesse des mesures d’accompagnement et surtout à la non implication de la Banque Centrale, dont le statut doit être et au plus vite modifié.

-Une monnaie qui perd pas moins de deux fois sa valeur voire dix fois et s’échangerait pour rien , de sorte qu’un dollar puisse valoir jusqu’à 30 dinars. Ce qui se traduirait par une aggravation intenable du déficit de la balance des paiements et notre incapacité à importer ce dont le pays aurait besoin et forcerait plusieurs entreprises à fermer leurs portes. A ma connaissance malgré l’acte criminel de Youssef Chahed, de déprécier le dinar Tunisien en 2016, notre dinar continue à tenir le coup. Et pourtant la dévaluation de 2016 aurait été applaudie par certains de nos experts. La dévaluation ne pourra jamais constituer une politique de change permettant de résoudre les problèmes de déséquilibre extérieur.

Voilà ce que signifierait l’effondrement. Nous n’en sommes pas à ce stade, bien loin. Ceci dit, nous ne devons pas nous en voiler la face, et devons reconnaître que notre pays connaît des  difficultés. Nous devons aussi reconnaître, que la seule voie, la moins douloureuse est celle d’engager des réformes de grande envergure qui porteront sur le moyen et long termes, tout  en imposant un plan d’urgence dans l’immédiat. Par ailleurs un nouveau plan de développement économique et social s’impose, et qui traduirait l’ensemble des réformes de long terme. Va falloir y penser sérieusement.

Les flux migratoires au centre des débats de l’Union Européenne

Alors justement pourquoi cet acharnement contre la Tunisie ?  Et pour répondre aux questions qu’on s’est posés au départ disons que plusieurs éléments essentiels auraient conduit , cet enchaînement de déclarations et d’expression d’inquiétudes, de la part de responsables au plus haut niveau international. Entre les déclarations du secrétaire d'État américain Antony Blinken qui a déclaré, lors d’une audition tenue, ce mercredi 22 mars 2023, devant le Sénat, que les États-Unis sont préoccupés par la situation économique de la Tunisie et qu’ils jugent que la Tunisie n’aurait d’autre  choix que de conclure un accord avec le FMI ; les déclarations de Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères, chef de la diplomatie européenne lundi 20 mars pour l’UE

qualifiant de préoccupante et peu de temps avant de dangereuse  la situation économique, politique et sociale tunisienne. “La situation en Tunisie est très dangereuse”, a déclaré Josep Borrell, à l’issue de la réunion , à se demander s’ils sont entrain de parler de la Tunisie dans laquelle nous vivons.

L’Europe craindrait un effondrement de la Tunisie. Et c’est justement l’Italie qui a demandé, de soumettre à l’étude la situation économique et sociale de la Tunisie.

L’origine de la polémique 

Alors qu’est ce qui aurait déclenché cette préoccupation de tous bords ? Tout commença en fait fin février, le chef de l’État Tunisien évoqua le danger que pourraient représenter les migrants clandestins subsahariens, et se prononça sur  l’éventualité d’un plan  visant à changer la composition du paysage démographique Tunisie. L’Etat Tunisien manifeste sa volonté de contrôler les flux migratoires en provenance de l’Afrique Subsaharienne. Cette attitude n’est pas du goût de la cheffe du gouvernement Italienne, car ceci voudrait dire que la Tunisie refuse de constituer les frontières externes et la ceinture de sécurité de l’Italie et de tous les pays de l’autre côté de la méditerranée. L’idée est claire, la Tunisie affirme sa souveraineté, et ne se conforme pas à un ordre international bien établi consistant à faire de la Tunisie, un garde côte, un pays d’accueil de tous les migrants qui voudraient traverser la Méditerranée vers l’Eldorado Européen, moyennant, une poignée d’Euros.

Fin février coïncide également avec un naufrage ayant coûté la vie à 79 personnes au large des côtes italiennes. Le gouvernement Italien, accusé de passivité s’est vu dans l’obligation de prendre  de nouvelles mesures pour lutter contre l’immigration illégale. La Première ministre Italienne Giorgia Meloni a jugé les passeurs “responsables” du naufrage, c’est pour cette raison qu’une peine allant jusqu’à 30 ans de prison était réservée aux passeurs.  Le déploiement de centres de rapatriement de migrants illégaux et la suppression des permis de séjour pour raisons humanitaires, en constituaient d’autres mesures.  

Giorgia Meloni, est justement bien engagée dans cette lutte contre l’immigration clandestine. En effet, depuis son arrivée au pouvoir en octobre 2022, la cheffe du gouvernement Italien a accumulé des positions à l’égard des navires humanitaires en Méditerranée et a exercé une pression sur les autres pays Européens pour qu’ils s’impliquent davantage dans l’accueil des migrants

Mais le nombre de migrants transitant par la méditerranée a augmenté de 116 % dès les premiers mois de l’année 2023 (Frontex), mettant la cheffe du gouvernement Giorgia Meloni, une chrétienne conservatrice en très mauvaise posture surtout qu’elle a bâti sa campagne électorale sur la promesse de lutter contre l’immigration clandestine. Or il se trouve qu’elle est également confrontée à des défis économiques  très importants dont la gestion d’une dette s’élevant à 150% du produit intérieur brut (PIB), le ratio le plus élevé de la zone euro après la Grèce.

Rappelons que le collège des commissaires européens s’est réuni mardi 14 mars pour confirmer l’adoption de“principes communs” sur la gestion des frontières européennes. La protection des frontières Européennes est ainsi l’affaire de tous les pays Européens et ils comptent bien user de tous les moyens, même peu orthodoxes, pour y arriver. La Tunisie au vu de sa position géostratégique est dans leur ligne de mire, au vu de sa vulnérabilité comparée à l’Algérie est la cible. L’UE semble bien déterminée à sortir la grande artillerie pour forcer la Tunisie à devenir un pays d’accueil, et peu importe si au passage ils piétinent une culture, une histoire, violent la souveraineté d’un pays ou la volonté d’un peuple.

Habiba Nasraoui Ben Mrad

(Docteure en Sciences Economiques, chercheure et enseignante universitaire)

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