L’après-1er septembre : Le vote de confiance et après… de mal en pis !

 L’après-1er septembre : Le vote de confiance et après… de mal en pis !

 

Depuis le 27 août 2020, on n’en a plus parler de gouvernement ou si peu. Ce jour-là, le chef du gouvernement désigné Hichem Mechichi avait réuni son équipe pour une première prise de contact. C’était hors de la présence du ministre de la Culture pressenti, l’universitaire malvoyant Walid Zidi rayé de la liste quelques heures plus tôt pour avoir montré de l’hésitation à prendre en charge ses nouvelles fonctions. La même personne était reçue au même moment au Palais de Carthage, l’occasion pour le président de la République Kaïs Saïed de lui faire part de sa confiance dans ses aptitudes à conduire le département qui lui a été imparti et de le confirmer dans ses fonctions.

Ce désaveu devait être gravé dans le marbre, puisque le lendemain, une rectification concernant le nom du ministre de l’Equipement et de l’Habitat a été adressée à l’ARP qui en a pris bonne note sans que le nom du ministre de la Culture n’ait été évoqué. Depuis lors des fuites insinuent que Mechichi avait demandé à rencontrer le chef de l’Etat mais que sa demande aurait été refusée. C’est dans ces conditions que le chef du gouvernement désigné doit se présenter le mardi 1er septembre 2020 devant le Parlement pour solliciter un vote de confiance qui lui sera indispensable pour prendre en charge ses nouvelles fonctions.

Désavoué et en apparence affaibli, Mechichi sera dans de mauvais, draps pour défendre son équipe. Supposé devenir le chef de la majorité parlementaire, c’est seulement armé de sa désignation par le président de la République qu’il se présente devant la représentation nationale. Si celle-ci lui fait défaut que lui reste-t-il ?

Nommé par la seule « volonté du Prince » qui s’est arrogé de droit d’interpréter la Constitution à sa guise, en procédant à des « consultations épistolaires » avec les partis, coalition et blocs parlementaires, sans prendre en compte leurs propositions jetées au rebus, le chef du gouvernement désigné peut-il désormais défendre son équipe, si par ailleurs un sérieux différend l’oppose au président de la République.

L’image est surréaliste, d’autant plus que tout porte à croire que Hichem Mechichi n’a pas formé son équipe et que celle-ci lui a été imposée. Plusieurs mains y auraient contribué parmi lesquelles celles de la directrice du cabinet présidentiel Nadia Akacha sont les plus évidentes. D’autres proches du président y compris de son cercle familial ont mis aussi, paraît-il, la main à la pâte.

Un gouvernement formé de bric et de broc, sans aucune ligne directrice, dénué de toute homogénéité et de la moindre harmonie. Dont le seul lien commun est le dévouement supposé au président de la République qui n’en demande pas tant, lui qui a été élu sans aucun programme ni la moindre feuille de route.

D’ailleurs quand on voit un ministère stratégique celui du plan développement et de l’investissement partir en fumée sans que l’on sache dans quel département on va retrouver ses attributions de prospective et d’impulsion de l’économie on reste coi.

De même on ne peut qu’être indigné de voir le ministère de la formation professionnelle et de l’emploi, domaine stratégique aussi s’il en est, passer sous les fourches caudines du ministère de la Jeunesse et des Sports (en y ajoutant l’insertion professionnelle) on est ahuri. D’autant que le ministre et sa secrétaire d’Etat viennent tous les deux du domaine sportif. Comment vont être gérées les grandes agence de l’emploi et de la formation professionnelle et les centaines de centres de formation professionnelle comment vont-ils être pris en charge.

Puis au moment où le secteur des mines (phosphates), et de l’énergie (el Kamour) traverse une phase critique, que fait-on ? On supprime le ministère qui vient pourtant d’être rétabli et on le fusionne avec celui de l’industrie. Il aurait été plus commode de mettre ensemble industrie et commerce et de laisser l’énergie et les mines reprendre leur autonomie.

Les exemples abondent en ce qui concerne les ministères qui auraient pu fusionner sans que cela n’ait soulevé le moindre problème.

De plus il a été envisagé la création d’un pôle économique et financier. Mais en lieu en place on se retrouve avec un ministère des finances élargi à la promotion de l’investissement. L’économie y est adjointe dans le titre mais de quelle économie parle-t-on quand le commerce, l’industrie, les mines et l’énergie disposent de leurs propres départements. Même le ministère des domaines de l’Etat créée de toutes pièces dans les années 1990 n’est pas revenu à son département d’origine celui des Finances. On va ainsi se retrouver avec un super-ministre, Ali Kooli sans le grand ministère qui va avec.

La seule bonne idée qui a été mise en œuvre est le retour de la Coopération internationale sous l’autorité du ministre des Affaires étrangères. Mais lui adjoindre l’émigration et les Tunisiens de l’Etranger dans l’état actuel des choses serait lui faire supporter un poids qu’il serait incapable de prendre en charge. A moins que le secrétaire d’Etat nommé auprès du ministre des Affaires étrangères ne s’y consacre exclusivement. Ce qui ne serait pas le cas du moment que ce dernier est appelé à suppléer le ministre dont la mission est d’être constamment en déplacement.

Mais au-delà de ces détails qui ne manqueront pas d’être soulevés par les députés lors de la séance plénière dédiée au vote de confiance, c’est l’essence même de ce gouvernement qui sera au centre des débats.

Dans un régime parlementaire où le chef du gouvernement est supposé être le chef de la majorité parlementaire, est-il possible que le nouveau nominé soit non seulement sans appartenance partisane mais que l’ensemble des membres de son gouvernement soient « totalement indépendants des partis politiques », quand bien même cette notion doit être relativisée. Car lorsqu’on a été directeur de campagne même régionale d’un candidat à la présidentielle comme c’est le cas du pressenti au ministère de l’Intérieur on ne peut pas prétendre être indépendant. De même le ministre chargé des relations avec l’ARP qui il y a quelques mois était secrétaire général d’un parti politique qui a pignon sur rue ne peut alléguer de son entière indépendance par rapport aux partis.

Aucun des partis politiques représentés au Parlement n’a accueilli d’un bon œil le fait que ces partis soient exclus de la formation du nouveau gouvernement. Seule la menace de voir le président de la République décider de la dissolution de l’Assemblée, au cas où l’investiture n’est pas décidée, qui semble avoir déterminé les partis politiques à envisager d’accorder la confiance sans conviction aucune. Ce n’est pas l’intérêt des partis qui est seul en jeu mais c’est surtout le fait que le pays ne peut point supporter une crise institutionnelle qui risque de perdurer et d’aggraver une situation déjà bien difficile.

Mais qu’en sera-t-il si l’hypothèque de la dissolution du Parlement est levée du moins pour un moment ? Car selon des fuites, Kaïs Saïed aurait assuré au président d’Ennahdha Rached Ghannouchi qu’il n’a pas l’intention de procéder à la dissolution de l’ARP ce qui a été considéré comme un feu vert à une défiance à l’égard du gouvernement Mechichi qui semble ne plus être en odeur de sainteté au Palais de Carthag !

D’ailleurs dans la Constitution rien ne contraint le chef de l’Etat à procéder à la dissolution tout de suite. Selon, l’alinéa 4 de l’article 89 de la Constitution, « Si, dans les quatre mois suivant la première désignation, les membres de l’Assemblée des représentants du peuple n’ont pas accordé la confiance au gouvernement, le Président de la République peut décider la dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple et l’organisation de nouvelles élections législatives dans un délai d’au moins quarante-cinq jours et ne dépassant pas quatre-vingt-dix jours »

Ainsi si le chef du gouvernement désigné dispose d’un mois pour former son gouvernement, l’article précité laisse entendre que le président de la République peut nommer successivement quatre personnes « aptes » ou étant à même de pouvoir former un gouvernement.

D’autre part, il est dit que le président peut décider la dissolution de l’ARP, ce qui lui laisse tout le loisir de décider de l’opportunité ou non d’élections ainsi que le moment opportun de l’organisation de celles-ci.

Cependant la question qui se pose est : les parlementaires vont-ils mettre le destin du pays une fois de plus entre les mains du président de la République s’ils décident de ne pas accorder leur confiance au gouvernement Mechichi ? Echaudés par ce qui vient de se passer au cours des dernières semaines, ils vont réfléchir à deux fois avant d’avancer sur ce chemin.

Evidemment, Kaïs Saïed qui s’est trouvé au centre du pouvoir disposant de toutes les cartes dans sa manche ne serait pas affecté si le gouvernement Mechichi ne passe pas l’épreuve du Parlement. Bien au contraire, car il deviendrait le maître incontesté du pays et des horloges. Le gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes se trouverait conforté pour un temps et il serait lui le chef de l’Etat, le timonier du pays.

Par un retournement de situation dont la Constitution de 2014 peut nous gratifier, ce sont désormais les partis politiques qui voudraient que le gouvernement Mechichi soit investi et qu’il puisse prendre les rênes du pays. Car en lui accordant leur confiance ils couperaient le lien ombilical qui relierait Mechichi à Kaïs Saïed. Ainsi le chef du gouvernement désigné prendrait la plénitude de ses pouvoirs, quitte à pouvoir procéder aux ajustements auxquels il voudrait recourir le cas échéant, s’il juge que des ministres contesteraient son autorité.

Mais il ne fait pas de doute qu’une phase conflictuelle dans les rapports entre les deux têtes de l’exécutif pourrait s’engager. Ce qui risque de détériorer les relations déjà mauvaises entre le chef de l’Etat et le président du Parlement.

Au lendemain du 1er septembre, peut-on s’attendre à l’apaisement des rapports entre les parties-prenantes de la scène politique ou bien le pays pourrait-il s’engager dans une crise institutionnelle sérieuse.

Le pire comme le meilleur sont attendus même s’il semble que le mauvais sort soit jeté et que ce quinquennat risque de conduire le pays de mal en pis….

RBR

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