Le patrimoine hôtelier tunisien en péril : Une urgence nationale

Le dossier sensible du patrimoine touristique abandonné en Tunisie n’est malheureusement pas nouveau. Depuis des années, la situation stagne, sans qu’aucune mesure concrète n’ait été entreprise pour y remédier.
Le nouveau Directeur général de l’Office National du Tourisme Tunisien (ONTT), Mohamed Mehdi Hlaoui, a récemment tiré la sonnette d’alarme, révélant que 177 hôtels sont actuellement fermés, représentant environ 60 000 lits sur un total de 230 000, soit près de 21 % de la capacité hôtelière nationale.
Du côté de la Fédération Tunisienne de l’Hôtellerie (FTH), les chiffres sont encore plus préoccupants : 181 établissements auraient cessé leur activité. Parmi eux, de nombreux hôtels autrefois emblématiques du tourisme tunisien sont aujourd’hui à l’abandon ou en perpétuelle rénovation.
Ces unités hôtelières, véritables joyaux architecturaux souvent situés sur les plus belles plages du pays ou nichées dans des oasis spectaculaires, sont désertées depuis de longues années. Les causes de ces fermetures sont multiples : problèmes financiers, litiges juridiques entre propriétaires, opérateurs ou banques, conflits de succession, ou encore blocages liés à des investissements étrangers, notamment libyens, affectés par l’instabilité politique de la région.
Certains de ces hôtels ont un espoir de renaissance grâce à des projets de rénovation en cours, bien que souvent interminables. Mais la majorité est aujourd’hui dans un état de délabrement avancé, avec un avenir plus qu’incertain.
Ce constat alarmant touche toutes les régions du pays.
Tunis et sa banlieue : Un triste reflet
Dans la capitale, l’image est particulièrement frappante. L’exemple le plus emblématique reste l’Hôtel du Lac, fermé depuis 2008, dont le remplacement par un complexe de luxe (hôtel 5 étoiles, tour de 30 étages et centre commercial) est régulièrement annoncé. D’autres établissements emblématiques connaissent le même sort. Parmi eux, l’Hôtel Amilcar, au positionnement stratégique entre Carthage et Sidi Bou Saïd, est fermé depuis 2007. Malgré des rénovations sans fin, il pourrait bientôt être exploité par la chaîne Marriott.
D’autres hôtels de la banlieue nord de Tunis ont sombré dans l’oubli : le Kahna (fermé depuis 2001), le Mégara (depuis 2004), le Nova Parc (2009), ou encore le Karim (2010).
Un décor désolant pour une région censée incarner la vitrine du tourisme d’affaires tunisien, et qui nuit à la commercialisation des enseignes hôtelières, nationales comme internationales.
À l’intérieur du pays : Une hémorragie silencieuse
La situation est tout aussi préoccupante à l’intérieur du pays. Djerba, surnommée « l’île des rêves », est aujourd’hui le symbole de cet abandon avec une trentaine d’hôtels fermés ou laissés à l’abandon.
Le gouvernorat de Tozeur, et plus particulièrement la région Tozeur-Nefta, est également touché : plus de vingt établissements y sont aujourd’hui à l’état de ruine.
Même les pôles touristiques les plus réputés ne sont pas épargnés. À Hammamet-Nabeul, une vingtaine d’hôtels sont fermés depuis des années. À Sousse, le phénomène est visible jusqu’à la corniche de Boujaafar, où les hôtels en déclin se succèdent. Monastir compte pour sa part une dizaine d’unités fermées.
La déchéance est telle qu’elle touche aussi les gouvernorats de Sfax, Mahdia, Kairouan, Gabès, Kébili, Bizerte, Kasserine et surtout Jendouba, où les carcasses d’hôtels abandonnés se multiplient.
Au-delà des grands hôtels et palaces, de nombreuses petites structures familiales ou résidences touristiques ont également fermé leurs portes, victimes d’un secteur fragilisé par plus d’une décennie de crises économiques et politiques successives.
Que faire pour sauver le patrimoine hôtelier tunisien ?
Face à cette situation alarmante, il est impératif que le ministère du Tourisme et l’ensemble des acteurs du secteur réagissent rapidement pour préserver ce qui reste du patrimoine hôtelier national.
Une stratégie de sauvetage passe inévitablement par :
- La restructuration financière des établissements en difficulté,
- L’intervention de l’état pour la restauration de certains hôtels abandonnés pour les consacrer au tourisme local.
- La diversification de l’offre touristique, au-delà du modèle balnéaire classique,
- Et la révision du cadre réglementaire, en assouplissant les conditions d’investissement et d’exploitation.
Il en va non seulement de la relance du secteur touristique, mais aussi de la préservation d’un patrimoine architectural et culturel qui a longtemps fait la fierté de la Tunisie.
B.M
Votre commentaire