L’UA face au dilemme de la pluralité ethnique !

L’UA face au dilemme de la pluralité ethnique !

Par Mahjoub Lotfi BELHEDI
Universitaire spécialiste en Droit et en Questions Stratégiques 

En parfaite continuité avec le précédent article,  nous allons tenter à dresser un constat sommaire sur la dyamique inter-éthniques sur le continent assorti d’une projection  d’un retour éventuel aux sources ancestrales de négociation à caractère évolutif.

I/ La dynamique ethnique en Afrique
 
A l'instar des activités volcaniques, la question ethnique en Afrique  suit depuis la nuit des temps une succession de cycles d'éruption et de sommeil, á une seule différence de taille, que les laves éjectées par les volcans, contrairement aux impacts chaotiques des ébullitions ethniques,  rendent les terres envahies plus fertiles de par ses constituants riches en minéraux !

Au moins, cet emprunt métaphorique a le mérite de traduire le mouvement de flux / reflux des relations inter-ethniques sur le continent.

En phase de repos, les sociétés traditionnelles africaines ont su tisser une dynamique vertueuse de déploiement territorial et de brassage humain entre différentes communautés oú  chacune puisse trouver, dans l’interdépendance, pleinement son  compte. 
En cas de contestation ou de conflit, des instances tribales de médiation et d'arbitrage tentent de trouver des zones d'accord possible (ZAP) entre les belligérants via des pratiques coutumières millénaires de gestion de crises imbibées par une sagesse ancestrale inédite ...

En phase  d'ébullition, la conférence de Berlin de 1884 qui a conduit au partage de l’afrique constitue une date de rupture anthropologique brutale  avec le  process de coexistence inter ethniques en Afrique.

En méditant la posture manipulatrice de leurs colonisateurs, une bonne partie des dirigeants africains, ont parvenu  á raviver les tensions inter-ethniques et á rendre la diversité ethnique une arme de terreur dans le grand jeu de conquête du pouvoir. 

De même, les récents coups d'État qui ont frappé un certains nombre de pays (Mali, Guinée Conakry, Burkina Faso et une tentative de putsch soldée par un echec au Guinnée-Bissau) n’échappent pas á cette règle d'instrumentalisation politique de la question ethnique qui date de l’ère coloniale dont la plupart des armées sont composées  de minorités ethniques qui ont pris  petit á petit de  l'ampleur sur la sphère politique au point de l’envahir.

En l'absence des préalables de cohésion nationale mettant fin aux discriminations inter-ethniques, certes, la boulimie  militaire va s'accroître  en inventant un modèle de « putchs populaires et légitimes ».

II/ Vers un retour aux sources à caractère évolutif 

Tout au long de son histoire, les sociétés locales africaines ont développé un corpus de traitement négocié des conflits, un savoir-faire empirique hautement riche qui pourrait ouvrir de nouvelles voies de réflexion sur les éléments structurants  spécifiques de la négociation sur le continent. 

Parmi les méthodes d'apaisement et de conciliation ancestrales, on relève à titre indicatif :

-En Afrique de l’ouest, dans une perspective de prévention  des conflits, les premiers fondateurs de l’empire du Mali (1236) ont établi des techniques de coexistence inter-ethniques  largement abandonnées aujourd'hui ! Parmi  ces techniques on cite les réunions des chefs de villages tenues sous « l’arbre à palabre » et l’usage fréquent de la méthode de  «synankouya» ou « cousinage à plaisanterie vexatoire »  permettant de décrisper les rapports entre les différentes communautés etc.

-En Afrique centrale, l'attribution de titre de  « ManiCongo » par une assemblée de chefs de clans  a contribué  largement à  la prospérité du « Royaume de Kongo » aux alentours de 1482. 

-En Afrique de l'Est, « la confédération des tribus Issas », principalement installée en Somalie et en Djibouti mais aussi en Éthiopie et au Kenya, est soumise à des règles coutumières  strictes (Heer ou Xeer) ayant pour mission d'assurer une cohésion sociale minimaliste via des pratiques complexes de régulation préventive et curative des conflits et de l'exercice de pouvoir.

-En Afrique australe, le rôle prépondérant joué par le mot-concept « Ubuntu »  dans l’activation de la conciliation sud africaine et la lutte contre l’apartheid, issu des langues Bantoue -du lingala au kikongo, du kiswahili au kinyarwanda et kirundi, du xhosa au zoulou-désignant «  Je   suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes » mais aussi « un individu est un individu à cause des autres individus » selon un vieux proverbe Zoulou …

En s'appuyant sur un riche héritage de traitement négocié des tensions et conflits inter-ethniques,  l'UA est appelée à  rompre définitivement avec la posture d’autruche et ce par la mise en place d’un package de mécanismes de résolution appropriés (au cas par cas) des tensions et des conflits inter/intra ethnique et ce en s'inspirant simultanément des sources ancestrales de médiation et de conciliation  et  des enseignements du système Westphalien. 

Entre autres, on propose :

-En termes d’objectifs,  d’inscrire la problématique ethnique á la charte de l'UA et à l’agenda 2063 sur les bases d'équité et de respect des standards internationaux relatifs aux  minorités ethniques, linguistiques et religieuses. 

-En termes institutionnels, il y a lieu de prévoir un process de conciliation et d'arbitrage au cas par cas, scindé en deux phases :
 
1- une phase de conciliation et de médiation conduite sous l’égide d’un « Conseil de conciliation inter-ethniques » / pays, composé de chefs de tribus, d'ethno-anthropologues, historiens etc.

2- une phase d’arbitrage via la création d’une cour d’arbitrage africaine relevant de l’UA, composée d’experts formés spécialement en arbitrage local.

A bon entendeur !

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