Migration : le cynisme européen est meurtrier
Un article publié dans le Monde diplomatique N° 835 du mois d’Octobre 2023, sous le titre « Cynisme à Lampedusa » PAR BENOÎT BRÉVILLE, critique « l’hypocrisie » des européens quant au traitement de la migration. Ils « font leur marché parmi les diplômés » et ferment leurs frontières devant les autres.
Extraits :
DES migrants se pressent aux portes du Vieux Continent, les services d’accueil sont débordés, la droite crie à l’invasion, la gauche se divise, les capitales européennes se rejettent la responsabilité, puis tout le monde passe à autre chose, jusqu’à la prochaine « crise».
«Si les personnes ne sont pas éligibles à l’asile, ce qui est le cas des nationalités que nous constatons en ce moment, des Ivoiriens, des Gambiens, des Sénégalais, des Tunisiens, (…) il faut évidemment les renvoyer dans leur pays», expliquait ainsi le ministre de l’intérieur français, M. Gérald Darmanin, après le débarquement de huit mille exilés à Lampedusa (TF1, 19 septembre).
Vues d’Afrique, les politiques européennes brillent par leur hypocrisie. Parallèlement aux discours martiaux, des accords, des conventions, des bureaux d’information organisent l’émigration de travailleurs pour pallier la pénurie de main-d’œuvre et le vieillissement de la population en Europe. La France fait venir des médecins sénégalais, l’Italie en appelle à des ouvriers du bâtiment algériens et ivoiriens, l’Espagne recourt à des saisonniers marocains dans l’agriculture et le tourisme. Quant à l’Allemagne, elle a récemment annoncé l’ouverture de cinq centres de recrutement pour travailleurs hautement qualifiés, au Ghana, au Maroc, en Tunisie, en Égypte et au Nigeria. Ainsi, analyse le sociologue Aly Tandian, les pays d’origine font office d’«incubateurs où sont nés, éduqués et formés des experts avant de les voir partir vers d’autres destinations (1)».
Les Européens font leur marché parmi les diplômés et alimentent diverses calamités; subissant ces désastres, et après avoir essayé bien d’autres solutions, des jeunes doivent se résoudre à prendre le chemin du Vieux Continent. Arrivés à Lampedusa, ils trouvent porte close. Au même moment, sur les télévisions et les radios sénégalaises, la région italienne du Piémont diffuse une chanson en wolof : «Vouloir une belle vie ne doit pas te pousser à te sacrifier. La vie est précieuse, la mer est dangereuse (2).» Et le cynisme européen est meurtrier.
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