Motion-Ghannouchi : Kaïs Saïed, maître du jeu et un gouvernement Mechichi « à prendre ou à laisser »

  Motion-Ghannouchi : Kaïs Saïed, maître du jeu et un gouvernement Mechichi « à prendre ou à laisser »

 

La motion de défiance contre le président du Parlement, (et surtout leader d’Ennahdha) Rached Ghannouchi, bien qu’elle n’ait pas été approuvée, continue à faire des vagues. Ce parti se rend compte qu’il l’a échappé belle, car l’adoption de cette motion aurait signifié un cinglant désaveu et un sérieux discrédit de sa direction non auprès des adversaires mais surtout auprès de ses partisans et de ses sympathisants. Dans cette phase de pré-Congrès cela fait désordre.

Le Mouvement Ennahdha a eu comme on l’a constaté le triomphe modeste non parce qu’il voulait réduire le fossé avec ses adversaires et ne pas insulter l’avenir mais surtout parce que ce qui reste de ce vote c’est qu’il y a eu 97 députés (c’est à dire près de 45% de l’effectif de l’ARP) à vouloir la chute de Ghannouchi de son Perchoir contre 16 seulement à vouloir son maintien. Certes Ennahdha et son allié le plus sûr, la coalition Al Karama ont décidé de ne pas prendre part au vote. Mais c’était plus par méfiance envers leurs élus que par souci de conforter le président du Parlement.

C’est le parti Qalb Tounes qui se trouve une fois de plus dans l’œil du cyclone. Même si aucune preuve n’est retenue formellement contre ses députés, on croit dur comme fer que les 18 bulletins nuls (car on y a mis une croix pour et une autre contre) appartiennent tous aux élus de ce parti. Qui ont cherché ainsi à brouiller les cartes. Sans donner un blanc-seing au président d’Ennahdha ils veulent montrer que son maintien au Perchoir dépend de leur bon vouloir, car si ces 18 avaient voté en faveur de la motion, Ghannouchi aurait perdu son fauteuil.

Ce que l’on doit reprocher à Qalb Tounes c’est moins d’avoir pris une attitude de soutien envers le président d’Ennahdha, cela est son droit, mais c’est surtout d’avoir camouflé sa prise de position par des artifices qui ne font pas honneur à la fonction de député, c’est-à-dire de représentant du peuple. Rendre un bulletin de vote avec deux croix bien en évidence dans le pour et le contre, tout en sachant qu’il sera comptabilisé comme nul est une attitude pour le moins indigne quand elle n’est pas attentatoire à la grandeur de la fonction. En politique, il importe de savoir prendre position au grand jour et d’en assumer les conséquences. Essayer de passer entre les gouttes, tenter le diable par la queue en prenant une attitude et son contraire, tout cela finit par se retourner contre ses auteurs.

En agissant ainsi, le parti Qalb Tounes a signé son arrêt de mort. On cherche à lui reprocher une certaine traitrise envers ses électeurs, cela doit être relativisé. Mais ce pourquoi on doit le blâmer, c’est d’avoir manqué de clarté et surtout de courage à prendre une position et à la défendre.

De l’autre côté de la scène politique, deux partis cherchent à retirer les dividendes de ce vote, car il y en eu. D’abord, le parti destourien libre et sa présidente Abir Moussi qui pour avoir été les initiateurs originels de la motion de défiance contre Ghannouchi veulent tirer un profit politique de ce vote. D’abord contre le parti de Ghannouchi poussé dans ses derniers retranchements et qui n’a dû son salut à des causes exogènes. Mais surtout contre Qalb Tounes accusé d’avoir trahi ses électeurs puisqu’il a bâti sa campagne électorale sur le rejet d’Ennahdha et sa détermination à ne jamais s’allier avec lui.

L’autre parti qui s’est lancé dans la bataille est le Courant Démocrate. Fer de lance de l’opposition au sein du Parlement au parti Ennahdha bien qu’il en soit l’allié au gouvernement Elyès Fakhfakh, le parti des époux Abbou ne veut pas laisser le champ libre au PDL sur le terrain de l’anti-Ennahdha, un thème qu’il sait porteur auprès de l’électorat. Il est d’autant plus soucieux de prendre ses distances avec le parti de Ghannouchi qu’il sait qu’on lui reproche d’avoir frayé avec les islamistes, dans un passé encore récent. Le Courant démocrate étant né d’une scission au sein du Congrès pour la République, CpR le parti de l’ancien président Moncef Marzouki dont Mohamed Abbou fut à un moment le secrétaire général.

D’ailleurs ayant senti d’où viennent les accusations les plus virulentes contre son parti, le président du bloc parlementaire de Qalb Tounes Oussama Khelifi a pointé du doigt le PDL et le Courant démocrate qu’il accuse d’avoir orchestré les attaques contre son parti allant jusqu’à leur reprocher des incitations et des menaces de mort contre les dirigeants et les députés de Qalb Tounes.

C’est dans ce climat partisan délétère qui sera marqué longtemps par les incidences du vote de la motion de défiance contre Rached Ghannouchi que le chef du gouvernement désigné Hichem Mechichi s’inscrit au cours de la phase cruciale de ses consultations qui doit commencer lundi.

Jusqu’ici il s’est contenté de rencontrer les chefs des principales organisations nationales et de la société civile ainsi des personnalités indépendantes et des compétences économiques et financières. « Coaché » par Kaïs Saïed, Mechichi ne fait rien sans en référer au président de la République.

Comme le chef de l’Etat n’a jamais caché qu’il tenait les partis politiques en peu d’estime, quand il ne les rejetait pas comme la survivance d’un système appelé à disparaître, l’état des formations politiques représentées au Parlement ne peut que l’inciter à s’en éloigner. Ou du moins à ne pas les prendre en ligne de compte dans ses calculs.

Avec un Parlement fragmenté d’où n’émerge aucune force majoritaire crédible, le chef de l’Etat est tout à son aise à imposer un gouvernement sans appartenance partisane constitué de personnalités dont la seule allégeance allait envers le chef du gouvernement et par conséquent envers le président de la République.

Le parti qui a compris le mieux l’état d’esprit de Kaïs Saïed est le Mouvement Echâab qui n’a d’ailleurs pas proposé de candidats à la primature se contentant de donner le profil de la personne qui pourrait être appelée à diriger la Kasbah.

Certes, Mechichi ne peut faire l’impasse de ne pas inviter les partis à sa rencontre dans le cadre des consultations qu’il mène, mais ce n’est pas pour leur demander des noms mais pour convenir avec eux de priorités et de programme de travail. L’équipe qu’il nommera, ce sera lui avec le concours du Palais de Carthage qui en déterminera la composition, l’architecture et les noms sans rentrer dans les quotas partisans qui ont fait tant de tort au pays. Jusqu’ici il a été plutôt évasif déclarant que son gouvernement sera « celui de tous les Tunisiens » et que ses priorités seront économiques et sociales.

Le gouvernement qui devrait être présenté aux partis sera « à prendre ou à laisser ». Il serait resserré, féminisé et comprenant des compétences sans coloration partisane, à l’image du chef du gouvernement lui-même. Les dirigeants des partis seront dès lors devant l’alternative, soit ils avalisent le gouvernement, soit ils offrent l’occasion au président de la République de dissoudre l’Assemblée quand il le veut. Quitte à ce que le gouvernent chargé d’expédier les affaires courants reste en fonction plus longtemps que prévu.

L’article 89 de la Constitution dispose en effet que : « Si, dans les quatre mois suivant la première désignation, (en fait on est dans la situation d’un mois non renouvelable), les membres de l’Assemblée des représentants du peuple n’ont pas accordé la confiance au gouvernement, le Président de la République peut décider la dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple et l’organisation de nouvelles élections législatives dans un délai d’au moins quarante-cinq jours et ne dépassant pas quatre-vingt-dix jours. ».

Un véritable dilemme dont les partis politiques feront les frais, si jamais ils n’accordent pas la confiance au gouvernement. Sans gouvernement, c'est la crise qui persistera ce que les Tunisiens ne pardonneront jamais à la classe politique. A l'inverse les partis politiques devront boire la cigue jusqu'à la lie?!

Avec une Assemblée fragmentée à l’envi, un premier parti politique, en l’occurrence Ennahdha mis à l’index, puisque quasiment la moitié des députés lui sont hostiles, un second parti à savoir Qalb Tounes laminé et désavoué y compris par ses propre électeurs, Kaïs Saïed dispose désormais de tous les atouts dans sa manche.

Il est non seulement maître incontesté du jeu mais aussi maître du temps. Même la dissolution du Parlement dépend de son bon vouloir. Le gouvernement en place restera alors en fonction et de plus, en cas de dissolution, le président de la République peut en accord avec le chef du gouvernement légiférer par des décrets lois qui seront ensuite soumis au prochain Parlement. Dans le paysage politique les autres partis et formations ne feront pas le poids devant Kaïs Saïed.

Seul le Parti destourien libre peut lui faire de l’ombre, car jusqu’ici la présidente de ce parti, Abir Moussi a imposé son tempo à la vie partisane et au sein de l’ARP et ce n’est pas maintenant qu’elle va raccrocher.

Son adversaire, ce ne sera pas  tant Ennahdha mais plutôt le Courant démocrate et le Mouvement Echaâb qui voudront marquer leur terrain. Paradoxalement, ces trois formations voudront que le Mouvement Ennahdha ne fasse pas formellement partie du gouvernement.

Ayant été constamment aux affaires depuis 2012, le premier parti de l’Assemblée pourra-t-il s’accommoder de ce nouveau statut ?

A l’été caniculaire qui s'annonce  s’ajoute un été bien chaud sur le plan politique. Jusqu’au 25 août 2020 date limite pour la formation du gouvernement Mechichi et bien au-delà.

RBR

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