Motivations et enjeux d’une Réforme du Système Bancaire Tunisien
En dépit d’un contrôle rigoureux de la part de l’institut d’émission, le Système Bancaire Tunisien n’a pu éviter au pays une mésaventure
socioéconomique désastreuse:
• Aggravation de la bulle spéculative dans le foncier et l’immobilier,
• Alourdissement du déficit de la balance commercial en raison de l’accroissement démesuré des importations informelles ‘‘sauvages’’, sans même générer de recettes douanières au trésor public
• Accroissement accéléré des importations de voitures par les concessionnaires chanceux : 80.000 en 2010 contre 60.000 en 2009, dont l’écoulement est facilité par les crédits bancaires et les crédits bail
• Détérioration de la capacité d’endettement des ménages : taux d’endettement frôlant les 60%.
La Tunisie est l’un des rares pays dont le Système Bancaire est resté à la traine de son économie. De l’avis des opérateurs économiques et des experts internationaux, l’environnement bancaire tunisien présente encore des faiblesses qui tardent à être soignées:
• l’accès au financement des PME est toujours problématique,
• l’accomplissement des fonctions d’intermédiation demeure peu efficace,
• les coûts des transactions sont élevés, malgré l’informatisation et l’automatisation des opérations,
• l'offre bancaire et limitée aux produits classiques, observant peu d’innovation en produits et services.
En outres, les banques tunisiennes, notamment publiques, souffrent d’une bureaucratie pénalisante, qui devrait être relayée par un éveil et une réactivité, en vue de :
• Identifier des projets économiquement viables et financièrement rentables, et leur mettre au point les financements adéquats,
• Surveiller le processus d’octroi de crédits et de gestion préventive et curative des créances, dans un souci de maîtrise du coût du risque,
• Protéger les dépôts du public et leur assurer une rémunération convenable pour favoriser leur stabilité.
Un diagnostic rapide du Système Bancaire révèle les problématiques majeures suivantes:
• Affaiblissement de la gouvernance : CA + Comité de Crédit + Direction Générale
• Saturation du coefficient d’emplois (taux de transformation des dépôts en crédits) frôlant les 100%, creusant ainsi le déficit du marché interbancaire
• Détérioration de la qualité des actifs causée tant par la vulnérabilité des créances sur la famille du président déchu (plus de 3,5 M3D) que par la dégradation de la situation économique du pays (ralentissement de la production, fermeture d’entités, marasme touristique, …)
• Enlisement des Fonds Propres Nets, ainsi que Fléchissement du Ratio McDonough (ou du Ratio Cook).
L’examen approfondi des comptes des principales banques de dépôts révèle que, même si la perspective attribuée par Fitch au secteur bancaire tunisien est stable, les menaces pesant sur la qualité des actifs sont susceptibles de s’intensifier en 2011. De par l’éclatement des dossiers de crédits du camp de Ben Ali, l’on s’attend en 2011 à des tensions sur les performances globales des banques les plus touchées, en raison du ralentissement prévu de l’économie du pays ainsi que de leur importante exposition aux affaires liées à la famille Ben Ali (estimée aux 2/3 des fonds propres nets soit à plus de 3,5 M3 TND, dont environ 40% de prêts non performants). En outres, Il sera difficile aux banques d’améliorer leurs revenus d’exploitation, dans la mesure où les perspectives de croissance des prêts seront limitées en 2011 eu égard à la chute de la demande de crédits et à la contraction de l’appétit des banques au risque de crédit.
Compte tenu du contexte de la révolution tunisienne, il est difficile de voir les banques tunisiennes afficher des taux de croissance importants ou des gains en parts de marché sans mettre à l’épreuve la qualité de leurs portefeuilles. Ainsi, l’essoufflement du marché, croisé au souci de consolidation de la qualité de leurs actifs, devrait freiner la croissance des banques et affecter leurs marges, se comprimant déjà d’année en année sous l’effet de la guerre tarifaire. En outre, l’insuffisance d’innovation et de diversification, quant à l’offre en produits et services, contribuera à l’accentuation de la concurrence dans le paysage bancaire tunisien.
Si nous voulions créer de l’emploi à une cadence supérieure à celle du renouvellement annuel de la demande d’emplois, notre Système Bancaire devrait jouer un rôle moteur dans le financement des investissements et l’accompagnement de la croissance. Aussi, ne serait-il pas grand temps qu’il en devienne une véritable locomotive, dans un contexte particulièrement chargé d’enjeux et de défis.
Pour ce faire, il faudrait l’assainir au préalable et le réorganiser de manière à lui permettre de s’acquitter convenablement de ses missions :
• Consolidation des Fonds Propres des banques pour satisfaire au Ratio McDaunought, l’estimation minimaliste table sur un besoin d’augmentation d’au moins 1 M3D avant fin 2011,
• Perfectionnement du dispositif de gouvernance : conseil d’administration, comité d’octroi de crédits, comité exécutif des risques, comité de conformité, etc…
• Amélioration de la productivité et Rationalisation des charges d’exploitation, dans un souci d’une meilleure profitabilité du capital ;
• Promotion de l’épargne contractuelle avec les systèmes d’assurance vie et de pension, en vue d’accumuler les ressources à long terme nécessaires pour le financement des futurs grands projets d’investissement.
S’agissant de la gouvernance de Banque, elle devrait observer une revue profonde en vue de la rendre plus efficace. Le Conseil d’Administration de la Banque gagnerait à être constituée des principaux déposants et d’experts n’ayant aucune relation d’affaires avec la Banque.
Le Conseil d’Administration ou le Comité Exécutif de Crédits, ne devrait pas renfermer de clients débiteurs qui seraient tentés de solliciter des conditions privilégiées de financement (éligibilité, montant de crédit, garanties et tarification, voire rééchelonnement abusif ou abandon de dettes), plaçant ainsi l’intérêt de la Banque en seconde position. Peut-être, les déposants sont-ils les plus concernés par la bonne gestion de la Banque que les actionnaires, veillant à une surveillance rigoureuse de leurs argents. Il s’en suit que le profil idéal d’un administrateur serait le Déposant Actionnaire de la Banque, qui mettra la qualité de la gestion de la Banque au centre de ses préoccupations.
La réforme bancaire en Tunisie, qui s’est limitée à favoriser l’arrivée d’acteurs étrangers dans le cadre de 3 privatisations (UIB, BS et BTK), à assainir les comptes des établissements des crédits, et à développer leurs réseaux d’agences, devrait passer à la vitesse supérieure. En raison d’une concurrence de plus en plus rude, les banques tunisiennes sont désormais dans l’obligation de faire preuve d’imagination et d’innovation, de compresser leurs marges d’intermédiation et de s’exposer à un risque de crédit élevé mais maîtrisable, afin de protéger leurs parts de marché, ce qui se traduira par un ralentissement ou une stagnation de leur croissance.
Compte tenu de l’exigüité du marché local, le Secteur Bancaire est appelé à entreprendre une phase de concentration, à travers des opérations de fusion, pour donner naissance à deux ou trois Opérateurs de dimension économique: économie d’échelle, complémentarité du réseau, et synergie d’expertise.
NOTA 1: Évolution des engagements bancaires (flash) :
L’analyse rétrospective des concours bancaires montre que les crédits consentis à l’économie ont progressé à un rythme annuel moyen de 8% durant 2003-2011. Cette croissance cache une distorsion entre les deux marchés : celui des Entreprises ayant faiblement progressé à 4,8% l’an, alors que celui des Particuliers ayant enregistré une forte croissance de 19,5% l’an.
La faible évolution des crédits à l’adresse des Entreprises est imputable à une quasi-stagnation de l’encours des CLMT, qui ne représentent plus en 2010 que 27% du total des crédits bancaires contre 36% en 2003, étant précisé que cette proportion serait ramenée à 20% en 2010 si l’on supprimait l’impact de la famille.
En réalité, l’encours des CLMT en direction des Entreprises & Professionnels a enregistré un fléchissement entre 2003 et 2007 (-22%) suivi par un fort accroissement (+35%) entre 2007 et 2010. Bien que cachant un amortissement d’encours sur la plupart de la clientèle entreprise & professionnelle, ce redressement (1,5 M3D) a principalement profité au camp de Ben Ali pour le financement de leurs projets d’investissement (pour plus de 2 M3D): Carthage Ciment (600M²D), Tunisie Sucre (115M²D), Orange (490M²D), Tunisiana (640M²D), Carthago airline, projets immobiliers, …. Ceci confirme que le pays a globalement connu une baisse des investissements (promotion immobilière comprise), les projets de la famille ayant fait l’exception.
D’un autre coté, il y a lieu de souligner que l’encours des crédits aux Particuliers a connu une croissance excessive de l’ordre de 19% annuellement (les crédits immobiliers ayant enregistré un quadruplement, soit un TAAM:22%). Cette croissance traduit une aggravation démesurée de l’endettement du ménage, qui verse dans le développement des revenus du secteur immobilier (projets fonciers et immobiliers) et du secteur des voitures particulières (concessionnaires auto), deux secteurs détenus majoritairement par la Bande Ben Ali.
En moyenne, le service de la dette ''bancaire et non-bancaire" par ménage pèse 5mD pour un revenu annuel moyen de 8mD, soit un taux d’endettement dépassant la norme requise (62% contre un plafond communément admis de 40%).
NOTA 2: Évolution des ressources :
Côté épargne, l’activité de l’épargne contractuelle demeure peu développée, avec des systèmes de pension contribuant faiblement à l'accumulation de ressources à long terme pour financer l'investissement. Le taux de conversion des dépôts en crédit avoisine 100% ! Aussi, le SBT devrait être mis à contribution au développement du Marché des Capitaux pour favoriser la pérennisation des ressources à long terme requis pour le financement des grands projets d’investissement: d’où nécessaire extension du marché secondaire des Bons de Trésor pour faciliter la construction la courbe des taux jusqu’à 20 ans.
NOTA 3: Qualité des Risques :
Il est important de souligner que certaines banques ont connu une croissance importante de leurs portefeuilles de crédit en 2009-2010, pourtant dans un contexte économique particulier. Il est donc recommandé de suivre de près l’évolution de la qualité des engagements de ces banques dans les années futures.
Les efforts destinés à réduire les PNP (prêts non performants) peuvent se baser sur le succès des années précédentes durant lesquelles, selon des chiffres du FMI, le ratio de PNP est passé de 24,2% en 2003 à 15,5% en 2008 et 13,2% en 2009 : ce taux est descendu à 14,1% pour les banques publiques et 12,5% pour les banques privées. Le taux de provisionnement des PNP est passé de 44,1% en 2003 à 58,3% en 2009 (57,1% pour les banques publiques et 59,2% pour les banques privées).
NOTA 4: Profitabilité des Banques :
Même si les données définitives ne sont pas encore disponibles, les performances du SBT semblent avoir été plutôt bonnes en 2010. Les bénéfices nets ont augmenté de plus de 20% par rapport à 2009 pour atteindre 500 M²D en 2010. Ainsi, les fonds propres seraient portés de 4.326 M²D à environ 4.700 M²D (Div = 130M²D).
Malgré des ratios de profitabilité qui s’améliorent d’année en année, il est clair que le niveau de rentabilité des banques tunisiennes reste en deçà des moyennes internationales.
Cette différence s’explique par un niveau de charges d’exploitation élevé pour certaines banques, le poids important des dotations aux provisions, et un marché de plus en plus concurrentiel.
Pour ce qui est des charges d’exploitation, des efforts importants ont été consentis par plusieurs banques de la place. Ces efforts ont ramené le coefficient d’exploitation du secteur de plus de 58% en 2005, à 42,4% en 2008.
Par ailleurs, le rythme de provisionnement imposé aux banques locales par la BCT a plombé les bénéfices de la plupart des banques locales. Le ratio Provisions/Bénéfice avant provisions a des niveaux très élevés ces dernières années, quoi qu’en légère baisse.
Compte tenu du contexte de la révolution tunisienne, il est difficile de voir les banques tunisiennes afficher des taux de croissance importants ou des gains en parts de marché sans mettre à l’épreuve la qualité de leurs portefeuilles. Ainsi, l’essoufflement du marché, croisé au souci de consolidation de la qualité de leurs actifs, devrait freiner la croissance des banques et affecter leurs marges, se comprimant déjà d’année en année sous l’effet de la guerre tarifaire.
L’absence de projets de fusion va rendre la concurrence de plus en plus prononcée dans le paysage bancaire tunisien, qui devient un problème majeur, pouvant fragiliser la rentabilité des banques. Cette concurrence se trouve accentuée par l’insuffisance d’innovations, les produits et services des banques demeurant similaires.
NOTA 5: Perspectives du marché:
Les dernières années ont permis aux banques tunisiennes d’améliorer, sensiblement, leurs fondamentaux en terme de gestion de risque, renforcement des fonds propres, et d’amélioration des coûts opérationnels. Nos banques nous paraissent, du fait de ces efforts de restructuration, plus solides et relativement plus rentables. Il est toutefois important de souligner que des défis majeurs se profilent à l’horizon :
1) préserver l’acquis en terme de gestion des risques, et se doter des outils nécessaires pour permettre une gestion plus adaptée au contexte économique national,
2) faire face à une concurrence de plus en plus rude qui se traduit par une extension massive des réseaux d’agences et une approche commerciale plus « agressive » de la plupart des banques locales, et
3) s’équiper en compétences humaines pointues et lever des ressources suffisamment longues, en vue de concourir efficacement dans la promotion et le financement de grands projets économiques générateurs de PME & TPE, et forts créateurs d’emplois directs et indirects.
Face à ces multiples défis, une consolidation des acteurs du secteur semble de plus en plus évidente. Elle permettra à certaines banques d’augmenter leurs parts de marché et d’atteindre, in fine, la taille qui leur permettra d’avoir des ambitions internationales.
Par Mohamed Chawki Abid