Mustapha Jemmali et ses compagnons ne méritent pas de croupir en prison

 Mustapha Jemmali et ses compagnons ne méritent pas de croupir en prison

 

Lorsque la nouvelle s’est répandue, elle en a choqué grand monde. Ce fut aussi un véritable choc. Un vénérable octogénaire (il est âgé de 81 ans) croupit en prison depuis le 3 mai dernier (c’est-à-dire depuis presque 10 mois) avec pour seule accusation, celle d’avoir fourni un refuge pour des migrants subsahariens en situation irrégulière.

L’on est abasourdi, lorsqu’on sait que Mustapha Jemmali, puisque c’est de lui qu’il s’agit est un militant des droits humains et qu’il a consacré sa vie à la cause des réfugiés, les personnes les plus vulnérables puisqu’elles ont été contraintes à quitter leur patrie pour des raisons multiples et variées et recherchent un lieu où elles peuvent trouver un refuge dans ce vaste monde.

Ancien directeur du Conseil tunisien pour les réfugiés Mustapha Jemmali, n’a fait que leur prêter une main secourable pour les aider à retrouver un peu de leur dignité. Est-ce un crime d’être humain envers les autres humains quelle qu’en soient la race, l’origine et les motivations.

Il n’est pas le seul à subir ce triste sort. Le directeur de projet au Conseil tunisien pour les réfugiés a été également arrêté pour le même motif. Les deux hommes ont d’ailleurs entamé une grève de la faim en prison pour protester contre leur incarcération prolongée et les conditions de leur détention.

Ces arrestations et la prolongation de leur détention ont suscité l’émoi au sein des organisations gouvernementales et non gouvernementales en rapport avec les droits humains et ceux des réfugiés. Ainsi, le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH) a demandé la libération immédiate de ces deux militants des droits de l’homme et de toutes les personnes détenues arbitrairement et a appelé les autorités tunisiennes à garantir la transparence et l’indépendance du système judiciaire. Il exhorte également à la libération, pour raisons humanitaires, des prisonniers âgés et en mauvaise santé.

Quant à la Rapporteure spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, Mary Lawlor elle a déclaré que «les deux défenseurs des droits des migrants faisaient un travail parfaitement légitime et pourtant ils sont détenus sans procès dans des conditions de surpeuplement et d'insalubrité Ils doivent être libérés et ne pas être traités comme des criminels »

Ce qui est encore plus sidérant, ce n’est pas que Mustpha Jemmali soit âgé, mais parce que l’homme n’est pas n’importe qui. Il est le fils de Mohamed Fadhel Jemmali l’ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères d’Irak avant la révolution du 14 juillet 1958. En cette qualité, il avait été l’un des fondateurs de l’ONU et fut d’ailleurs parmi les signataires de la Charte de San Francisco, qui fut l’acte de naissance de l’organisation internationale.

Ce que l’on sait moins c’est que Mohamed Fadhel Jemmali avait été l’un des défenseurs de la cause tunisienne à l’ONU. Un jour, rappelle-t-on, alors qu’il s’apprêtait à entrer dans la Maison de Verre à New York, il se rendit compte qu’un homme tentait d’y accéder, alors que les gardes l’en empêchaient. Dès qu’il apprit que l’homme en question était Habib Bourguiba, le leader de la cause tunisienne, il prit le badge d’un de ses accompagnateurs qu’il remit au «Combattant suprême » qui devenait ainsi membre de la délégation irakienne.

Au cours de la séance, il demanda la parole qu’il céda à Bourguiba lui permettant de s’adresser au concert des nations, la France y prit ombrage et sa délégation quitta la salle en signe de protestation. Devenu chef de l’Etat tunisien, Bourguiba n’oublia pas le magnifique geste de Jemmali.

Apprenant qu’il était condamné à mort après la révolution conduite par Abdelkarim Kacem, il intercéda avec d’autres en faveur de lui. Il lui offrit le statut de réfugié politique et lui permit de devenir professeur au sein de la jeune université tunisienne où il avait enseigné la psychopédagogie. Sa femme d’origine canadienne avait enseigné elle aussi la langue anglaise également à l’université tunisienne.

Alors que la Tunisie, au début de l’indépendance avait été reconnaissante envers Mohamed Fadhel Jemmali qui soit dit en passant avait décliné l’invitation qui lui a été adressée pour assister en 1995 au cinquantenaire de la charte de San Francisco dont il fut l’un des signataires en estimant qu’il ne pouvait pas se réjouir alors que son pays était à cette date sous occupation américaine, la Tunisie d’après la révolution est ingrate envers son fils.

Le vénérable octogénaire ne mérite pas de croupir, avec ses compagnons d’infortune en prison. S’il avait fait quelque chose de repréhensible, pourquoi ne pas le laisser en liberté en attendant son procès, en lui interdisant de quitter le pays, si nécessaire. Il ne faut pas oublier que le principe est qu’il est innocent tant qu’il n’a pas été condamné au terme d’un procès équitable.

Son fils, Fadhel Jemmali, s’il dénonce le manque d’informations autour du dossier de son père reste confiant dans la justice tunisienne. "C’est injuste (ce qu’on lui fait endurer) parce qu’il est accusé de choses, littéralement, qu’il n’a pas faites, donc on reste confiant dans notre justice parce qu’ils n’ont rien trouvé, ils continuent leur investigation et puis la vérité finira par se dévoiler."

La privation de liberté, à laquelle il est soumis, n’est donc pas normale au moins vu son âge et le devoir de gratitude envers son père auquel la Tunisie reconnaissante a dédié une avenue à Mutuelleville, là où il avait vécu auprès de ses parents. Aux côtés de Mustapha Jemmali, Le Forum tunisien des droits économiques et sociaux FTDES dénombre douze militants des droits humains incarcérés parmi lesquels on peut citer Saadia Mosbah et Shérifa Riahi.

Dès lors, un appel est adressé aux autorités suprêmes tunisiennes, pour que Mustapha Jemmali et ses compagnons d’infortune soient remis en liberté. La Tunisie se grandirait en faisant preuve d’indulgence et de magnanimité envers des compatriotes qui ont agi selon leur cœur et leur humanité.

RBR

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