ONU: Commission de la condition de la femme, "le poison du patriarcat est de retour" 

ONU: Commission de la condition de la femme, "le poison du patriarcat est de retour" 

À l’ouverture de la nouvelle session de la Commission de la condition de la femme, qui se réunit au siège de l’ONU à New York du 10 au 21 mars, des hauts responsables des Nations Unies ont, lundi, déploré la lenteur des progrès visant à résorber les inégalités entre hommes et femmes.

La 69e session de cet événement annuel, organisé par l’ONU pour dénoncer la violence et les discriminations dont font l’objet les femmes dans le monde, coïncide avec le trentième anniversaire de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing, qui avaient fixé des objectifs ambitieux en matière d’égalité entre les genres.

« Nous avons toujours su que cela ne se ferait pas du jour au lendemain, ni même au bout de plusieurs années », a souligné le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, à la tribune de l’Assemblée générale de l’organisation.

« Mais trois décennies plus tard, cette promesse semble plus lointaine que nous n’aurions jamais pu l’imaginer », a-t-il reconnu.

Selon le Président de l'Assemblée générale, Philémon Yang, au rythme actuel, il faudra 137 ans pour sortir toutes les femmes de l'extrême pauvreté et 68 ans pour mettre fin au mariage des enfants.

« Ces réalités sont inacceptables et devraient tous nous alarmer », a dénoncé M. Yang lors de la cérémonie d’ouverture de la session.

Des progrès « significatifs »…

Le Président de l’Assemblée générale a toutefois salué les progrès selon lui « significatifs » enregistrés au fil des décennies.

Davantage de pays disposent notamment de lois visant à promouvoir l’égalité des sexes, à sanctionner la violence à l’égard des femmes et à lutter contre la discrimination.

Sur le plan politique,  M. Yang a noté que, même si la parité totale reste difficile à atteindre, il y a désormais beaucoup plus de femmes parlementaires. 

En 30 ans, leur proportion est ainsi passée de 11 à 20 % à l’échelle mondiale. Davantage de filles sont également scolarisées qu’en 1995.

Ces avancées, quoique positives, sont insuffisantes. 

…mais « en recul » 

Pire encore, selon le Secrétaire général de l’ONU, « les progrès difficilement réalisés sont en recul ».

Il a notamment cité la menace qui pèse sur les droits reproductifs et l’abandon de nombreuses initiatives en faveur de l’égalité entre les sexes partout dans le monde.

En Afghanistan, a-t-il constaté, les femmes ont à nouveau été privées de leurs droits fondamentaux et il leur est désormais interdit de faire entendre leur voix en public.

Parallèlement, le développement de l’intelligence artificielle (IA) normalise la misogynie et le « revenge porn » .

« Jusqu’à 95 % des deepfakes en ligne sont des images pornographiques non consensuelles et 90 % représentent des femmes », a-t-il dénoncé.

Retour du « poison patriarcal »

Pour M. Guterres, ce qui est à l'œuvre n’est ni plus ni moins qu’une contre-révolution.

« Le poison patriarcal est de retour », a-t-il estimé.

Un retour en force caractérisé selon le chef de l’ONU par les disparités salariales, à hauteur de 20 % d’écart entre hommes et femmes, et par les violences que subit un tiers des femmes dans le monde, notamment en période de conflit, où elles font souvent l’objets d’abus sexuels systématiques, comme c’est le cas actuellement en Haïti et au Soudan.

M. Guterres a rappelé que les femmes sont toujours privées de droits fondamentaux dans de nombreux pays, comme le droit de ne pas être violée par son mari, de posséder des biens, d’obtenir la citoyenneté sur un pied d’égalité avec les hommes ou encore d’accéder au crédit sans devoir obtenir la permission de son mari.

Obstacles structurels

Selon M. Guterres, la pandémie de COVID-19 a entraîné une recrudescence des violences à l’encontre des femmes et une baisse de leur participation sur le marché du travail.

La crise de la dette, l’aggravation des catastrophes climatiques, la multiplication des conflits dans le monde et l’absence de perspective de genre dans les législations nationales sont autant d’obstacles structurels qui frappent plus durement les femmes que les hommes.

Raviver le Programme d’action de Beijing

Le Secrétaire général a appelé à redynamiser la Commission de la condition de la femme afin de favoriser la mise en oeuvre du Programme d’action de Beijing.

C’est l’un des volets, a-t-il rappelé, du Pacte pour l’avenir signé en septembre dernier par les gouvernements mondiaux, qui se sont engagés à aider à mobiliser 300 millions de dollars pour les organisations de femmes touchées par les conflits et les situations de crise.

« En ces temps périlleux pour les droits des femmes, nous devons nous rassembler autour de la Déclaration de Beijing », a insisté M. Guterres, « pour faire de la promesse du respect des droits, de l’égalité et de l’autonomisation une réalité pour chaque femme et chaque fille, dans le monde entier ».

Six priorités, selon ONU Femmes

Pour accélérer ces transformations, ONU Femmes, l’agence des Nations unies pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes, a entrepris un examen rigoureux des rapports des Etats membres sur la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing.

Sur cette base, l’agence a identifié six domaines d’action prioritaires, à commencer par la nécessité d’exploiter la technologie au service de l’égalité.

« La fracture numérique est désormais la frontière de l’inégalité », a estimé la Directrice exécutive d’ONU Femmes, Sima Bahous, qui participait à l’ouverture de cette 69e session de la Commission de la condition de la femme.

Mme Bahous a appelé à combler l’écart actuel pour les 259 millions de femmes qui n’ont toujours pas accès à Internet, afin de parvenir à l’égalité d’accès aux compétences numériques, services financiers numériques et marchés de l’emploi.

Par ailleurs, la Directrice exécutive a souligné la nécessité d’investir dans l’autonomisation économique des femmes, dont près d’une sur dix vit aujourd’hui dans l’extrême pauvreté. 

Elle a également appelé à renforcer l’application des lois contre les violences à l’égard des femmes et l’accès aux services à destination des survivantes. 

« L’investissement dans la prévention de la violence ne permet pas seulement de construire des communautés plus sûres, il crée également les bases de l’égalité et du bien-être pour tous », a insisté Mme Bahous.

Rappelant que les trois quarts des sièges parlementaires dans le monde sont occupés par des hommes, la cheffe d'ONU Femmes a en outre demandé davantage de parité sur le plan de la représentation politique. 

« Les démocraties sont plus fortes lorsque les femmes sont au cœur de la prise de décision », a-t-elle dit.

De la même façon, lorsque les femmes ont une voix égale dans les processus de paix, la paix dure plus longtemps, a déclaré Mme Bahous, rappelant que ces dernières représentent moins de 10 % des négociateurs de paix dans le monde.

Face à la crise climatique, elle a insisté sur l’importance d'investir dans des emplois verts pour les femmes, afin de créer 24 millions d’emplois d’ici 2030, alimentant à la fois l’économie mondiale et la durabilité environnementale. 

« Une nouvelle vague d’activisme courageux et mené par des jeunes monte partout dans le monde », a-t-elle déclaré avec enthousiasme.

 

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