Pour un meilleur système de sécurité sociale en Tunisie

Pour un meilleur système de sécurité sociale en Tunisie

En Tunisie, près de 65% des retraités du secteur privé, touchent une pension inférieure au SMIG. Face à cette situation, il importe d'ériger

un système de protection sociale efficient, répondant à un certain nombre d'objectifs, dont principalement la lutte contre la pauvreté et la baisse des inégalités. Il doit en même temps, favoriser la croissance.

M. Mehdi Ben Braham, enseignant à l'Ecole de la statistique et de l'analyse de l'information et chercheur à l'école polytechnique de Tunisie, a établi un état des lieux de la Sécurité sociale et tracé ses perspectives d'avenir, dans une note de synthèse, élaborée dans le cadre de l'initiative "IDEES", lancée par un cercle d'experts et d'économistes tunisiens.

Selon le chercheur, "le système tunisien de sécurité sociale, n'est pas arrivé à s'adapter à un environnement socio-économique en mutation permanente, en l'absence d'autocritique et de transparence". Il se heurte à "un certain nombre de difficultés de nature diverse, qui risquent de le conduire vers un jeu 'perdant-perdant' : des cotisants peu satisfaits et des caisses du système, déficitaires."

Faiblesses du système de protection sociale en Tunisie

L'universitaire a distingué, dans ce cadre, le système contributif (CNRPS, CNSS et CNAM), du système non contributif )programme de lutte contre la pauvreté), identifiant les principales faiblesses du système et proposant quelques axes de réformes.

Pour les régimes des retraites, il ressort du document, que "la baisse de la fécondité et l'augmentation de l'espérance de vie, conduisent inéluctablement à un vieillissement démographique. A cela s'ajoute, l'arrivée à maturité des régimes de retraite et un taux de chômage relativement élevé, dù à une croissance peu créatrice d'emploi. Ce qui a eu pour conséquence, une augmentation du nombre de retraités, par rapport aux cotisants."

Ces tendances démographique et macroéconomique, a relevé le chercheur, mettront à rude épreuve les équilibres financiers des caisses de retraite, malgré les hausses successives des taux de cotisations appliquées à la fin des années 2000. Une réforme en profondeur est donc absolument, nécessaire, d'après lui.

Il pointe du doigt "un certain nombre d'incohérences législatives et d'aberrations propres au mode d'organisation et à la gestion financière, lesquelles caractérisent les caisses des retraites."

Il s'agit de problèmes de gouvernance ''qui ne devraient pas exister dans un pays où les systèmes informatiques sont à la disposition de tous'' et de problèmes structurels.

Pour ce qui est de la CNRPS, les faiblesses constatées sont liées, essentiellement, "à la gestion du parc immobilier, à la déficience de l'audit interne, à l'évolution démographique défavorable."

Concernant la CNSS, "les problèmes résident en la profusion de régimes (lourdeur administrative et coots élevés), le manque de fiabilité des statistiques, le taux encore bas dans certains régimes et les niveaux de pensions très faibles."

L'universitaire a préconisé, la mise en place d'une "gestion de compte individuel" pour chaque cotisant, qui vient d'être lancée timidement, au lieu de la gestion par entreprise.

S'agissant de l'assurance maladie, la Caisse nationale d'assurance maladie "CNAM", créée en 2007, propose trois types de régimes, tiers payant, remboursement frais avancés et soins directs hôpitaux public (74% des assurés).

Cette répartition, révèle d'une part, "la faiblesse des revenus des cotisants qui ne leur permet pas d'avancer le montant de dépenses parfois élevées et d'autres part, l'affectation arbitraire d'un grand nombre de cotisants vers ce dernier régime", a constaté M.Ben Braham.

Il tire les conclusions ''Un réel problème de confiance et de communication, caractérise la relation entre la CNAM et ses cotisants''.

C'est ainsi qu'au niveau de l'offre et de l'accès aux soins, l'universitaire a démontré qu'il existe "des inégalités régionales importantes outre le problème relatif au plafond des remboursements annuels. Le plafonnement de 200 dinars par an et par famille, semble dérisoire, étant donné le coot de certains soins élémentaires".

Pour ce qui est des programmes de lutte contre la pauvreté qui touchent actuellement, 5,6 % de la population, soit 131 mille familles avec une aide de 70 dinars par mois, dont 51% de femmes chefs de ménage (familles nécessiteuses, personnes handicapées et personnes âgées)," ils ont été  menés pendant des années sans aucun souci d'efficacité réelle. A la frontière entre l'aide sociale et la lutte contre le chômage, ces programmes, n'étaient, par surcroît, soumis à aucun audit pour leur évaluation", a fait remarquer M.Ben Braham. Le programme national d'aide aux familles nécessiteuses constitue, aujourd'hui, le principal plan d'aide non contributif, a t-il rappelé, soulignant que ce programme souffre d'un certain nombre de faiblesses d'ordre organisationnel mais également de l'absence d'objectifs clairs.

Selon l'expert, ce programme manque tout d'abord de moyens et plus particulièrement de travailleurs sociaux sur le terrain, chose incompréhensible dans un pays gangrené par un chômage élevé.

On dénombre un travailleur social pour 7000 habitants.

Des axes de réforme

Plusieurs pistes de réforme ont été proposées dans cette note de synthèse.

Les "simples" problèmes de gouvernances seront "plus faciles à mener que d'autres réformes plus profondes nécessitant des financements importants. Celles-ci ne pourront être réalisées qu'en présence d'une croissance élevée et stable, elle-même liée au contexte international."

En matière de retraites, l'universitaire a estimé qu'en présence d'une volonté politique réelle, les problèmes de gouvernance sont relativement simples à résoudre.

Il s'agit "d'établir un cadre transparent et des critères d'efficacité afin d'assurer une gestion optimale des caisses, doublée d'un souci de rentabilité et d'amélioration du service rendu aux cotisants et pensionnés".

Pour les réformes de l'assurance maladie, il a indiqué que "la CNAM et le ministère de la santé doivent d'abord remédier à la lenteur administrative. Cela ne devrait pas constituer une difficulté importante. Une meilleure organisation et l'embauche d'un personnel supplémentaire de qualité pourrait rapidement résoudre ce type de problèmes".

Au-delà de ces réformes, "un retour à la table des négociations entre partenaires sociaux, en présence du corps médical, devrait aboutir à des réformes concernant les droits des travailleurs. Il s'agirait de revoir par exemple le seuil maximal de remboursement (200D) ainsi que la garantie de certains droits comme le congé de maternité prénatal qui existe dans de nombreux pays etc."

Concernant les réformes des programmes non contributifs, le document a précisé qu'un meilleur ciblage de la population selon des critères précis et objectifs, est absolument nécessaire. La lutte contre la pauvreté sera d'autant plus efficace dès lors que les sources de pauvreté seront identifiées.

"Les programmes de lutte contre la pauvreté doivent éviter les aides forfaitaires, en se basant sur une typologie de la pauvreté et doivent nécessairement s'inscrire dans une optique dynamique où la personne aidée ne doit pas l'être éternellement".

A rappeler que le groupe d'experts et de chercheurs tunisiens, initiateurs "d'IDEES", a réalisé une analyse approfondie de huit domaines vitaux pour l'avenir de l'économie tunisienne, proposant des réformes devant être présentées au mois de novembre, dans un livre blanc.