Quand le président de la France se gausse de l’Afrique !
En marge du sommet du G20 (groupe des vingt pays les plus riches) qui a eu lieu à Hambourg le 8 juillet, le président français Emmanuel Macron a répondu à cette question d’un journaliste ivoirien : « Combien les pays du G20 sont prêts à mettre dans l’enveloppe pour sauver l’Afrique ? »
Après avoir écarté l’idée d’un Plan Marshall pour l’Afrique en arguant que cette aide historique qui a sauvé l’Europe d’après-guerre « était un plan de reconstruction, dans des pays qui avaient leurs équilibres, leurs frontières, leur stabilité », il a estimé que le « défi de l’Afrique est différent, il est beaucoup plus profond, il est civilisationnel ». Et de conclure : « Quand des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien.»
Bref, dans sa sortie, Emmanuel Macron n’a fait que reprendre cette théorie anglo saxonne de l'économiste britannique Thomas Malthus (1766–1834). Ce dernier a donné son nom à une doctrine « le malthusianisme », qui est une politique prônant la restriction démographique. À l'origine doctrine hostile à l'accroissement de la population d'un territoire ou d'un État et préconisant la restriction volontaire de la natalité. L’autre objectif est de marteler davantage que la civilisation occidentale comme une référence universelle.
Macron Président, sur les traces de Sarkozy
Du candidat au président, une mue profonde s’est opérée en l’homme Macron. Ainsi donc, désormais, il fait davantage penser à Nicolas Sarkozy pour qui le péché mortel de l’Afrique, c’est de n’être pas assez entré dans l’histoire et dans la civilisation (Discours de Dakar 2007). De ses propos, émane une forte odeur empreinte de condescendance, d’arrogance et de l’irrespect.
En fait, tout se passe comme si, Emmanuel Macron regrettant très profondément ses propos d’Alger sur la colonisation comme un crime contre l’humanité, s’employait à rectifier le tir. Quitte à verser dans cette propagande destinée à imposer la vision occidentale du monde comme l’unique et la meilleure pour l’Afrique. Emmanuel Macron suit les traces de Nicols Sarkozy et nous annonce que le problème africain est « civilisationnel ». Et par déficit de civilisation de la part des africains, il entend taux de fécondité élevé. Les africains seraient pauvres, misérables, ravagés par les maladies et éternellement à les derniers de la classe, parce qu’ils font trop de gosses. De là à penser qu’ils peinent à maîtriser leur libido, il n’y a qu’un pas à sauter. Allons donc Mr un peu de sérieux loin du populisme ambiant.
Des chiffres surestimés et erronés
Seul un pays affiche un taux de fécondité proche de celui évoqué par E.Macron : le Niger avec 7,6 enfants. Ce problème que le président français identifie comme à la fois « profond » fait que, selon lui, aucune aide au développement ne saurait sortir l’Afrique de son marasme actuel. La sentence est à la fois cruelle et injuste. D’autant plus injuste qu’en réalité, le taux de fécondité en Afrique est de 4,7 enfants par femme, et non comme il le dit, 7 à 8 enfants par femme.
En plus, la contraception progresse en Afrique ces dernières années. En Afrique de l’Ouest et centrale, 1 350 000 femmes supplémentaires ont eu accès à une contraception moderne entre 2012 et 2015. En trois ans, le Partenariat de Ouagadougou, une initiative régionale de planning familial, a eu des effets très positifs sur les populations des neuf pays qui l’ont rejoint (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso, Sénégal, Côte d’Ivoire, Togo, Bénin et Guinée). En promouvant une large gamme de contraceptifs, au niveau local, le Partenariat a fait passer le nombre de femmes utilisatrices d’une contraception moderne de 3 000 000 à 4 350 000. L’objectif est d’arriver à 2 200 000 utilisatrices supplémentaires d’ici à 2020
Par ailleurs, même s’il est relativement en vogue, le discours imputant la responsabilité de la pauvreté à la surpopulation n’est pas universellement admis comme vrai. À l’inverse, des scientifiques pensent que c’est plutôt la pauvreté et le sous-développement qui sont à la base de la surpopulation en Afrique. Par la même occasion, il a omis de reconnaitre les causes véritables de cette léthargie du continent africain.
Les causes du « sous-développement » et de la surpopulation en Afrique
Confondre les symptômes d'un grave problème comme la surpopulation, avec ses causes, est symptomatique de ces décideurs néolibéraux qui préfèrent faire porter la responsabilité des inégalités et des injustices sur les victimes plutôt que sur les responsables.
Oublier le pillage des ressources naturelles de ce continent par la France et l’Europe depuis le milieu du XIXe siècle à travers la violente colonisation d'hier, le dramatique néocolonialisme d'aujourd'hui, la corruption encouragée, l'ingérence politique dans les affaires des pays africains, la désignation de suppôts comme présidents à leur service. Oublier aussi la tragédie lointaine, de l'extraction de la force de travail durant les trois siècles précédents de ces dizaines de millions de jeunes africains, esclaves exportés des ports de l’Afrique de l’Ouest vers le continent américain.
Emmanuel Macron semble ignorer cette évidence : la transition démographique se fait naturellement dès que les gens ont accès à l'éducation, à la santé, à une alimentation saine, à un logement et à un travail. Et comment atteindre cet état d’une vie digne, si les politiques qui sont imposées à ces pays par le FMI, la Banque mondiale ainsi que par les pays industrialisés sont des plans d'austérité à répétition couplés à un libre-échange totalement déloyal et une privatisation de leurs ressources.
Jusqu'à quand ? Pour en finir avec la Françafrique
Cette dernière élection présidentielle française nous a fait rappeler que l’Afrique est le plus grand espace de la francophonie de ce monde. Malheureusement, la francophonie économique, culturelle reste faible, alors qu’elle pourrait constituer un atout majeur pour l’ensemble des pays membres et des peuples qui aspirent au développement, à la démocratie, à la liberté et à la justice.
A ceux qui croient encore à l’aide désintéressée de la France en Afrique, il suffit de consulter les chiffres du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement). La corrélation est régulière entre le montant de l’aide française et la richesse en matières premières. En clair, celui qui n’a rien dans son sous-sol ne doit pas attendre grand-chose de Paris.
Cette relation distante et égoïste d’une France repliée sur elle-même et orientée vers des pays plus lucratifs doit laisser la place à des relations plus normales avec le continent africain. Pendant cette campagne l'Afrique était complétement oubliée, les démocraties naissantes ignorées et les liens historiques enterrés. On a débattu de l'Europe, des USA, de la Chine. En un mot seulement les relations entre nations riches. Où est passé le message de la France, ce message qu’on nous décrive comme universel? On nous rabâche les oreilles à la longueur de la journée avec la mondialisation financière où le plus puissant exploite les faibles.
Emmanuel Macron nous annonce que la France, la glorieuse France, est donc de retour? Oui, de retour, mais à travers quoi ? Ce ne sont plus les découvertes scientifiques, la croissance économique dynamique et le rayonnement culturel qui font la réputation de la France dans le monde. C'est aujourd'hui une intervention militaire, un soutien inconditionnel aux oppresseurs, une soumission aux lobbies qui vont redonner à la France son prestige.
On est au regret de constater que la France n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a jadis été. Une ombre qui s’efface peu à peu, mais qui se permet de faire la leçon à tout le monde ou au moins à ceux jugés en position de faiblesse. Quoi de plus facile, en effet, que d’enfoncer la tête dans l’eau à un baigneur en difficulté au milieu de la piscine ? Oui, mais pour cela il faut aussi sauter à l’eau et la France ne sait plus nager…
Quant à l’Europe, elle doit comprendre qu’elle a tout intérêt à avoir une Afrique démocratique, libre et développée. Elle a tout intérêt à œuvrer pour que la misère soit éradiquée et fasse place au développement humain, que la corruption généralisée disparaisse au profit de l'intérêt général, que la dictature cède le pas à la liberté et à la démocratie! C’est alors que les africains sortiront de la dépendance et deviennent des acteurs mobilisés de cette mondialisation et trouvent leur place de contributeurs à la civilisation universelle. L'enjeu est colossal pour l'avenir de la planète. Si l'Afrique devait sombrer dans le chaos, l'Europe y plongerait avec elle. L'avenir de l'Europe et celui de l'Afrique sont indissociables.
Si la politique étrangère française ne change pas et si les partenariats ne jouent pas pleinement leur rôle de leviers au développement, aucun accord de Schengen, aucune police ni aucune frontière ne pourront retenir les flux migratoires, qui ne sont que des réflexes de survie de ceux qui n’ont obtenu de leurs États aucune réponse à leurs préoccupations.
L'avenir du continent africain représente sans doute l'un des grands enjeux planétaires du siècle. Le destin de l'Afrique au cœur de l'avenir de l'humanité, mérite mieux qu'un procès en inquisition.
Une France digne de son idéal et de son héritage de 1789 est incompatible avec la Françafrique. Il est temps que notre diplomatie puisse à nouveau s'appuyer sur certaines valeurs (solidarité, démocratie, respect des cultures) bien souvent délaissées au profit d’une politique néocoloniale mise en place à la demande du général De Gaulle par Jacques Foccart.
A. Klai
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