Quand l’IA parle tunisien !

Quand l’IA parle tunisien !

Par Mahjoub Lotfi Belhedi

Spécialiste en réflexion stratégique optimisée IA // Data scientist & Aiguilleur d’IA

Il va sans dire que les générateurs d'IA les plus avancés d’aujourd’hui sont capables de comprendre et de traiter le dialecte tunisien, mais de manière limitée, bien que des avancées considérables aient été réalisées, plusieurs défis demeurent, le dialecte tunisien étant une forme linguistique en perpétuelle évolution, hybride et profondément contextuelle, échappant souvent aux modèles traditionnels.

L'absence d'une orthographe standardisée, la charge émotionnelle intense, la pluralité graphique, les emprunts à d'autres langues et la richesse des nuances culturelles rendent l'interprétation exacte de ce dialecte particulièrement complexe pour les machines. Ces difficultés expliquent pourquoi la compréhension du tunisien, même par des IA avancées, reste imparfaite.

Dés lors, le jour où une machine comprendra pleinement des expressions comme "taw taw" pressé ou "ya hassra" nostalgique, la Tunisie marquera un tournant technologique, son identité linguistique sera enfin intégrée dans l’architecture mondiale des technologies IA.

Bien que cet horizon semble possible selon plusieurs recherches en cours, le tunisien, dialecte hybride et mouvant, reste difficile à appréhender pour les machines, où il mêle l’arabe, le français, l’italien et le turc dans une même phrase, et son écriture n’est pas standardisée, ce qui complique encore l’apprentissage automatique.

Les corpus de données disponibles sont souvent incomplets, mal annotés et peu représentatifs de la langue vivante, celle que l’on parle dans les cafés, sur les réseaux sociaux ou dans les marchés. Cette dispersion des données empêche les modèles linguistiques de saisir la complexité du tunisien et les subtilités d'une phrase comme "Tawa nsoblik kahwa w n7kiw". La polysémie, les variations régionales et les écritures phonétiques créent un défi supplémentaire pour l’IA, qui peine à déchiffrer les nuances implicites, humoristiques et émotionnelles.

Pour surmonter ces difficultés, des chercheurs tunisiens ont entrepris de constituer des ressources linguistiques massives adaptées au dialecte, comme les modèles TunBERT. Ces projets visent à collecter et annoter des milliers de phrases authentiques provenant d’internet pour entraîner des IA capables de différencier les nuances contextuelles du tunisien. L’objectif est de ne pas simplement identifier des mots, mais de restituer l’intention et l’émotion derrière les expressions, rendant l’IA plus sensible à la texture affective de la langue.

L’innovation ne vient pas seulement des chercheurs mais aussi des startups tunisiennes qui parient également sur l’identité linguistique pour développer des assistants vocaux, des chatbots et des interfaces interactives qui parlent le tunisien authentique. En s’appuyant sur des enregistrements récoltés dans différentes régions, elles visent à créer des modèles sensibles aux accents et variations phonétiques, dépassant ainsi le « tunisien générique » pour refléter la diversité réelle du pays.

L’IA qui comprend le dialecte tunisien n’est pas seulement un enjeu culturel, mais aussi économique. Dans des secteurs comme les services clients, la santé, la banque ou l’éducation, l'intégration du tunisien dans les systèmes conversationnels pourrait améliorer l’expérience utilisateur et rendre les services numériques plus accessibles et plus proches des besoins réels des Tunisiens. Les machines qui comprennent des requêtes comme "Chnowa najem n3awnek ?" pourraient réduire la frustration des usagers et améliorer l’efficacité des services.

Au-delà de l’aspect utilitaire, l’enjeu est aussi de rendre accessible un patrimoine linguistique riche et culturel, souvent transmis oralement où comprendre des expressions comme "ya weldi" ironique ou "Yezzi malla !" impatient nécessite une modélisation fine de la culture locale, un défi qui va bien au-delà de l’ingénierie logicielle. C’est une véritable traduction culturelle que les chercheurs et les ingénieurs entreprennent, dans l’espoir de rendre l’IA capable non seulement de comprendre, mais aussi de produire un tunisien nuancé, contextuel et expressif.

À terme, des projets comme un « GPT-TN » pourraient voir le jour, entraînés sur des archives radiophoniques, des productions humoristiques, des conversations sur les réseaux sociaux et des corpus de proverbes populaires aboutissant à une IA imprégnée de la culture tunisienne, capable de saisir non seulement la signification des mots, mais aussi la profondeur des expressions et des émotions qui les accompagnent.

A ce titre, le développement d’une IA parlant tunisien n’est pas une simple innovation technologique, mais un défi culturel de grande envergure et si les machines parviennent un jour à saisir la portée exacte d’un "tawa, baed chweya", ce sera une victoire pour la Tunisie, un pas décisif vers la reconnaissance technologique de son identité linguistique, longtemps confinée à l’oral.

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