Réflexions sur un feuilleton télévisé : Les dangers d’une religiosité de façade
Mon propos n’est pas de critiquer une œuvre de fiction, en l’occurrence le feuilleton « Baraa » (Innocence) diffusée sur la chaine El Hiwar Ettounsi et portant la signature de Sami El Fehri. La création artistique doit être respectée et dans le cas de l’espèce, le jeu des comédiens est juste, l’histoire est digne d’intérêt et la technique télévisuelle est excellente. Mais ce qui pose problème c’est que le feuilleton ne fait que reproduire ce qui existe dans la société.
Et c’est là où le bât blesse. Car au-delà du « mariage coutumier » (3orfi) ; de la polygamie assumée au sein de la famille même si elle est cachée par la « taqia » pour ne pas subir les foudres de la loi positive, le feuilleton tombe dans le prosélytisme sinon l’extrémisme en dépeignant un jeune enfant assidu à la prière dans la mosquée y compris aux aurores tout seul s’il vous plait, ce qui est attentatoire à ses droits élémentaires à la sécurité physique et psychique. Même sa circoncision, un acte qui n’a rien de religieux mais qui est dans l’imaginaire collectif lié à l’appartenance à la communauté (c’est le cas d’ailleurs chez les juifs) est élevé à l’appropriation de la foi. Alors qu’il est du devoir des médias de faire le distinguo entre ce rituel et la foi, mais passons. Ce qui saute aux yeux c’est l’attachement du personnage principal campé par Fathi Heddaoui à la religion musulmane au pied de la lettre (le licite et l’illicite) et aux rituels de façade, forcément factices.
Le chapelet entre les doigts, prompt à dire des vérités absolues, tranchantes (sic) et donc incontestables, jaloux de ses prérogatives de mâle, à la supériorité indiscutable et porté à avoir les comportements qui vont avec, y compris par la violence, ce personnage et il en existe des tas dans notre pays est le contre-exemple de ce que la société ne doit nullement ménager. Que la fiction nous ouvre les yeux sur l’existence de ce genre de personnages, c’est sa responsabilité et son honneur mais le dépeindre sous les oripeaux d’un homme lisse, bien sous tous les rapports, défendu par la femme qu’il a pourtant cocufiée, cela le rend sympathique et même attachant. Ce n’est évidemment pas une bonne chose.
Même la fiction doit faire œuvre utile. L’attachement à une religiosité de façade est dangereux dans la société, car la foi poursuit des finalités et si elle s’en écarte, elle n’est plus qu’une instrumentalisation de la religion à des fins bassement matérielles et parfois carrément bestiales.
L’école tunisienne sous la férule du grand théologien Mohamed Tahar Ben Achour met l’accent sur les « finalités » (el-maqasid), ce qui rompt avec l’attachement aux apparences qui ne sont que des us et coutumes d’ailleurs parfois largement influencées par les traditions ancestrales des populations en question. Evidemment il n’est pas demandé à une œuvre de fiction d’être vigilante sur ce plan mais il n’est pas inutile que sa diffusion soit l’occasion d’un débat bien sûr souhaitable de nature à faire la part des choses et ouvrir les yeux sur des attitudes que l’on ne doit nullement tolérer, car elles sont en totale contradiction avec les droits humains tant collectifs qu’individuels. Mais ce qui est encore plus navrant c’est que cet accès de religiosité de façade gagne même l’architecture.
En effet une promotion est faite à un ensemble d’habitation à Hammmet où la piscine chauffée et en cascade avoisine une mosquée (eh oui) et le toboggan pour enfants un abattoir (sûrement destiné aux sacrifices des moutons pour l’Aïd el Idhaa). Encore des concessions à la religiosité de façade. Vraiment, c’est fort de café, comme dirait l’autre. Raouf Ben Rejeb
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