Tunisie-Chine: Plus d'un demi-siècle d'amitié et de partenariat gagnant-gagnant
Y. Chahed et le président chinois en marge du forum Chine-Afrique à Pékin en septembre 2018
Par Oumar DIAGANA
De retour d'un voyage en Chine, un homme politique et diplomate français fit une prophétie de taille. Il s'appelait Alain Peyrefitte. "Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera", avait-il écrit en substance en 1973. Et l’histoire lui a bel et bien donné raison. Non seulement la Chine s'est bien éveillée, mais elle ne cesse, chaque jour que Dieu fait, de le montrer à la face du monde. Et de quelle manière !
Nul ne peut l'ignorer, à moins d’être sourd et aveugle. L'Empire du Milieu est entré de plain-pied dans l'ère de la modernité en montant au firmament et en s'érigeant en puissance pacifique et responsable. Aujourd’hui, l'ascension de la Chine (1) bouleverse l’ordre international. Mieux, elle a même détrôné (en termes de PIB ajusté de la parité de pouvoir d’achat) le pays de l'Oncle Sam, ce gendarme du monde connu pour sa légendaire superpuissance.
La Tunisie, qui a visiblement décelé assez tôt une puissance en devenir, n'a pas perdu assez de temps pour tisser des liens économiques et commerciaux forts avec ce pays fascinant, ce mastodonte économique à la culture millénaire si belle et si différente.
Des relations vieilles et fructueuses
Depuis l'établissement, le 10 janvier 1964, des relations diplomatiques entre la Tunisie et la Chine, que de chemin parcouru. Depuis cette date, les relations entre les deux pays ne cessent de se développer aussi bien dans les échanges économiques et commerciaux que ceux éducatifs et culturels.
A l'origine culturelles et éducatives, les relations tuniso-chinoises ont touché au fur et à mesure tous les domaines. Le 22 juin 1979 déjà, les deux pays signaient à Beijing l'Accord culturel. Et en novembre de la même année, le premier Programme d'Application de l'Accord de coopération culturelle entre les deux parties fut signé pour les années 1980 et 1981. Depuis cette date jusqu'à nos jours, l'accord est sans cesse renouvelé.
Forts de ces programmes, la relation entre les deux pays est restée intacte. Et des délégations gouvernementales des deux pays composées de hauts fonctionnaires, d'artistes, se visitent mutuellement dans l'ancrage des relations. Mais bien avant, à partir de 1976 déjà, les deux pays commençaient les échanges de boursiers étudiants et depuis 1998, la langue chinoise est enseignée à l'Institut Supérieur des Langues de Tunis et plus tard comme option dans des lycées tunisiens.
Lors de la visite du vice-président de Chine en Tunisie en juin 2004, Tunis et Pékin signèrent un accord dans le domaine de l'enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de la technologie.
Ainsi, et plus récemment, en août 2018, un programme de collaboration riche dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique a été signé entre les deux pays. Et ce, lors d'une rencontre entre M. Wang Wenbin, Ambassadeur de la République populaire de Chine en Tunisie et M. Slim Khalbous, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.
Ce programme tournait autour d'un tryptique: la pérennisation de China Campus (2) (le salon des universités chinoises en Tunisie), l'ouverture du premier Institut Confucius en Tunisie (3), et le don chinois d’un super calculateur au Centre de calcul universitaire Al Khawarizmi.
Ce premier super calculateur, qui est mis à la disposition de tous les établissements universitaires, est d’un apport fort précieux à des dizaines de structures de recherche scientifique (unités, laboratoires et centres de recherche) œuvrant dans différentes disciplines.
Le yuan pour amortir le choc et sauver les meubles
Face à l'inquiétante dégringolade du dinar devant les devises traditionnelles qui régissent le marché international (euro, dollar...), la Tunisie, pour amortir le choc et sauver les meubles, a eu l'ingénieuse idée de se tourner vers son partenaire chinois. Et ce dernier était à mille lieues de faire la sourde oreille.
C'est ainsi qu'un mémorandum de coopération a été signé lundi 12 décembre 2016 à Pékin entre le gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie, Chedly Ayari, et son homologue chinois, en vue d’une plus grande ouverture entre les secteurs bancaire et financier des deux pays.
Les deux parties ont convenu de conclure une convention pour échanger le yuan chinois et le dinar en vue de payer une partie des transactions commerciales et financières par la monnaie nationale, ce qui permet de réduire les risques de change pour les deux parties, et incite les investisseurs chinois à importer du marché tunisien.
La possibilité d’émettre un emprunt obligataire tunisien sur le marché financier chinois a également été examinée par Tunis et Pékin, en vue de mobiliser des fonds contribuant au financement des projets de développement économique en Tunisie. De même une plus grande coopération entre les marchés boursiers des deux pays a été envisagée.
Relations économiques et investissements
Premier exportateur mondial et acteur global majeur, l’Empire du Milieu s'impose désormais en superpuissance mondiale allant jusqu'à façonner la redistribution des cartes géopolitiques.
Avec le développement des relations amicales, les échanges entre la Chine et la Tunisie se sont multipliés à tous les niveaux. Ce rapprochement entre le géant asiatique et la Tunisie, bien que salutaire à plus d'un titre, est appelé néanmoins à passer la vitesse supérieure. C'est que le volume total des investissements chinois en Tunisie ne dépasse pas les 6 millions de dollars (environ 18 millions DT).
Au niveau de la balance commerciale, les principales exportations tunisiennes vers la Chine concernent l'huile d'olive, le sel marin, le plastique, l'électroménager, les câbles automobiles, le cuir...Tandis que les importations en provenance de la Chine concernent essentiellement les équipements mécaniques et électriques, les métaux et ouvrages en métaux, le coton, le textile, les tissus industriels, les jouets, les équipements sportifs...
Mises à part les 11 entreprises chinoises installées en Tunisie (4) et qui totalisent quelque 12,9 millions DT et 538 salariés permanents, l'empreinte de la Chine en Tunisie est fort remarquable. En témoignent la kyrielle de réalisations (ou en cours) d'ouvrages hydrauliques, d'infrastructures diverses mais aussi de bâtiments civils imposants, à l'instar des archives nationales, le centre culturel et sportif d'El Menzah, le barrage de l'oued Mellegue, la station d'eau usée de Sousse, le CHU de Sfax (en cours) et dont les travaux démarreront incessamment, l'académie diplomatique (5), le centre Al Khawarizmi et le centre culturel et sportif pour les jeunes à Ben Arous.
Dans le domaine de la coopération technique, médicale et de l'assistance financière, notons que l'Empire du Milieu finance les études de construction d’un pont de 2,6 kilomètres reliant l’Île de Djerba à Zarzis, de l'extension de la zone économique de Zarzis et du réseau ferré Gabes-Médenine.
Par ailleurs, près d'un millier de médecins ont participé depuis une quarantaine d'années à des missions médicales de deux ans en Tunisie. Tandis que plus de 130 stagiaires tunisiens ont suivi des sessions de formation en Chine.
La Tunisie, une destination prisée pour les touristes chinois
Selon les prévisions de l'Institut de recherche sur le tourisme en Chine, près de 180 millions de Chinois voyageront à travers le monde en 2019, contre 149 millions en 2018, ce chiffre passerait à 260 millions d'ici à 2030. Ces dernières années, le nombre de touristes chinois se rendant en Afrique a explosé, selon le rapport 2018 du Luxury Chinese Traveller.
Ainsi, la Tunisie ne cesse de devenir une destination privilégiée pour les touristes chinois. En 2017, quelque 18 mille touristes ont visité la Tunisie, soit une croissance de 150% par rapport à 2016. En 2018, le nombre de touristes chinois ayant foulé le sol tunisien a connu une progression de près de 44% par rapport à 2017.
Signe des bonnes relations entre les deux pays, la Tunisie a permis en 2017 aux touristes chinois d'entrer dans le pays sans visa. En même temps, les autorités chinoises ont exonéré les Tunisiens des frais de visa depuis fin août 2017.
Déjà depuis 2003, la Chine a octroyé à la Tunisie le statut de destination touristique approuvée (ADS) et quatre ans plus tard (en 2007), elle a permis l'ouverture d'une représentation du tourisme tunisien à Pékin. L'Empire du Milieu est ainsi devenu l'un des marchés à la croissance la plus rapide en Tunisie.
A n’en point douter, les relations tuniso-chinoises ont connu au cours de ces dernières années des progrès considérables. Cela s'est manifesté par l'accroissement des visites entre les hauts responsables des deux pays, à l'instar de la visite officielle effectuée par le ministre des Affaires étrangères en Chine en juillet 2017, tandis que son homologue chinois Wang Yi s'était rendu à Tunis en mai 2016.
En mai 2018, un nombre important d'investisseurs et de responsables tunisiens et chinois ont participé à Tunis au forum économique tuniso-chinois. L'objectif étant de concrétiser des projets de coopération économique et commerciale entre les deux pays. En septembre 2018, une délégation tunisienne s'est rendue à Beijing dans le cadre du Forum de coopération Chine-Afrique. A cette occasion, le Chef du gouvernement Youssef chahed avait annoncé depuis Pékin que la Chine a fait don de 110 millions de dinars à la Tunisie.
Sans doute, depuis ce forum c’est une nouvelle dynamique qui se dessine jour après jour entre la Chine et la Tunisie et qui ouvre la porte à de nouvelles perspectives et opportunités mirobolantes, marquant encore une nouvelle fois la volonté de Pékin de renforcer son positionnement sur l’échiquier économique international. Un positionnement qui tutoie désormais, sans une once de complexe, l’Amérique de Donald Trump.
O.D.
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(1) Avec ses 9,6 millions de km2 et fort de plus de 1,39 milliard d'habitants, la Chine s’est lancée dans des projets planétaires faramineux, incarnés notamment par l'initiative Ceinture et Route (la Route de la soie), la conquête de l'espace (en y envoyant des robots) et des bonds exceptionnels en intelligence artificielle.
(2) La première édition de China Campus, avec 23 universités chinoises, s’est tenue à la Cité des sciences à Tunis en 2017 avec pour objectif d’en faire une manifestation biennale.
(3) Le premier Institut Confucius en Tunisie a ouvert ses portes en fin 2018 à l’Université de Carthage. Les instituts Confucius sont des organismes à but non-lucratif qui visent à promouvoir l’apprentissage de la langue chinoise et une meilleure connaissance de la culture de ce pays.
(4) Quelques rares entreprises tunisiennes sont installées en Chine, parmi elles le Groupe chimique tunisien qui y a installé une entreprise en joint-venture. Elle est aujourd’hui l’un des fabricants les plus importants d’engrais composés de Chine et même d’Asie.
(5) L'académie diplomatique, d'une superficie de 2 hectares, est un financement du partenaire chinois à raison de 200 millions de yuan (soit quelque 26 millions d'euros). Les travaux qui ont débuté en mai dernier devraient prendre fin en 2020. L'Académie doit remplacer l'Institut diplomatique pour se concentrer sur la recherche et la formation, en offrant des cycles de formation et des séminaires. Elle assurera aussi des cours de langues étrangères.
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