Tunisie: Les origines du blocage des réformes sont gouvernementales, institutionnelles, syndicales...
"La mauvaise gouvernance de la transition démocratique en Tunisie a fortement affaibli le rôle de l'Etat", c’est ce qui ressort d’une étude publiée par l’IACE lors des journées de l’Entreprise qui ont eu lieu les 6 et 7 Décembre 2019 à Sousse.
La mauvaise gouvernance se manifeste par son incapacité à faire respecter la loi et à engager les réformes les plus sérieuses. Les origines de ce blocage des réformes sont à la fois gouvernementales (mauvaise gouvernance et perte de crédibilité) institutionnelles (défaillances du code électoral et du règlement intérieur), syndicales (montée des fameuses "lignes rouges") et patronales (lobbying de certains rentiers du formel et de l'informel).
Affaiblissement de l'Etat et montée du populisme
Toujours selon l'étude en question, l'affaiblissement de l'Etat a engendré la montée des thèses populistes via trois canaux : la corruption, l'incapacité de réformer, et la dépendance économique et financière
Des institutions gangrénées par la corruption
L'affaiblissement de l'Etat se traduit par la remise en cause de l'Etat de droit, favorisant la propagation de la corruption. La structure légale et réglementaire de l’économie se transforme en un champ de bataille dominé par des lobbies à la recherche de rentes. Des Pots-de-vin, à certains parlementaires pour « acheter » leur vote sur des lois déterminantes pour certains secteurs, à certains administrateurs pour faciliter certaines démarches administratives, et à certains juges capables sans scrupules de contourner la loi. Bref, tous les exemples classiques de la corruption. Au niveau institutionnel, les défaillances dans le code électoral qui nourrit l'atomisation politique et dans un règlement intérieur de l'assemblée qui demeure laxiste avec le tourisme politique et l'absentéisme des députés, ont lourdement perturbé les travaux de l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP).
Ces défaillances ont largement contribué au blocage de plusieurs projets de loi, alimentant ainsi un sentiment de rejet à l'égard des institutions et de toute la classe politique. Finalement, dans un Etat faible la corruption prend le dessus, ce qui discrédite les institutions de la République et favorise l'émergence d'un discours antisystème. Ainsi, ce type de discours émerge rapidement sur les réseaux sociaux, et dans une deuxième phase, envahit la place publique, offrant du kérosène à la fièvre populiste.
L'incapacité à engager les réformes structurelles
Un Etat faible serait incapable de s'engager dans une dynamique de réforme. Un Etat incapable de faire respecter la loi ne pourrait en aucun cas prendre le risque de gérer les collatéraux de certaines réformes socialement coûteuses.
Au contraire, nous sommes le plus souvent témoin d'un gouvernement qui cède aux revendications sociales et aux diktats des rentiers du formel et de l'informel. De ce fait, l'économie encaisse une dégradation des fondamentaux macroéconomiques. Ainsi, le contexte est plus favorable aux "mesurettes" qui finiront par plomber la croissance dans un niveau faible, creusant ainsi les inégalités sociales et régionales.
La dépendance économique et financière
La faiblesse de l'Etat et le blocage des réformes qui en résulte renforcent la dépendance économique et surtout financière d'une économie. En effet, la dégradation des fondamentaux (notamment le creusement du déficit courant et la dégradation des finances publiques) ont poussé l'économie tunisienne à recourir à l'endettement externe (multilatéral, bilatéral, marché international) et interne (emprunt sur le marché obligataire et auprès des banques de la place).
La signature du gouvernement tunisien de deux accords avec le FMI nous offre un très bon exemple de dépendance à l'égard des bailleurs de fonds étrangers, surtout avec l'assèchement des sources de financement chaque fois que les discussions avec le FMI prennent du retard. Avec une dette publique à dominante externe (près des trois quarts en devises étrangères) la dépendance financière à l'égard des bailleurs de fonds étrangers est renforcée.
Si nous ajoutons l'effet change, résultant de la dépréciation du dinar, observé simultanément sur l'encours et le service de la dette, le tableau de la dépendance financière devient plus séduisant pour les défenseurs des thèses populistes. Ainsi, une nouvelle partition s'offre à la symphonie populiste, déjà comblée par le dossier de l'ALECA et celui des richesses nationales, pour qu'elle consolide son argumentaire sur la perte de souveraineté nationale et l'urgence des politiques ultra-protectionnistes.
En somme, la montée du populisme prend ses racines dans la peur du déclassement social et son corollaire, la perte de confiance dans l'avenir. Elle est alimentée par un sentiment de rejet à l'égard des institutions, qui selon le même argumentaire, sont à la solde des intérêts des lobbies nationaux et étrangers
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