Affaire Mohamed Zouari : Des dysfonctionnements à éviter impérativement

Affaire Mohamed Zouari : Des dysfonctionnements à éviter impérativement

 

Le meurtre de Mohamed Zouari à Sfax par les nouvelles qu’il a induites a fait l’effet d’un choc auprès de l’opinion publique. Surtout que les hautes autorités du pays n’ont pas réagi à temps et avec la fermeté requise. ce retard n’a pas arrangé les choses. L’inquiétude des Tunisiens n’a fait que croitre lorsqu’ils ont découvert qu’un journaliste israélien a pu travailler en Tunisie en toute tranquillité. Agression caractérisée de la sécurité d’un côté, violation de la souveraineté de l’autre, de graves et intolérables dysfonctionnements…

Jeudi dernier en plein jour, vers 14h et en pleine rue, un homme est tué par une arme à feu alors qu’il prenait place dans sa voiture. Tout dans l’acte a de quoi intriguer. Pourtant les services sécuritaires, la justice et la classe politique n’y ont vu que du feu. A la limite un simple fait divers qui ne prendrait pas trois lignes dans un journal même pas sérieux. Du genre « chiens écrasés » comme dirait l’autre.

Minimiser l’affaire

Alors même si la progression de l’enquête donnait quelques indices qui faisaient sortir l’affaire de l’ordinaire, on continuait à parler d’un crime de droit commun. Tout au plus d’un règlement de comptes. Toutes les parties concernées c’est à dire la police et la justice cherchent à minimiser l’affaire. Comme de bien entendu, les médias leur emboitent le pas.

Alors que les Brigades Al-Qassem, le bras armé du mouvement islamiste palestinien ont publié sur leur site un « faire-part » tout ce qu’il y a de plus sérieux indiquant clairement que Mohamed Zouari est mort en martyr de la cause que défend le mouvement palestinien, nos hommes politiques continuaient à faire la sourde oreille. Quand bien même L’implication des services israéliens ne faisait point de doute, le gouvernement vaquait à ses affaires courantes comme si de rien n’était.

Youssef Chahed réunissait son gouvernement pour un séminaire plutôt informel question de faire ample connaissance « pour cimenter la solidarité gouvernementale » dira-t-il. Au lendemain de l’adoption de la Loi des Finances il voulait faire le bilan de 114 jours aux affaires.

Silence assourdissant

L’affaire Mohamed Zouari a fini par s’imposer non qu’elle était à l’ordre du jour mais parce que l’opinion publique s’est sentie flouée et a dénoncé le silence assourdissant des autorités publiques. Embarrassé le chef de gouvernement l’était sans aucun doute. Ni les services de sécurité ni ses conseillers de communication ne l’ont alerté sur la gravité du sujet.

Il a fallu que les Tunisiens lui fassent connaitre leurs états d’âme à travers les réseaux sociaux, pour qu’il finisse par faire publier un communiqué sans aspérités où on parle de « la confirmation de l’implication d’éléments étrangers » et de « l’engagement de l’Etat à protéger ses ressortissants », nous promettant que les investigations seront poursuivies et que toutes les parties impliquées devront payer pour leur crime. On ne s’attendait pas à moins.

Appeler un chat, un chat

Pourquoi tant de retard et tant de « cachotteries ». Il aurait fallu appeler un chat un chat et dire clairement que les soupçons désignent les services israéliens comme les auteurs de ce crime abject. Il eut été indiqué de parler tout de suite d’une « violation » de la souveraineté nationale et d’une plainte qui devrait être déposée au Conseil de sécurité de nations unies contre Israël. Le chef de gouvernement nous dit que c’est au ministère de l’intérieur de nous révéler les détails de l’affaire en temps opportun pour ne pas déflorer le secret de l’enquête. S’il s’agissait d’un meurtre ordinaire ça aurait été suffisant même si c’est plutôt au parquet de donner ces détails.

Mais comme il s’agit d’une affaire grave qui porte atteinte à la souveraineté du pays et qui est suivi avec beaucoup d’attention par l’opinion publique il revenait au chef du gouvernement en personne de s’adresser à la nation et de dire avec solennité des phrases percutantes pour rassurer les Tunisiens d’une part et pour envoyer une mise en garde aux auteurs de cette agression caractérisée contre la Tunisie.

Le ministre de l’Intérieur a fait de son mieux au cours d’une conférence de presse qui paraissait pour lui comme une corvée dont il aurait aimé être dispensée mais il fallait la faire tant la pression de l’opinion publique était grande. Mais là-dessus, il s’est retenu de dire le mot qui brulait sur toutes les lèvres, celui de l’identité des services étrangers impliqués en l’absence d’indices clairs dira-t-il comme si ces services vont un jour revendiquer cette opération menée selon un scénario hollywoodien comme dira un quotidien de la place.

On a parlé à tort d’obligation de réserve du représentant de l’Etat, mais il n’y a pas de réserve qui tienne quand il s’agit de la sécurité, de la souveraineté et de l’intégrité de la nation

Violation de la souveraineté

Comme un problème n’arrive jamais seul, s’ajoute à cette mauvaise manière de prendre en charge une affaire gravissime, un autre problème qui a surgi de façon subséquente. Il s’agit de l’histoire de ce journaliste israélien diffusant sa correspondance en direct de Tunis au vu et au su de millions de téléspectateurs à travers le monde. Là aussi c’est une violation de la souveraineté nationale. Quelques soient les prétextes et les justifications, rien ne pourra nous faire croire qu’il n’y a pas eu là aussi des complicités tunisiennes criardes.

Même s’il disposait d’un passeport allemand et qu’il s’est présenté comme le correspondant de la BBC anglaise ou de la ZDF allemande, ce journaliste parlant hébreu et envoyant ses correspondances d’unn lieu proche du ministère de l’intérieur a mis les Tunisiens très mal à l’aise bien plus que le meurtre de Mohamed Zouari. Car si cette dernière affaire a été préparée de longue date avec la sophistication que l’on connait il n’a pas fallu beaucoup d’efforts et de temps pour que le journaliste israélien prenne ses aises en Tunisie. C’est donc bien plus grave que le meurtre lui-même. Une enquête fouillée doit être menée et les dysfonctionnements désignés du doigt et réglés.

En janvier 2011, quand la révolution a poussé l’ancien président à l’exil, deux domaines ont été carrément décapités du fait que le régime déchu les a instrumentalisé à son service, les services de renseignements(utilisés pour suivre les adversaires politiques et contrôler tout le monde) et l’information ( exploitée pour servir l’image de la camarilla et la conforter au pouvoir). L’affaire du meurtre de Mohamed Zouari a montré les effets pervers des dégâts subis dans ces deux domaines.

Jeter le bébé avec l’eau du bain

A l’évidence les services de renseignements ont été totalement à côté de la plaque. Ils n’ont rien vu venir. Les auteurs du crime ont vécu plus des semaines en Tunisie sans être inquiétés. Ils ont pu procéder aux repérages, louer les véhicules et se déplacer entre Tunis et Sfax avec une facilité déconcertante.

De même la cible n’avait éveillé aucun soupçon alors que tout son itinéraire aurait dû faire de lui un homme sous surveillance. Ancien islamiste, ayant vécu en Syrie, marié à une Syrienne qui porte le Niqab, se déplaçant régulièrement en Turquie et en Syrie, ayant des compétences avérées dans l’aéronautique, c’est quelqu’un qui sortait de l’ordinaire. La moindre des choses c’est qu’il eut été sous l’œil bienveillant de la police. Il n’en fut rien et c’est qui avait conduit à sa perte.

Au niveau des médias, il ne fait pas de doute que si l’agence de communication extérieure n’ait pas été supprimée, l’anarchie qui règne dans le secteur aurait été évitée. Il n’aurait pas été possible qu’un touriste allemand se mue en journaliste israélien diffusant sa correspondance directement de Tunis sur une chaîne de la télévision israélienne.

Dans tous les pays du monde, y compris dans les démocraties établies, il y a une structure administrative habilitée à accorder des autorisations aux journalistes étrangers, à les encadrer et à suivre de près leurs activités.

La liberté et la démocratie dans ce domaine comme ailleurs ne signifient pas le laxisme et le laisser-aller.

Du reste des mesures idoines doivent être prises impérativement pour que de tels dysfonctionnements ne se répètent pas.

Les Tunisiens sont inquiets à juste titre car leur pays a paru comme une passoire où tout le monde rentre et sort avec une déconcertante faciliter.

Pour les rassurer il est nécessaire que cet état de fait cesse.

RBR

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