Algérie : une foule impressionnante manifeste à Alger, La France et Macron fustigés

 Algérie : une foule impressionnante manifeste à Alger, La France et Macron fustigés

 

Une foule impressionnante a manifesté vendredi 15 mars à Alger et dans plusieurs villes d’Algérie, contre le pouvoir en place. C’est le quatrième vendredi de contestation et le premier depuis que le président Abdelaziz Bouteflika a reporté l’élection présidentielle, prolongeant sine die son mandat au-delà de son terme prévu, le 28 avril.

Le nombre exact de manifestants est difficile à établir, ni les autorités ni les protestataires ne communiquant de chiffres. Mais la mobilisation est au moins similaire à celle du vendredi précédent, jugée exceptionnelle par les médias et analystes algériens.

Hommes, femmes et enfants ont commencé à marcher en début d’après-midi, dans une ambiance festive, dans les rues et ruelles du centre de la capitale, autour du carrefour de la Grande-Poste, bâtiment emblématique du cœur d’Alger, et la foule continue d’affluer.

La mobilisation est également « très forte » et comparable à celle de la semaine passée à Oran, deuxième ville d’Algérie, selon un journaliste d’un média algérien sur place. « La principale artère du centre-ville est noire de monde », selon celui-ci. Idem à Constantine, la troisième ville du pays. D’importantes mobilisations sont aussi signalées dans d’autres villes d’Algérie, selon les réseaux sociaux.

Face aux manifestations réclamant depuis le 22 février qu’il renonce à un cinquième mandat, le chef de l’Etat a retiré sa candidature et repoussé la présidentielle prévue le 18 avril, jusqu’à l’issue d’une prochaine conférence nationale devant réformer le pays et élaborer une nouvelle constitution, prolongeant sine die son mandat au-delà de son expiration, le 28 avril.

« On voulait des élections sans Bouteflika, on se retrouve avec Bouteflika sans élection », s’insurge une pancarte, résumant le sentiment des contestataires depuis l’annonce du président. « Quand on dit “non au cinquième mandat”, il nous dit “alors on garde le quatrième” », indique une autre. « Hé, ho, enlevez le clan [au pouvoir], on sera heureux », chantent, à pleins poumons, les manifestants – hommes, femmes et enfants, de tous âges.

Comme les semaines précédentes, l’emblème national – vert et blanc, frappé du croissant et de l’étoile rouges – est omniprésent : drapeaux de toutes tailles, brandis ou portés en cape, écharpe, casquette… Le drapeau algérien est également largement déployé aux balcons des immeubles.

Une dizaine de camionnettes de la police sont garées à proximité du rassemblement, mais les policiers n’interviennent pas. Comme presque chaque jour depuis trois semaines, un hélicoptère tournoie au-dessus du centre-ville. La police a bloqué les rues conduisant au siège du gouvernement et au Parlement.

De nombreux manifestants expliquent à l’AFP être venus dès la veille à Alger, où ils ont passé la nuit chez des parents ou amis, craignant de ne pouvoir rejoindre la capitale en raison de barrages ou en l’absence de bus.

« On savait qu’ils allaient fermer les routes, alors on a passé la nuit » à Alger, indique Mokrane, un maçon de 43 ans venu de Tizi-Ouzou, grande ville de la région de Kabylie, à environ 100 km à l’est de la capitale. Naïma, 45 ans, a fait 350 km de route pour venir la veille de Jijel afin de protester contre le « quatrième mandat prolongé ». Lamia, enseignante de 30 ans, est venue de Bouira (80 km au sud-est d’Alger) pour manifester contre cette « mascarade anticonstitutionnelle ».

« Vous faites semblant de nous comprendre, on fait semblant de vous écouter », indiquent des pancartes de manifestants devant la Grande Poste, en réponse aux efforts déployés toute la semaine par le pouvoir pour tenter de convaincre que le chef de l’Etat avait répondu à la colère des Algériens.

En manifestant en nombre mardi et mercredi, étudiants et universitaires, puis enseignants et lycéens, ont déjà fait savoir clairement qu’ils estimaient que le message de la rue – le système actuel dans son ensemble doit partir – n’était pas passé. Et toute la semaine, les appels à manifester massivement pour un quatrième vendredi consécutif ont été relayés par les réseaux sociaux, avec des mots-dièses explicites : « #Ils_partiront_tous », « #Partez ! »… Avec souvent une touche d’humour : une image conjugue ainsi le mois de mars sur le modèle du verbe « marcher » : « Je marche, tu marches […], ils partent. »

La conférence de presse conjointe, jeudi, du nouveau premier ministre, Nourredine Bedoui, qui a remplacé lundi le très impopulaire Ahmed Ouyahia, et du vice-premier ministre, Ramtane Lamamra, un diplomate chevronné, a peiné à convaincre. Au lieu d’apaiser la colère, vive mais toujours pacifique, elle a semblé au contraire la renforcer.

« Dégagez ! », titre en « une », vendredi, l’édition du week-end du quotidien francophone El Watan, qui reprend un slogan de la contestation et qui estime que M. Bedoui a « esquivé les vraies questions » durant son exposé devant les médias.

La France et Macron fustigés

Nouveauté, de nombreuses pancartes à Alger fustigent la France, ancienne puissance coloniale, et notamment son président, Emmanuel Macron, qui a « salué la décision du président Bouteflika »de ne pas se présenter à un cinquième mandat, tout en appelant à une « transition d’une durée raisonnable ». « C’est le peuple qui choisit, pas la France », indique une grande banderole.

Certains slogans ironiques s’adressent directement au président français : « Macron, tu es trop petit pour l’Algérie d’aujourd’hui », « Macron, occupe-toi de tes “gilets jaunes” »… Les manifestants portent plusieurs pancartes rappelant les cent trente-deux ans de domination coloniale française, entre 1830 et 1962, année de l’indépendance du pays, conquise au prix de huit ans de guerre sanglante. « La France, 132 ans ça suffit, halte à l’ingérence », indique une pancarte.

« L’Elysée, stop ! On est en 2019, pas en 1830 », date de la conquête de l’Algérie par la France, souligne une autre. D’autres dénoncent une présumée collusion entre Paris et le pouvoir algérien. « Résistance à l’alternance désignée par la France », peut-on lire sur une grande banderole. « Non à un système béni par la France ! », dénonce une pancarte.

« FLN = réseau de lobbying de la France », indique une autre en anglais, en référence au Front de libération nationale (FLN), au pouvoir depuis l’indépendance de l’Algérie.

« La France nous a fait beaucoup de tort » en saluant la prolongation du mandat du président Bouteflika, affirme Mounira, 77 ans, enseignante universitaire à la retraite. « Les autres pays suivent souvent la position de la France sur l’Algérie », explique-t-elle, dénonçant de la part de Paris « une vision biaisée des manifestations et de l’Algérie ».

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