Auditions de l’IVD dans l’émission d’El-Wafi : La Tunisie écartelée, ce n’est pas le but !
Les auditions publiques de l’Instance Vérité et dignité devraient signer la fin d’un processus, celui de cicatriser les plaies du passé pour passer à autre chose. Six ans après la révolution qui a emporté l’ancien régime, c’est ce qui est attendu de la justice transitionnelle. Or l’on se rend compte que les témoignages des victimes des exactions, parfois à la limite du supportable n’ont fait qu’élargir le fossé entre les Tunisiens. « L’entente cordiale » qui a été bâtie péniblement entre des familles politiques adverses risque d’ailleurs de voler en éclats.
L’émission de Samir el-Wafi « Liman Yajroo fakat » diffusée dimanche soir a donné une image des divisions qui partagent les Tunisiens dans leur perception des abus de l’ancienne époque. Le choix de l’IVD de privilégier par l’émotion les victimes islamistes, qui sont, il faut bien le reconnaitre, les plus nombreuses a offert au représentant d’Ennahdha dans l’émission, l’ancien ministre de la Troïka et président de son Majlis Choura, Abdelkrim Harouni une certaine prééminence. Jouant de la victimisation qui a touché essentiellement ses compagnons d’infortune, il avait le beau rôle, celui de pointer les autres du doigt, et de se mettre en dehors de toute accusation qui pourrait lui être imputée. C’est du moins ainsi que son bord est perçu à travers les premières auditions. Se plaçant de haut, il est bien magnanime lorsqu’il dit qu’il suffit pour les « bourreaux »de demander pardon pour que la page soit tournée.
Mais « la culture de la repentance » n’est pas dans nos traditions, lui rétorque l’historien Abdejlil Bouguerra qui estime que c’est à ses collègues que revient le devoir de mettre au clair le passé du pays. Or juge-t-il les historiens ont été exclus de ce travail de mémoire, ce qui conduit à une « politisation à l’extrême » de la justice transitionnelle et du travail de l’Instance Vérité et Dignité. Pour lui, juger une époque doit prendre en compte tous ses tenants et aboutissants. Ce qui impose un détachement par rapport aux événements ponctuels qui ne sont que des manifestations parfois paroxystiques d’une situation conflictuelle forcément à plusieurs paramètres. Les historiens sont plus outillés que d’autres pour expliquer les liens entre l’événementiel et la réalité toujours complexe.
Quels rapports peuvent avoir ceux qui sont considérés comme étant du côté des bourreaux quand bien même on ne peut leur imputer la moindre responsabilité dans des faits documentés reprochés à l’ancien régime. Ces rapports sont de deux ordres, du reste fort bien montrés par le choix des invités. Il y a ceux qui ont été submergés par une émotion réelle devant les graves atteintes aux droits de l’homme subies par les victimes. Bien qu’ils furent membres du parti de Ben Ali, le RCD dissous, ils n’en savaient rien de ce qui se passait dans les geôles du régime ou n’en voulaient rien savoir et qui étaient pris à la gorge par les récits de l’horreur.
Ceux-là à l’image de Yadh Elloumi présent sur le plateau de Samir el-Wafi ne se faisaient pas prier pour demander pardon. Une démarche sincère pour les uns, comme semble être le cas de l’invité susnommé ou faite par opportunisme politique sinon comme calcul politicien, comme le reproche en a été fait au dernier secrétaire général de l’ancien parti au pouvoir dissous, Mohamed Ghariani critiqué sévèrement dans son ancien camp. En tout cas Elloumi a pris ses distances avec sa famille politique d’origine, les destouriens, en ralliant le parti de Moncef Marzouki Harak Tounés el-Irada. Sa sincérité est donc sujette à caution. Surtout lorsqu’il veut enfoncer davantage « le président déchu » comme il le qualifie en demandant qu’il soit traduit devant les instances pénales internationales pour les « exactions » instituées en système de gouvernement selon lui.
De l’autre côté, il y a ceux comme Ridha Mellouli, un ancien proche du régime qui fut membre de la chambre des conseillers (supprimée dans la nouvelle constitution). Celui-ci n’en démord pas : il n’y a de pardon qui vaille. Pour lui tout le processus de la justice transitionnelle est inacceptable car son objectif est de se venger de l’ancien régime. De plus il a, selon lui, un défaut originel, la personnalité de la présidente de l’instance qui en a la charge. Sihem Ben Sédrine, une opposante notoire de l’ancien régime ne peut pas être investie du rôle de juger ce régime.
De plus la femme est controversée non seulement pour sa direction de l’instance mais aussi pour ses tendances politique qu’elle a mis en œuvre en privilégiant les islamistes dans les premières audiences, en ignorant les abus de ces derniers et même en choisissant le lieu de ces auditions, une ancienne propriété de Leïla Ben Ali qui servait de lieu de loisirs et non de centre de pouvoir. Positions comme on voit inconciliables qui ne peuvent mener à la réconciliation comme il est attendu du processus de justice transitionnelle.
Destinée à rapprocher les Tunisiens qui doivent y trouver une catharsis pour tourner définitivement la page du passé et constituer un trait d’union entre « victimes » et « bourreaux », la justice transitionnelle risque d’être une nouvelle opoortunité pour écarteler les Tunisiens entre bons et mauvais, entre formidables et lamentables entre convenables et minables….Entre des gens fréquentables et ceux qui doivent se cacher tant leurs torts ne peuvent être oubliés.
La Tunisie a-t-elle besoin de ça pour panser les plaies du passé. Peut-elle se permettre le luxe de fouiller dans son passé alors que sa jeunesse veut regarder vers l’avenir et veut surtout de l’emploi et un mieux-être. C’était d’ailleurs la revendication de ces milliers de jeunes qui se sont révoltés entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011. Ceux-là ne demandaient pas l’exhumation du passé avec ses odeurs nauséabondes.
Mais peut-être est-ce le prix à payer pour bâtir une Tunisie nouvelle et réconciliée avec elle-même
Raouf Ben Rejeb
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