De Bourguiba à Saïd, des monarques de la République: "Chassez le naturel, il revient au galop"!

De Bourguiba à Saïd, des monarques de la République: "Chassez le naturel, il revient au galop"!

Par Naoufel Ben Aissa

Voilà 59 ans, le 1er octobre 1962 fut enterré le dernier Bey de la dynastie Husseinite Lamine Pacha Bey déchu du trône par son Premier ministre Habib Bourguiba un 25 Juillet 1957.

Le jour de l'enterrement, le cortège funèbre devait se diriger de la dernière demeure du défunt - un modeste appartement situé à la rue Hasdrubal au quartier Lafayette de Tunis- au cimetière communal Sidi Abdelaziz à la Marsa. Au lieu d'une voiture mortuaire -pourtant disponible et en place devant l'immeuble - c'est un camion de police qui s'est chargé du transport de la dépouille beylicale. Escorté de 2 motards et avec une célérité remarquable, le convoi est arrivé à destination et la dépouille mise à terre avant même l'arrivée de la famille du défunt.

Juste un détail qui veut tout dire. A la sortie de la dépouille du monarque de sa dernière demeure, la rue était déserte et seul s'y trouvait un photographe, Mr Sebag, ami de la famille Husseinite et de confession juive, qui voulait immortaliser l'événement. En fait, il s'est trouvé tout bonnement au poste de police et la pellicule confisquée!

Abolition du Beylicat.

Bourguiba, abusant de la confiance du Bey qui l'a nommé "Grand Vizir" (Al Wazir Al Akbar) en remplacement de l'illustre patriote signataire de l'indépendance Tahar Ben Ammar, et profitant de la naïveté d'un peuple qu'il a su leurrer, a sauté comme un rapace sur le pays pour s'approprier tous les pouvoirs et les beaux rôles et trainer le reste de la nation, les patriotes et militants pas à son goût dans la boue.

Ainsi, il a aboli le Beylicat pour promulguer la République. Seulement, il a instauré une République monarchique où il a sévi durant trois décennies en despote et fait régner la tyrannie. Il n'a pas volé comme on dit, certes, seulement il s'est approprié le pays et en a fait un bien à lui et c'est encore pire.

Ben Ali, qui fut plus fin que Bourguiba et ne l'a pas maltraité comme fut humilié le Bey et sa famille par le "combattant sub alterne", a trouvé un système despotique monarchique bien établi et parfaitement installé et huilé par son prédécesseur. Il ne s'en est pas privé et a continué sur la même lancée.

Toujours est-il que sur le plan économique, il a fait beaucoup mieux et c'est tant mieux.

La révolution avortée.

Après la révolution, Beji, comme Bourguiba du reste, affamé de pouvoir, nombriliste, rancunier et opportuniste, a cru trouver le chemin de la gloire et de l'immortalité. Il s'est associé avec le cheikh Rached Gannouchi de la mouvance islamique pour se partager le butin de guerre et le pouvoir en Tunisie. L'un à la tête de l'Etat et l'autre à la tête du pouvoir. A propos, il faut savoir qu'en réalité, le partage a été décidé et les accords faits depuis que Foued Mebazza faisait de la figuration à Carthage et Beji était locataire suprême à la Kasbah. Une fois au Palais de Carthage, Beji a encore voulu faire comme Bourguiba, avoir "le beurre et l'argent du beurre" et c'est là qu'il s'est cogné contre l'incarnation même de la ruse, "achcheikh". Un vieux comme lui qui n'est pas tombé de la dernière pluie et qui ne se laisse jamais doublé. Pour en finir, ce dernier l'a assommé comme tout le monde sait par son propre heurtoir, Jo. Juste un petit chaperon du gouvernement.

En conclusion, une fois Président, Beji s'est brûlé les méninges pour se comporter en monarque comme Bourguiba à telle enseigne qu'il s'est même mis à le "singer!"  Toutefois, non seulement il n'y est pas parvenu, mais comme Bourguiba et contrairement à Ben Ali, il a laissé le pays au bord de l'abîme.

Et maintenant, voilà que nous avons un Président sans prétention aucune, apparemment. D'après ce qu'il dit, servir le pays et y redorer le blason de la loi, l'équité et la morale sont ses vœux. C'est ainsi qu'il s'est exprimé depuis qu'il a commencé à se manifester en candidat puis en Président. Or, le 25 juillet dernier, comme Bourguiba 64 ans auparavant, il a fait un discours à la nation pour annoncer sans l'avouer une énième ère d'une nouvelle monarchie républicaine !
 Il suffit de le suivre et d'observer son comportement pour le constater.

Pour le moment, il est en voie de réussir là où Beji a échoué. Entre temps, le problème de la Constitution n'est toujours pas réglé et on ne sait toujours pas à quoi ressemble le régime politique de cette République tunisienne !

Beylicat, destouriens et "irrepublicains"

Contrairement à ce qu'on prétend, il n'y a pas plus destourien que le Beylicat. Les deux derniers Beys en tout cas, en étaient des authentiques alors que, paradoxalement, ceux de la "République" ne le sont pas. Juste une prétention et un effet d'annonce.

La preuve : les essais de doter le pays d'une Constitution en bonne et due forme date de « ahd el amen », donc de la deuxième moitié du XIXème siècle. Ensuite, ce projet beylical, entravé par l'hégémonie de la France et des puissances coloniales de l'époque, fut relancé par feu Lamine Bey et c'est ainsi qu'il autorisa la constitution d'une "Constituante".

En 1957, il devait proclamer l'avènement de la monarchie constitutionnelle de telle sorte que le pouvoir sur le pays soit régi par une Constitution établie, élaborée et votée par une assemblée des élus du peuple à qui revient le droit de promulguer les lois. Quant au Roi, il lui revient d'assumer un rôle protocolaire et de veiller à la souveraineté du pays. Au lieu de celà, durant les règnes de Bourguiba et de Ben Ali, la Tunisie a été en réalité gouvernée par des irrepublicains.

Le peuple n'a jamais eu à choisir ses représentants, à disposer de son sort ni à s'exprimer sur son avenir. Dix ans après la révolution et la déviation voulue et réalisée par les deux Cheikhs, -les fameuses "boîtes d'archives classées mais pas au même endroit" et "droites parallèles qui se rejoignent par la grâce de Dieu"- on se retrouve à faire encore du sur place mais avec beaucoup de recul et un pays en péril.

"Chassez le naturel, il revient au galop"

Du temps du Beylicat, le régime n'était pas sans reproche et la gouvernance laissait à désirer.

Il y avait des hauts et des bas et pour en juger il ne faut pas manquer de discernement entre les moments. Les mkhazniya, gaieds, khlifas et même des princes et des privilégiés de l'entourage des monarques ont commis des injustices et se sont permis des abus. Seulement, rien que depuis 1864 et la révolte de Ali Ben Ghedhahem, qu'est-ce qui a changé à Thala et en la "Tunisie oubliée"? En quoi la République a réussi là où le Beylicat a failli ?

En fait, en Tunisie il n'y a jamais eu de République. Juste un remplacement d'un Beylicat par une monarchie sous couvert d'un drap républicain. Ainsi, à l'exception de Marzouki, les présidents se sont comportés  dans les faits en monarques de la République et quand on veut les en empêcher, ils usent de leurs mainmise sur les forces armées et c'est ce qui a marqué et pointé l'histoire de cette soi-disant République. Comme quoi, "chassez le naturel, il revient au galop".
 

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