Deux rapporteurs onusiens expriment leur « profonde préoccupation » face aux restrictions ciblant les magistrats

Deux rapporteurs onusiens expriment leur « profonde préoccupation » face aux restrictions ciblant les magistrats

Le rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats Diego García-Sayán,, et le rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d'association Clément Nyaletossi Voule ont exprimé, ce mercredi 14 septembre 2022, leur profonde préoccupation face aux restrictions excessives du droit à la liberté de réunion pacifique et d’association de magistrats protestant pacifiquement contre les récents décrets présidentiels en Tunisie.

Le 13 juin, plusieurs chaînes de médias sociaux considérées comme étant proches du président ont publié un certain nombre d'accusations contre Anas Hmaidi, président de l'Association des magistrats tunisiens (AMT) et juge à la cour d'appel de Monastir, suite à son activité syndicale au sein de l'association.

"Nous avons reçu des informations selon lesquelles ces mêmes pages de médias sociaux harcèlent les magistrats depuis de nombreux mois", ont déclaré les experts.
Après avoir diffusé une série de propos diffamatoires, ces chaînes ont également annoncé l'ouverture d'une enquête auprès de l'Inspection générale du ministère de la Justice contre le juge Hmaidi qui pourrait conduire à son limogeage par le Président.

Le juge Hmaidi a été convoqué à quatre reprises entre juillet et août par l'Inspection générale du ministère de la Justice. Le 17 août, il a été informé, par une convocation du Conseil supérieur de la magistrature provisoire, de l'intention du procureur de l'inculper d'ingérence et d'entrave à l'administration de la justice. Selon le dossier, les accusations portent sur sa prétendue « incitation » à la grève d'autres magistrats du Tribunal de Monastir. Ces allégations sont liées à une grève générale que les juges tunisiens ont lancée le 6 juin au début de cette année.
Le Conseil doit tenir une audience disciplinaire sur l'affaire, pour décider de lever ou non l'immunité judiciaire dont jouit actuellement le juge Hmaidi.

De plus, après la grève de juin qui a duré près d'un mois, tous les jours pendant lesquels les juges ont participé à la grève ont été déduits de leur salaire de juillet.
« Nous craignons que ces actions ne constituent des représailles contre le juge Hmaidi pour avoir exercé ses droits à la liberté de réunion pacifique et d'association », ont déclaré les experts. « Conformément au droit international des droits humains, les membres de la magistrature jouissent comme tout citoyen des libertés d'expression, d'association et de réunion ».

Le 26 juin, la page d'information Hasdrubal a de nouveau publié une liste de 42 magistrats qui seraient bientôt révoqués. Les noms du président d'honneur de l'AMT, de l'actuel président de l'association, du président du syndicat des magistrats administratifs en font partie.

García-Sayán a déjà exprimé ses inquiétudes après que le président Kais Saied ait dissous le Conseil supérieur de la magistrature en février et révoqué sommairement 57 juges en juin.
« Je suis profondément préoccupé par l'impact négatif des récentes actions du président Saied sur l'indépendance judiciaire et le droit à un procès équitable et à l'accès à la justice pour tous en Tunisie », a déclaré García-Sayán.
« Selon les normes internationales, toutes les procédures disciplinaires, de suspension ou de révocation contre les juges doivent être décidées par un organe judiciaire indépendant », a déclaré García-Sayán. « En outre, les juges sont libres de constituer et d'adhérer à des associations de juges ou à d'autres organisations pour représenter leurs intérêts, promouvoir leur formation professionnelle et protéger leur indépendance judiciaire ».

Ces actes de harcèlement signalés contre des membres du pouvoir judiciaire se déroulent dans le contexte de l’état d'exception dans le pays proclamé par le président en juillet 2021.
« J'ai exprimé à plusieurs reprises mes inquiétudes concernant la prolongation de l'état d'exception par le président, après la suspension du Parlement et la destitution du Premier ministre. Un tel état d'exception, en particulier dans un contexte d'instabilité politique et de concentration des pouvoirs, pourrait faciliter les violations des droits humains, notamment sous la forme de détentions arbitraires et de harcèlement judiciaire », a déclaré Voule.

« Nous exhortons le gouvernement à mettre fin aux mesures d'urgence et exceptionnelles ainsi qu’à toutes les restrictions indues à l'exercice légitime des droits à la liberté de réunion pacifique et d'association. Nous restons disponibles pour un dialogue constructif sur ces questions critiques », ont déclaré les experts.

Les experts ont été en contact avec le gouvernement de la Tunisie concernant ces préoccupations.

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