Education Tunisie: Quand la réforme patauge, des actions sporadiques s'imposent !

Par Farouk Ben Ammar
La réforme du Système Éducatif tunisien, lancée suite au dialogue national entamé en Avril 2015, traine et avance à pas de tortue, et des commissions dont le travail semble être mis entre parenthèses, faute d’un engagement loin des surenchères politiques.
Malheureusement certain personnel politique continue de créer les conditions de validité de son discours, avec le soutien d’un pan de la société civile qui met les bouchées doubles sur le plan des réformes rien que pour rompre avec l’ancien régime.
Seulement, les récentes déclarations du chef du département de l’Éducation, concernant certaines mesures, ne sont que la reprise d’anciennes circulaires datant de plusieurs années.
Ces mesures sont certes bien-intentionnées, mais sont-elles à la hauteur des enjeux actuels, le moment est-il propice dans un climat non encore apaisé avec les syndicats du secteur ?
Des mesures qui pourraient occulter le fond de la réforme pour se concentrer sur la forme…on aura alors, de nouveau, raté la marche !
Je citerais les mesures phares :
1. Interdiction des cours particuliers à domicile.
2. Révision du système d’orientation au cycle secondaire.
3. Port obligatoire du tablier par les élèves de sexe masculin.
LA RÉVISION DU SYSTÈME D’ORIENTATION
Par la diversification des branches et des spécialités dans le cycle secondaire, on vise deux (2) objectifs :
1. Accroitre le taux de rendement interne, i.e., le passage de classe.
2. Augmenter le taux de rendement externe, i.e., le taux de réussite au Baccalauréat.
J’avais dressé, en 2007, un diagramme affichant le taux de réussite au baccalauréat depuis 1990.
Le résultat est plus que probant, à chaque inflexion de la courbe, cad, une augmentation visible du taux de réussite, correspond une réforme du Système d’Orientation, comme :
-La création de nouvelles branches.
-L’avancement de l’année d’orientation.
-Un système de bonification : les fameux 25%.
Ces réformes étaient quasiment imposées, puisque l’État tunisien ne pouvait contracter de crédits auprès des bailleurs de fonds classiques, pour continuer la réforme du Système Éducatif qu’après avoir prouvé que les rendements internes et externes ont augmenté.
Je citerais les PAQSET I et II (Projet d’Amélioration de la Qualité du Système Éducatif Tunisien), des crédits de plusieurs dizaines de Million TND, qui ont servi essentiellement à la construction de nouveaux établissements scolaires et à la révision des livres et manuels scolaires ainsi qu’à la formation d’une péliade de professionnels de l’éducation sans citer les dizaines de voyages d’études et l’achat à outrance de matériel essentiellement informatique, sans omettre les fameux CD-ROM qui n’ont servi à rien, puisque le projet présidentiel du fameux PC familial s’est soldé par un fiasco.
Cependant, ces lignes de crédit ont permis à des affairistes et certains proches du régime de s’enrichir à outrance et avec lesquels on veut se réconcilier !
Des crédits que le contribuable continue de rembourser encore.
INTERDICTION DES COURS PARTICULIERS
Une ancienne circulaire du département de l’Éducation émise dans les années 2000 (je ne rappelle pas de l’année exacte), stipule clairement l’interdiction formelle de dispenser des cours particuliers au domicile de l’enseignant.
On essaye aujourd’hui, dans un contexte économique très défavorable, et une paix sociale vacillante, d’appliquer les dispositions de cette ancienne circulaire…rarement appliquées.
Durant les années qui suivirent l’émission de cette circulaire, une seule enseignante a été punie, en la mutant à un lycée à 30 km de son domicile.
Cette sanction a nécessité le témoignage de plusieurs parents d’élèves et passer par un dédale de procédures.
La concernée s’est adressé au tribunal administratif et a eu gain de cause. Elle fut mutée à un autre lycée prés de son domicile dans la discrétion totale !
Selon un vieux dicton « Qui un punit cent menace ». Mais il y a loin de la coupe aux lèvres.
Les cours particuliers ont connu ces dernières années un grand essor : 500 Millions de TND sont dépensées annuellement par les familles sur les cours de soutien scolaire !
Pourtant j’avais proposé de réguler ce secteur par la création de PME de soutien scolaire qui obéiraient à un cahier des charges avec essentiellement les avantages suivants :
1. Création de 30 000 – 50 000 emplois pour les chômeurs diplômés.
2. Un jeu de concurrence en faveur des parents et de la qualité des prestations.
3. Des recettes supplémentaires pour les services fiscaux…
Pour justifier cette mesure, le chef du département de l’Éducation avait repris mon chiffre de 500 Millions TND en le majorant de 200 Millions TND, pour se rallier la société civile…
UN TABLIER POUR LES ÉLÈVES DE SEXE MASCULIN
Personnellement j’avais applaudi cette décision, plusieurs pays occidentaux l’appliquent, même dans les pays arabo-musulmans.
CETTE DÉCISION RÉTABLI L’ÉGALITÉ DES GENRES, MASCULIN ET FÉMININ, CAR, DANS LE SILLAGE DE LA RÉVOLUTION, LES FEMMES ONT CONQUIS ET RENFORCÉ L’ÉGALITÉ DES DROITS…DU MOINS SUR LE PAPIER !
Seulement, l’application d’une telle règlementation demeure difficile dans les établissements publics contrairement aux établissements privés.
Sauf si le ministère engage des Garde-chiourmes chargé de faire respecter la réglementation ad libitum, au risque de voir se répéter le triste et grave incident de la semaine dernière lors duquel un surveillant général a agressé physiquement une parente d’élève lui crevant un œil !
On a envie d’y croire mais il y a aussi les faits, têtus, dans une société encore misogyne, et un islam radical qui monte en puissance sous l’effet conjugué des démagogues et du chômage.
L’ÉGYPTE ENTAME SA RÉFORME
L’Égypte a récemment entamé un processus de réforme et de modernisation de son Système Éducatif en adoptant une démarche foncièrement scientifique.
Le président égyptien en exercice l’a annoncé devant l’assemblée nationale. Il a particulièrement évoqué l’élaboration de « Standards Qualité Égyptiens ».
Pour la petite histoire, j’ai été contacté, au mois d’aout 2015, par un membre de l’équipe chargée du projet de réforme du Système Éducatif égyptien, me demandant de lui fournir une copie des documents du projet tunisien que j’avais évoqué dans une série d’articles.
J’avais répondu, poliment par la négative…l’invitant à s’adresser officiellement au ministère de l’Éducation Tunisien.
ÉPILOGUE
ON NE DOIT PAS FAIRE DES LOIS QU’ON NE PEUT FAIRE RESPECTER !
Il en est de la crédibilité des gouvernements, de l’État et de ses instituions.
La réforme du Système Éducatif requiert une approche scientifique avec une dimension sociale et économique…je n’arrête pas de le ressasser !
Fort heureusement, une alliance civile pour l’éducation vient d’être créée, par des citoyens et des associations qui ont bien compris la dimension scientifique de la réforme…bon vent !
Les actions correctrices sont toujours les bienvenues, à la hauteur des moyens, mais leur portée est souvent très courte et leur impact sur la qualité de l’éducation est incertain.
UNE RÉFORME DOIT S’ARRIMER A LA MODERNITÉ ET AUX MUTATIONS S’OPÉRANT AU FIL DES ANNÉES… CE N’EST PAS UNE OPÉRATION CONJONCTURELLE MAIS UNE DÉMARCHE QUI S’INSCRIT DANS LA DURÉE.
ET DE FINIR…POURQUOI NE PAS ENTAMER UNE RÉFORME DANS UN CADRE MAGHRÉBIN. NOUS PARTAGEONS BIEN LES MÊMES AMBITIONS ET UNE DESTINÉE COMMUNE?
Farouk Ben Ammar, Vice-Président AMEDEC