Funérailles de Bourguiba : le jour où Ben Ali a rompu le lien avec le peuple tunisien

Funérailles de Bourguiba : le jour où Ben Ali a rompu le lien avec le peuple tunisien

 

Si la mort du Président Habib Bourguiba le jeudi 6 avril 2000 est une date à retenir dans l’histoire de la Tunisie et elle a d’ailleurs fini par se situer parmi les dates marquantes du pays, il y en a une autre que l’on voudrait oublier et qui elle a constitué le début de la fin de l’Ere Ben Ali. C’est celle du samedi 8 avril 2000, date des funérailles du « Combattant Suprême ». Ce jour restera une tâche noire dans le cheminement de la Tunisie moderne dans l’appropriation de ses symboles.

Si les Tunisiens peuvent pardonner à Ben Ali d’avoir mené « le coup d’Etat médical du 7 novembre 1987 », car il a « sauvé Bourguiba de Bourguiba » selon le mot qu’on prête à l’ancien ministre Mohamed Masmoudi, ils ne lui pardonneront jamais la manière dont il a traité le « Père de la Nation » lors de son enterrement.

« Loin de la ferveur populaire (attendue), les obsèques du père de l'indépendance tunisienne ont été le révélateur de la peur du régime. Des funérailles escamotées, manipulées, ont semé la frustration dans la population, et suscité la colère et l'amertume de la famille de l'ancien président. Les quarante-huit heures entre le décès, jeudi, du premier président de la Tunisie, et sa mise en terre, samedi, dans le mausolée familial que Bourguiba avait lui-même fait construire dans sa ville natale de Monastir, ont été marquées par ce malaise. Gérées par le régime actuel ¬ issu du «coup d'Etat médical» qui avait écarté Bourguiba du pouvoir en 1987 ¬ comme un événement à haut risque, ces deux journées risquent de rester gravées dans les mémoires tunisiennes comme un rendez-vous manqué. »

Les prémonitions de « l’envoyé spécial » du quotidien Français Libération Pierre Haski dépêché pour couvrir l’événement se révèleront exactes. Du portrait de Bourguiba diffusé ces jours là le montrant vieux et grabataire, à l’avion « 7 novembre » à bord duquel son corps a été ramené à Tunis « en soute » jusqu’au son transport de Tunis Carthage à la Maison du RCD à bord d’une ambulance, tout dans la gestion de ces deux jours a été fait sciemment pour dégrader l’image du Combattant Suprême comme si son successeur qui a veillé à tous les détails avait peur de Bourguiba autant vivant que mort.

Mais c’est l’ordre donné par Ben Ali à la télévision tunisienne pour ne pas diffuser les funérailles de Bourguiba qui avait été ressenti par la population tunisienne comme une offense à la mémoire nationale. Agglutinés autour de leurs postes de télévision, les Tunisiens mais aussi les étrangers ont été privés de ce qu’un observateur a appelé en ce temps-là le droit à l’émotion. Les « Ninjas » armés et cagoulés, autour du cercueil, le chemin parcouru, un raccourci, emprunté vers le cimetière que la tradition de Monastir réservait aux «morts honteux», les barrières érigées tout au long de la route pour éloigner la population du cortège funèbre autant de signes qui ont laissé un goût amer. Il faut dire que la ferveur était telle qu’elle fait craindre à Ben Ali des débordements que son régime aura du mal à contenir.

Ce sont surtout les jeunes de 20 ans et moins qui ne l’ont pas connu au pouvoir qui l’ont le plus pleuré et chaudement. D’ailleurs le journaliste français l’a bien remarqué en écrivant : « La vraie surprise de ces funérailles, c'est le nombre de jeunes qui ont choisi de descendre dans la rue pour cet adieu à un Bourguiba qu'ils ont à peine connu. Comme si, dans la Tunisie de Ben Ali, c'était le seul moyen d'exprimer ses sentiments. Comme si les larmes pour l'un ne pouvaient être que des critiques pour l'autre. C'est en tout cas ainsi que l'ont compris les Tunisiens, et, sans doute, Ben Ali lui-même »

Certes des Chefs d’Etat et des personnalités étrangères ont accompagné le Combattant suprême à sa dernière demeure mais on était loin de la masse des hommes d’Etat de tout pays qui auraient PU été présents si les funérailles avaient été dignement organisées.

Ce 8 avril 2000 sans doute inconsciemment Ben Ali a rompu le lien qu’il avait avec la population. Ce jour il a perdu sa légitimité qu’il tenait de Bourguiba. Pourquoi a-t-il agit ainsi alors qu’il aurait pu récupérer toutes les dividendes s’il avait géré autrement cet événement crucial et révélateur. A-t-il cherché à sortir de l’ombre tutélaire du grand Leader pour s’affirmer tout seul alors qu’il n’en avait pas les qualités. Ou bien tout simplement a-t-il eu peur du fantôme de Bourguiba qu’il craignait autant mort que vivant. On se perdra en conjectures pour expliquer un geste dont la bêtise le disputera à la stupidité.

Raouf Ben Rejeb

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