Janvier 2011-janvier 2017, six années de révolution : quel bilan ?
Par Krimi Abderrazek
Le 14 janvier 2011 restera dans la mémoire des Tunisiens une date mémorable, en effet, c’est la première fois dans l'histoire moderne de la Tunisie où un souverain est destitué du pouvoir sous le coup d’une pression populaire. On peut dire même, que ce qui s’est passé en Tunisie à cette date-là, est une certaine renaissance de la conception révolutionnaire des trois siècles précédents, que tout le monde croyait révolue.
Décidément, les Tunisiens ont fait renaître ce sentiment chez les peuples, et chez les élites aussi, dans la possibilité d’un changement sous la pression populaire et sur la capacité des peuples à décider de leur destin.
Néanmoins, destituer un chef d’Etat autoritaire est une chose, réussir une transition démocratique en est une autre. C’est pourquoi, six années après la destitution de Ben Ali, on peut estimer que l’heure est au bilan. Certes, il ne s’agit pas ici d’émettre des jugements de valeur concernant ce qui a été réalisé et ce qui n’a pas été, ou de délibérer sur le sort de cette transition démocratique et de son aboutissement, car une transition démocratique s’élabore toujours dans le temps et sa durée n’est jamais prévisible à l’avance.
En effet, la seule certitude qui qualifie une transition démocratique est justement son caractère incertain. Penser les transitions démocratiques, c’est surtout penser leurs incertitudes, car c’est effectivement pour cette raison là qu’on la qualifie du terme de « transition ». En Tunisie, depuis janvier 2011, on a eu droit à un lot d’incertitudes qui ont parfois suscité quelques doutes chez certains, surtout au niveau de la population qui n’a pas semblé être parfois, prête à supporter le fardeau de l’instabilité causé par le bouillonnement d’une transition. Mais on peut estimer avec espoir et certitude, qu’on a déjà passé le cap le plus difficile, mais qu’il reste aussi d’autres pas à franchir.
C’est pourquoi, tout bilan qu’on peut faire à cette étape-là, ne peut être que provisoire, car il reste encore beaucoup de choses à faire, mais ce qu’on a déjà fait n’est certainement pas négligeable. Une transition démocratique, contrairement à ce que le terme « démocratique » invoque à première vue, n’est pas uniquement un processus politique. Bien au contraire, c’est un processus complexe où viennent s’enchevêtrer plusieurs facteurs. Il y a certes le facteur politique, mais il y a aussi les facteurs économiques et sociaux qui ont une telle importance au point qu’il peuvent décider du sort de tout le processus.
Pour cette raison, nous interroger sur ce qui a été fait et sur ce qui reste à faire n’est pas une tâche facile. Mais on peut quand même mettre l’accent sur les axes cardinaux qui déterminent l’opération tout entiere.
Au niveau politique, la promulgation d’une constitution en 2014 peut être considérée comme l’acte fondateur de ce passage vers la démocratie, et c’est un acte réussi. Il reste que, durant ces six années, on a eu droit au défilement de sept gouvernements, ce qui est trop pour une période aussi courte. Cela nous donne l’impression qu’on peine encore à trouver la formule gouvernementale adéquate qui permet de répondre aux différentes attentes de toute une société assoiffée de renouveau et de progrès , qui attend les reformes nécessaires qui tardent parfois à venir.
Généralement, on ne change de gouvernement que s’il y a crise, que lorsqu’il y a persistance de quelques carences notoires. Et c’est semble-t-il le cas en Tunisie. Surtout qu’avec chaque nouveau gouvernement nait un espoir de changement liée au nouveau souffle injecté au niveau gouvernemental, mais la même désillusion revient toujours.
Si dans une transition, un gouvernement n’est pas capable de tenir au-delà d’une année, cela ne peut être interprété que comme le signe d’incapacité à gérer les différentes crises suscitées par la transition. Cette dernière se fait généralement par le biais de reformes qui pourraient parfois être douloureuses, mais qui apporteront leur fruit ultérieurement. Certes, chaque reforme s’accompagne toujours de son lot de résistances de la part des différentes parties impliquées dans la transition. Mais la force d’un gouvernement est justement de pouvoir contrôler et maîtriser cette résistance. Car la réussite de la transition dépend de la capacité d’installer un climat de confiance qui permet de stabiliser la situation politique et surtout gouvernementale.
Parler de volet politique dans la transition démocratique tunisienne ne doit pas aussi passer sans valoriser cette capacité chez l’élite politique tunisienne, d’aboutir, à chaque phase de crise à un compromis qui permet de solutionner les problèmes posés et de faire avancer le processus. On a vécu ça à différentes reprises durant cette phase transitoire de six années. On l’a vécu au début avec la haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. Mais le moment focal du compromis fut sans conteste le dialogue national qui a vu l’implication de la société civile avec les partis dans la mise en place de nouveaux jalons pour la gestion des crises liées à la transition et dont le dernier dialogue du mois de juin 2016 chapeauté par le président de la république autour de la constitution d’un gouvernement d’union nationale s’inscrit dans le même esprit et pourrait pour cette raison même être considéré comme étant sa continuité.
Il reste un autre facteur qui semble entraver la marche des réformes politiques et qui représente l’autre dimension de la transition démocratique, à savoir, le facteur économique et social. Les expériences précédentes des transitions démocratiques depuis les année 70 en Europe du sud et les années 80 en Amérique latine et finalement les année 90 en Europe de l’est, attestent toutes, de l’asymétrie dans le processus de transition démocratique entre l’amorcement des réformes politiques et des reformes socioéconomiques, de manière que le progrès réalisé au premier niveau n’est pas en concomitance avec le progrès réalisé dans les niveaux économiques et sociaux. Car si l’incertitude d’une transition fait avancer le débat politique autour des questions cruciales et permet ainsi d’aboutir aux compromis, elles représentent au niveau économique une incitation à la prudence et favorisent par conséquent la récession. La crise économique actuelle s’explique certes, par ce facteur, mais il y en a aussi d’autres non moins importants.
En janvier 2011, la conviction en la nécessité de mettre en place des reformes économiques profondes était partagée par tous les acteurs sociaux et politiques. Cependant, ce qui a fait défaut, c’était la mise en place d’une nouvelle vision du modèle de développement qui répond aux besoins nationaux et aux contraintes conjoncturelles. C’est pourquoi toutes les « reformes » entreprises, donnaient souvent l’impression qu’elles ne dépassent pas le seuil du bricolage qui peut apporter quelques solutions momentanées et ponctuelles, mais ne contribuent pas à l’élaboration d’une réforme globale. C’est pourquoi, le sentiment qu’à ce niveau-là, rien n’a changé, et qu’au contraire on a régressé puisqu’on peine encore à retrouver le niveau de développement de l’année 2010 devient redondant dans les discours des experts économiques, des politiciens et surtout chez les masses sociales.
Quelles conclusions tirerons-nous alors du bilan de six années de révolutions ? Est-ce un bilan négatif ou positif ? Mais surtout quelles perspectives sont ouvertes devant cette révolution tunisienne qui a réussi à passer le cap alors que d’autres pays arabes ont échoué ? L'avantage de la transition tunisienne est qu’elle a réussi à réaliser des acquis qu’il devient difficile de les remettre en cause ultérieurement. Parmi les plus importants cette liberté d’expression qui devient la soupape de sécurité qui pare contre toute tentative de faire marche arrière. C’est pourquoi, le bilan ne peut être que positif tant que l’espoir en un lendemain meilleur est toujours d’actualité.
Krimi Abderrazek
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