L’agression contre Hammam Chott racontée par un journaliste présent sur les lieux

L’agression contre Hammam Chott racontée par un journaliste présent sur les lieux

Notre confrère et néanmoins ami Rouf Ben Rejeb, à l’époque journaliste à l’agence TAP et correspondant de l’Associated Press à Tunis, a couvert l’agression sioniste contre la paisible petite ville de Hammam Chott. Et il explique « le ratage du siècle. »

Le 1er octobre 1985, il y a trente-huit ans jour pour jour vers 10h du matin, le bombardement du quartier général de l’OLP à Hammam Chott dans la banlieue sud de Tunis. Aussitôt, les israéliens revendiquent le raid mené par leur aviation. Le président américain Ronald Reagan donne raison à l’état hébreu invoquant le droit de poursuite. Le 25 septembre précédent, trois touristes israéliens étaient assassinés au port de Larnaca, à Chypre.

A l’époque, j’étais à la TAP. Je venais tout juste de rentrer de Paris où j’avais dirigé pendant trois ans le bureau de l’agence nationale de presse. Je venais aussi de reprendre mes fonctions de correspondant de l’Associated Press à Tunis. Aussitôt, le PDG de TAP, le regretté Béchir Toual m’ordonna de me rendre sur les lieux. Ce que je fis sans tarder. J’étais parmi les premiers journalistes arrivés sur place.

Yasser Arafat en tenue de combat

Je me rappelle avoir trouvé Yasser Arafat, en tenue de combat les traits graves entouré de ses gardes et de ses lieutenants inspectant les ruines de son QG ; Une réunion devait y être organisée à l’heure du bombardement. Elle a été annulée in extrémis, plusieurs membres de la direction de l’OLP n’ayant pu rallier Tunis. Ce qui a sauvé la vie aux plus hauts dirigeants palestiniens. Le raid avait pour but de décapiter la direction palestinienne.

Sur les lieux était arrivée aussi Mme Fethia Mzali, l’épouse du premier ministre de l’époque et ministre de la femme et de la famille. De ces ruines on devait extraire les corps de 68 martyrs dont 18 Tunisiens. Plus d'une centaine de blessés sont aussi à déplorer sans parler des dégâts matériels évalués à plusieurs millions de dinars.

Bien entendu j’ai fait mon travail. Mais comme il s’agit d’une nouvelle de la plus haute importance, le texte, comme cela se faisait à l’époque devait être soumis au Premier ministre. Ce dernier poussa la prudence jusqu’à demander le feu vert de la présidence. Entre temps les dépêches en provenance de Tel- Aviv revendiquant l’attaque inondaient les agences de presse. Le temps passait et les palabres en haut lieu sur la manière dont il faut rendre compte de l’événement s’éternisaient.

Ne pas déranger le président  Bourguiba

A l’époque on était en plein dans la période de fin de règne et personne ne voulait prendre la responsabilité d’annoncer la mauvaise nouvelle à Bourguiba. Tant et si bien que lorsqu’on a convenu du texte, le président était couché pour la sieste. Il a fallu attendre qu’il se réveille. De sorte qu’alors que le monde entier était focalisé sur la nouvelle du jour, les Tunisiens étaient tenus dans l’ignorance d’un événement crucial qui venait de se passer chez eux. La radio comme la télévision qui étaient tenues de reprendre l’agence officielle n’en ont pas dit un mot.

Ce n’est qu’à 17h, après le réveil de Bourguiba que la nouvelle est enfin publiée mais de la pire des façons. On disait que des avions dont l’identité était inconnueطائرات مجهولة الهوية ont bombardé le quartier général de l’OLP. C’était à n’en point douter pour les organes d’information tunisiens le ratage du siècle.

Pour ma part, j’ai fait mon boulot de correspondant étranger inondant l’agence américaine de dépêches sur l’événement aussitôt reprises sous ma signature. Quand la politique s’emmêle de presse c’est la catastrophe. Les professionnels ont beau faire leur boulot, rien n’y fait c’est le produit final que l’on remarque et bien entendu ce n’est pas ce qui était souhaitable.

Victoire à l'ONU

Peu après commencèrent les tractations à New York où siégeait l’AG de l’ONU. Le conseil de sécurité était appelé à se réunir d’urgence pour examiner la plainte tunisienne. M. Béji Caïd Essebsi à l’époque ministre des affaires étrangères était sur place où il avait pris les choses en main. Il devait réussir la prouesse d’empêcher les américains de mettre leur véto à une résolution tunisienne condamnant Israël pour la première et unique fois.

L'ambassadeur représentant permanent auprès de l'ONU était à l'époque un gros calibre de la diplomatie tunisienne, Néjib Bouziri. Une polémique éclata entre les deux hommes des années plus tard chacun voulant tirer la couverture à soi  sur le rôle majeur joué pour éviter le veto américain. La petite histoire dit néanmoins que c'est Habib Bourguiba Jr conseiller de son père qui téléphona à son ami, le chanteur Frank Sinatra pour qu'il intervienne auprès de l'ancien acteur Ronald Reagan pour  le dissuader d'opposer  son véto. Ce fut d'ailleurs la première et la dernière fois que Washington laisse passer une résolution condamnant Israël, le protégé éternel des Etats Unis.

Il faut rappeler aussi que le président Bourguiba convoqua l’ambassadeur américain pour lui dire que si Washington oppose son veto, il rompra les relations avec les Etats-Unis. Pour la petite histoire on raconte aussi que le chef de l’Etat a comparé sa situation à celle d’un homme amoureux d’une femme depuis de longues années qui s’était rendu compte que celle-ci le trompait depuis longtemps.

La résolution prévoyait que la Tunisie sera dédommagée pour les pertes humaines et matérielles causées mais la Tunisie n’a jamais demandé son dû.

Une stèle a été édifiée en souvenir de ce raid où se sont mêlés le sang des Tunisiens et celui des Palestiniens. On a célébré cette date tant que la direction palestinienne était à Tunis puis par intermittence depuis son départ. Avant que cet événement marquant ne tombe dans les oubliettes.

Raouf Ben Rejeb

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