Le monde arabe : la flamme des mots, les cendres des actes

Le sommet extraordinaire arabo-islamique tenu à Doha pour examiner l’agression israélienne contre le Qatar a illustré, une fois de plus, l’incapacité des pays arabes à agir de manière unie. Entre déclarations symboliques et absence de mesures concrètes, l’événement reflète des décennies d’échecs unionistes et de divisions persistantes dans le monde arabe.
L’opinion publique arabe n’attendait guère du sommet extraordinaire arabo-islamique de Doha, convoqué pour examiner l’agression israélienne contre le Qatar, un pays connu pour sa proximité avec Tel-Aviv et qui mène depuis des années la médiation entre le Hamas et l’État hébreu. La déclaration finale n’a fait que confirmer ces appréhensions : aucune mesure concrète n’a été prise, pas même la rupture des relations avec l’agresseur, alors que pas moins de huit pays participants entretiennent des liens officiels avec Israël et que d’autres disposent de canaux officieux.
Commentant ce constat, l’hebdomadaire britannique The Economist a relevé que la réaction des pays arabes aux frappes israéliennes sur Doha s’était limitée à des discours enflammés. Le Qatar, juge le journal, est « trop petit pour défier Israël » et cherche avant tout « à éviter le conflit plutôt qu’à l’attiser », ne disposant d’aucune relation diplomatique ou économique à rompre avec l’État hébreu.
Cette incapacité à agir renvoie à une célèbre maxime attribuée à l’historien Ibn Khaldoun : « Les Arabes se sont mis d’accord pour ne jamais s’accorder. » Une formule reprise à plusieurs reprises dans l’histoire contemporaine : par Jamal Abdenasser après l’agression tripartite de 1956, par le roi Fayçal après la débâcle de 1967, ou encore par Chadli Bendjedid après l’invasion du Liban en 1982. Le penseur Jameleddine al-Afghani en résuma l’essence en ces termes : « Le plus grand mal des Arabes est celui de leur division : ils s’unissent pour diverger et divergent pour s’unir ; ils se sont accordés à ne jamais s’accorder. »
Ces constats se sont cristallisés à travers de grandes défaites, de la perte de la Palestine à l’érosion de la confiance des Arabes en eux-mêmes, jusqu’à leur incapacité à s’unir autour d’une seule voix, même le temps d’un sommet de la Ligue des Etats arabes. Une institution qui, au fil des décennies, a fini par perdre à la fois le sens de « ligue » et celui d’« arabe ».
Des expériences unionistes avortées
L’histoire moderne du monde arabe est jalonnée de projets d’unité inachevés. La plus emblématique fut la République arabe unie, née en février 1958 de l’union entre l’Égypte et la Syrie sous la présidence de Gamal Abdel Nasser. Le Caire fut proclamé capitale de ce nouvel État, et en 1960, un parlement commun vit le jour. Mais l’expérience s’effondra dès 1961, après un coup d’État militaire à Damas. L’Égypte conserva néanmoins l’appellation de République arabe unie jusqu’en 1971.
La même année 1958, l’Union hachémite entre l’Irak et la Jordanie fut proclamée pour contrer l’influence nassérienne. Elle ne dura que quelques mois, balayée par la révolution irakienne du 14 juillet. Plus tard, le monde arabe connut une union jugée relativement réussie : celle entre les deux Yémen, Nord et Sud, concrétisée le 22 mai 1990 après plusieurs tentatives avortées.
Inspiré par Nasser, le colonel Mouammar Kadhafi multiplia les initiatives unionistes après son arrivée au pouvoir en 1969. En 1971, il scella avec l’Égypte et la Syrie l’Union des Républiques arabes, vite tombée dans l’oubli. En janvier 1974, il signa avec Habib Bourguiba l’accord de Djerba, proclamant la « République arabe islamique », mais le projet avorta aussitôt. Dix ans plus tard, il conclut avec Hassan II le traité d’Oujda instituant l’«Union arabo-africaine », vite dissoute elle aussi.
À chaque échec, Kadhafi se retournait contre ses anciens alliés. Ses différends avec Anouar el-Sadate dégénérèrent en affrontements militaires en juillet 1977, lors de la « guerre des trois jours », soldée par une victoire égyptienne. Ses relations avec Tunis et Rabat se détériorèrent également, allant jusqu’à des tentatives d’attentat contre le roi Hassan II.
Entre mythe et réalité
Du Caire à Damas, de Bagdad à Amman, de Tripoli à Tunis et à Rabat, de Sanaa à Aden, les projets d’unité arabe ont oscillé entre le rêve et la désillusion. Ils ont montré que la réalité des divisions régionales, politiques et idéologiques l’a toujours emporté sur la volonté des dirigeants, quelles que soient leurs convictions ou leurs ambitions.
B.O
               
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