L’Economie, la grande absente du dialogue national initié par l’UGTT

L’Economie, la grande absente du dialogue national initié par l’UGTT

Par Houssem Taabouri

Oikonomia est un terme grec qui signifie l’administration de la maison (oikos : maison, nomos : administrer ou gérer). Cette notion (économie) a pris avec le temps et l’avancée de la pensée humaine, une signification plus large et est devenue un concept qui «rassemble les activités humaines tournées vers la production, l'échange, la distribution et la consommation de biens et de services » (Wikipédia). Scientifiquement parlant, l’économie est la discipline  académique qui étudie les comportements liés à ces activités.

J’ai voulu, par ce rappel conceptuel, renvoyer la notion d’«Economie» vers son véritable domaine qui semble avoir divergé, ces derniers temps, vers une signification peu orthodoxe.

En effet, il est devenu, presque anodin, dans les discussions ainsi que dans les diffusions médiatiques de vouloir viser par «Economie»  les finances publiques. Si les profanes parmi les citoyens ou les journalistes sont excusés pour cet amalgame conceptuel, ceux qui se prévalent de la «qualité d’expert économique» sont pointés du doigt pour avoir convoqué cette confusion dans les esprits. Mais, cela est un autre sujet de discussion.

Paradoxalement, cette manière de voir les choses a été reprise par les termes de l’initiative de l’UGTT qui se propose de lancer un débat national dont la finalité serait  de trouver des solutions consensuelles aux multiples difficultés et problèmes que rencontre le pays et dont tout un pan semble être dédié à la question économique.

L’UGTT se porte forte de mettre, sur la table des discussions, des sujets aussi variés qu’épineux à l’instar du système politique, le système électoral, l’indépendance de la magistrature, la gouvernance locale, etc.

En matière «économique», l’UGTT propose de (je cite) :

- évaluer la situation économique et en définir les risques et les opportunités
- auditer les finances publiques et arrêter une appréciation de leur situation réelle
- auditer les entreprises publiques, les restructurer et les soutenir
- diversifier les sources de mobilisation de ressources financières en utilisant des instruments de portée sociale et écologique, en premier lieu :
* les réformes fiscales urgentes et la simplification de leur implémentation
* l’économie sociale solidaire en publiant dans les plus brefs délais leurs textes d’application.

Manifestement, l’UGTT se trompe sur toute la ligne à propos de ce qu’elle appelle «les axes du dialogue national économique». Pourtant, elle précise, dans l’exposé des motifs de son initiative, que le cœur du problème économique en Tunisie est l’obsolescence d’un modèle de développement ayant servi une époque révolue et qui nécessite d’être réinventé pour les décennies et les générations à venir. 

Si le premier axe de discussion devrait aboutir à une évaluation de type SWOT de l’économie tunisienne, cela ne veut aucunement dire qu’un diagnostic économique, au sens orthodoxe du terme, serait établi, discuté et admis d’une manière consensuelle. Cela ne veut pas dire, également, que des solutions ECONOMIQUES seraient concoctées pour pallier aux problèmes ECONOMIQUES. D’ailleurs, le terme «évaluer» la situation économique, cité dans le texte de l’initiative, semble s’orienter plutôt vers les indicateurs économiques dans leur portée monétaire que vers la schématisation des problématiques économiques telle que préconisé d’un point de vue scientifique.   

Les autres axes de discussion sont plus explicites. Ils sont dirigés exclusivement vers la volonté de trouver une solution à la crise des finances publiques, de l’endettement et du déficit public. De plus, la confusion se renforce dans le dernier point de discussion proposé par l’UGTT où la mobilisation des ressources financières pour les besoins de l’Etat est associée à celles qui serviraient à financer une partie de l’économie du pays (en termes de production) appelée économie sociale solidaire.

Curieusement, les autres fardeaux qui pèsent lourd sur les finances publiques sont occultés par l’initiative de l’UGTT. Sont visés, ici, la masse salariale de la fonction publique (environ 38% du budget de l’Etat et 18% du PIB) ainsi que les subventions publiques (environ 6,5% du budget de l’Etat et 3% du PIB).  Mais, il semblerait que l’UGTT ne veut pas aborder ces questions cruciales et délicates qui constituent son cheval de bataille dans le domaine de la revendication sociale vis-à-vis des autorités et du large public. Mais ceci n’est pas l’objet de ce propos.

En définitive, on peut affirmer sans risque de se tromper que la question économique serait carrément disqualifiée du futur dialogue national et que les efforts seraient concentrés sur les problématiques de l’activité financières de l’Etat qui n’intéressent  l’économie réelle que très  peu et pour lesquelles il n’y aurait pas de solutions si la question purement économique n’est pas élucidée.

A mon humble avis, le dialogue national économique doit se focaliser sur trois chapitres :

(i) le premier doit réunir les parties prenantes autour d’un consensus sur le diagnostic de la situation économique du pays car même dans ce domaine les avis s’écartent de manière significative. La compréhension des problèmes, de leurs causes et de leurs interactions permettra une prise en charge appropriée et adéquate.

(ii) le second consiste à définir le cadre politique des réformes économiques et sociales à savoir:

- doter le pays d’une vision économique à l’horizon 2050  
- appréhender la dimension quantitative des réformes (croissance, investissements, exportations, etc.), la dimension sociale (pauvreté, chômage,  revenu moyen et revenu médian, économie sociale-solidaire, équité sociale et instruments de redistribution, filet de sécurité, etc.), et la dimension institutionnelle (rôle de l’Etat,  économie de marché, capacités institutionnelles). 
- dresser les priorités des réformes
- définir les politiques de réformes (investissement, industrie, système financier, gestion des ressources humaines, emploi, sécurité sociale, subventions publiques, retraite, etc.)

(iii) le troisième chapitre doit se consacrer aux actions de «sauvetage» de court terme que se soient des actions conjoncturelles de politique budgétaire ou de politique monétaire. 
 

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