Les sondages en Tunisie: une crédibilité encore à gagner

Les sondages en Tunisie: une crédibilité encore à gagner

Autrefois cantonnés au marketing et aux audiences télé, les instituts de sondage tunisiens découvrent, grâce à la révolution, un nouveau terrain:

la politique. Mais à deux mois de l'élection du 23 octobre, leur crédibilité est sujette à caution, faute de cadre légal.

"Nous devons suspendre la publication des sondages politiques jusqu'au vote de l'assemblée constituante, assène Ridha Kéfi, membre de l'Instance nationale de réforme de l'information et de la communication (INRIC). "Tant qu'il n'y a pas de loi, tant que le métier n'est pas organisé, il faudra surseoir à leur recours", argue-t-il.

Une vision partagée par Hichem Guerfali, directeur du cabinet 3C Etudes, l'un des six instituts à s'être lancé sur le marché politique, qui avait appelé début juillet à cesser leur publication: "Nous n'avons aucune expérience en matière de sondages politiques. Sans historique d'élections libres, sans référence, nous n'avons aucun moyen de redresser les résultats".

Une critique qui rejoint celles formulées à l'encontre des instituts de sondage sur une méthodologie jugée opaque: notification aléatoire du commanditaire, échantillonnages peu représentatifs, questionnaires orientés...

"Plusieurs experts estiment que les échantillonnages de certains sondages ne sont pas crédibles", constate Rida Kéfi.
Les critères comme l'appartenance sociale ou géographique ne sont pas pris en compte car ils ne sont pas recensés dans les statistiques officielles, explique-t-il. De plus, la marge d'erreur est souvent minimisée par les instituts.

Ali Ben Yahia, directeur du bureau d'études ID Claire, récuse ces arguments, en insistant sur l'expérience acquise: "L'analyse est différente entre les sondages d'opinion et les études marketing mais les techniques, les moyens et les équipes terrain sont les mêmes", argumente-t-il.

Il rejette également les accusations de clientélisme avec certains partis politiques friands de sondages. "Procès d'intention", estime-t-il, tout en reconnaissant qu'il peut y avoir "un ou deux instituts ayant des connivences avec certains partis".
Mais son concurrent, Hichem Guerfali, concède certaines pratiques douteuses. "Les instituts sont tentés de modifier les résultats moyennant promesses aux partis", affirme-t-il.

"Tant qu’il n'y aura pas d'encadrement, il n’y aura aucun moyen de vérifier et on continuera à s'interroger sur l'argent qu’il y a autour de ces études", estime le journaliste Imed Bahri.

Ces sondages apportent aux instituts un nouveau marché. Entre 10 à 15 % du chiffre d'affaires de cette année pour l'institut Sigma Conseil. "Nous sommes dans une période d'effervescence politique", reconnaît Hassen Zargouni, patron de l'institut Sigma Conseil.
Les medias raffolent aussi des sondages. En abusent, jugent certains.

"On assiste à une surenchère dans la presse depuis la révolution", s'insurge Ridha Kéfi. "Les journalistes ne savent pas utiliser les sondages", déplore le représentant de l'instance de réforme des médias, qui a commencé à dispenser des formations à l'analyse des sondages. Problème: jusqu'à présent, les journalistes ont été très peu nombreux à y assister...

Les instances de réformes mises en place après la chute de Ben Ali devront se prononcer prochainement sur l'encadrement légal des sondages politiques. "Il faudra que les instituts aient un minimum de salariés, d'enquêtes à leur actif et aient la capacité technique et financière requise", estime Hassen Zargouni.

Mais pour ce dirigeant comme pour la plupart des acteurs du marché, pas question d'entendre parler de suspension :"Soit on accepte d'être assez mûrs pour la démocratie et ses corollaires, soit on arrête tout."

d'après AFP