Tunisie : L’inquiétude monte sur l'absence du président Kais Saied
L’inquiétude monte sur l'absence du président de la République Kais Saied qui a disparu des radars depuis plus d’une dizaine de jours. Lui, qui nous a habitués à des apparitions régulières et dont les activités sont relayées sur la page Facebook de la présidence et reprises par les différents médias, n’a donné aucun signe de vie depuis le 22 mars dernier, ce qui a alimenté les rumeurs les plus folles autour de cette si longue absence. Même le ministre de la santé Ali Mrabet, médecin de son état, mais de surcroit militaire connu pour sa discrétion, s’est dérobé aux questions des journalistes refusant de donner le moindre petit détail sur l’état de santé du président.
Pourtant, les Tunisiens ont le droit d’être informés sur les raisons de l’absence de leur président et d’être rassurés sur son état de santé. Lui qui détient toutes les clés du pouvoir et « garantit l’indépendance de l’Etat et sa continuité. »
Surtout si l’on sait que, contrairement à tous ses prédécesseurs, voire tous les chefs d’état du monde entier, Kais Saied n’a pas de médecin particulier. Habib Bourguiba avait comme médecin particulier le professeur Amor Chadli. Son successeur Ben Ali avait confié sa santé au Dr Mohamed Gueddiche. Alors que Béji Caid Essebsi avait choisi son gendre Dr Moez Belkhodja.
A moins que ce ne soit le ministre conseiller Mustapha Ferjani, professeur universitaire en médecine et chef de service de la réanimation à l’hôpital militaire, nommé à ce poste le 26 Août 2022. Mais est-t-il habileté à diffuser un bulletin sur la santé du président ?
Pourtant, il y a eu un précédent en 2022, quand Kais Saied, atteint d'une forte angine, le médecin traitant lui avait prescrit un repos total de quatre jours. Ce qui l’avait empêché de participer au sommet de l'Union Africaine qui s’est tenu les 9 et 10 Février à Addis Abeba.
Devant cette omerta, les déclarations fuitées, mais non officiellement démenties, il y a une année, de l’ancienne directrice du cabinet présidentiel Nadia Akacha sur la santé du président Kais Saied qui avaient alimenté les rumeurs sur son état physique, reviennent à l’esprit. Celle qui, pendant deux ans, le suivait comme son ombre en sait peut-être trop sur sa situation, ses habitudes, sa santé et son comportement.
Un sujet sensible
Généralement, transparence et santé des présidents ne vont pas toujours de pair. Le sujet est sensible, et la frontière entre vie publique et vie privée, entre droit à l'information et respect du secret médical est faite de zones grises et de brouillages. Au point de se demander si leur santé relève du secret d'État.
Certains chefs d’état, quel que soit leur âge répugnent à dévoiler leur état de santé, se retranchant derrière le secret médical.
Toutefois, il est toujours normal que les citoyens doivent être informés dans des proportions raisonnables, de la santé de leur président qui doit être en capacité de remplir sa charge. Et il est notoirement connu que tout chef d’état a un médecin particulier, souvent à la tête de l'équipe médicale chargée du suivi de sa santé. Sa protection médicale est, généralement, confiée, pratiquement dans tous les pays, au service de la santé militaire.
Le sujet est si sensible en Tunisie, parce que la santé du président est indissociable de son histoire contemporaine. Bourguiba a été destitué le 7 Novembre 1987 par son premier ministre Zine El Abidine Ben Ali sur la foi d’un rapport de sept médecins qui avaient établi que sa santé déclinait dangereusement et que, par conséquent, il était dans l’incapacité de gérer les affaires de l’état. A son tour, Ben Ali avait souffert d’une maladie sur laquelle on n’avait pas communiqué quand il était au pouvoir, mais qui s’est avérée un cancer qui l’avait emporté dans son exil en Arabie Saoudite.
Béji Caid Essbsi, pourtant médicalement bien suivi, a succombé à sa maladie en Juillet 2019. Ce qui a nécessité la convocation d’une élection présidentielle anticipée au bout de trois mois au cours desquels le président du parlement Mohamed Ennaceur a assuré l’intérim en vertu de l’article 84 de la Constitution de 2014, abolie par Kais Saied.
Cénacle opaque
Succédant à Feu BCE, Saied a opté pour une autre forme de succession, en cas de vacance de pouvoir. C’est le président de la Cour constitutionnelle qui est chargée de l'intérim présidentiel, en vertu de l’article 109 de la Constitution du 25 Juillet 2022. Mais « en cas d’empêchement provisoire d’exercer ses fonctions, le Président de la République peut déléguer ses pouvoirs au Chef du Gouvernement » pour une période non déterminée, selon l’article 107. Or, contrairement à la Constitution de 2014 qui précise que c’est la Cour constitutionnelle qui « en cas de vacance provisoire de la fonction de Président de la République pour des motifs qui rendent impossible la délégation de ses pouvoirs, se réunit sans délai et constate la vacance provisoire, le Chef du Gouvernement remplace le Président de la République », celle du 25 Juillet 2022 ne donne aucune précision. Elle est également restée muette sur la période de la vacance provisoire qui, auparavant, était de trente jours renouvelables une seule fois.
Ces questions et d’autres taraudent, ces derniers jours, l’esprit des Tunisiens qui s'inquiètent et se posent des questions. Face aux rumeurs récurrentes, la présidence s’est muée en cénacle opaque. Depuis le départ de Nadia Akacha et Rachida Ennaifer, Saied est resté sans directeur de cabinet, et sans porte-parole. Même pas un conseiller en communication.
La cheffe du gouvernement doit sortir de ses pantoufles pour apaiser l’inquiétude des Tunisiens et rassurer sur l’état de santé du président.
B.O
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