« Une stratégie pour sauver Gabès : la proposition de l’expert Hichem Jouaber »

« Une stratégie pour sauver Gabès : la proposition de l’expert Hichem Jouaber »

Nous venons de recevoir, de la part du consultant en stratégie industrielle tunisien basé en France Hichem Jouaber, une lettre adressée au Président de la République Kais Saied.
Cette correspondance propose une stratégie globale pour résoudre la crise de la pollution  chimique persistante dans la région de Gabès.

Compte tenu de son importance et de la pertinence des solutions concrètes qu’elle avance, nous avons décidé de la publier dans son intégralité :

À Son Excellence Monsieur le Président de la République Tunisienne

Objet : Appel urgent concernant la situation environnementale et sanitaire à Gabès

Monsieur le Président de la République,

Permettez-moi d’attirer votre haute attention sur la situation extrêmement préoccupante que vit aujourd’hui la région de Gabès, où un nouvel incident vient de survenir : une trentaine d’enfants ont été asphyxiés dans une école primaire située à proximité immédiate de la zone chimique et ont dû être hospitalisés.

Ces événements, devenus malheureusement récurrents, témoignent de la gravité du problème et de la fréquence des émanations toxiques issues d’unités industrielles vétustes et insuffisamment entretenues.

Monsieur le Président,

Ces incidents graves sont le fruit d’années de négligence, d’un manque de maintenance et d’une gestion technique défaillante des infrastructures du Groupe Chimique Tunisien (GCT).

Comme le prévoient les règles élémentaires de gestion industrielle, il est d’usage de consacrer chaque année environ 5 % de la valeur à neuf des installations à leur maintenance, un taux pouvant atteindre 10% au fur et à mesure de leur vieillissement.

Or, cette règle de bon sens n’a jamais été appliquée au sein du GCT.

Bien que ce groupe réalise d’importants bénéfices en devises, ses revenus ne lui sont pas reversés. Les dotations qui lui sont accordées pour le fonctionnement courant restent insuffisantes, ce qui conduit à des déficits importants — estimés à environ 600 millions de dinars par an- et à une incapacité chronique à entretenir correctement les équipements.

À cela s’ajoutent les contraintes imposées par la réglementation des marchés publics, entraînant des délais excessifs d’approvisionnement et une qualité parfois médiocre des pièces de rechange.

Les photos publiées récemment sur la page officielle de la Présidence confirment l’état de délabrement avancé des installations.

Monsieur le Président,

Vous êtes le seul à pouvoir prendre les décisions courageuses et structurantes qu’exige cette crise. Je me permets de vous soumettre une proposition d’action fondée sur une approche rationnelle et progressive.

1. Contenir le problème (urgence immédiate)

Il est impératif d’ordonner l’arrêt temporaire et provisoire des unités concernées afin de protéger la population, l’environnement et les installations elles-mêmes. Cette mesure de précaution permettra de qualifier précisément les causes des incidents avant toute reprise.

Comme en cas de fuite de gaz dans une habitation, la première réaction consiste à couper la source du danger avant toute autre action.

2. Identifier les causes

Une fois la situation maîtrisée, des experts indépendants pourront déterminer les origines réelles des dysfonctionnements (techniques, humaines, matérielles) et proposer les solutions adéquates.

3. Définir les solutions durables

Les actions correctives peuvent aller d’une mise en conformité des installations encore viables jusqu’à leur remplacement complet, en recourant à des technologies modernes, plus sûres et plus respectueuses de l’environnement.

Ces unités devraient idéalement être implantées à proximité des gisements de phosphate, loin des zones d’habitation, pour des raisons à la fois environnementales et logistiques.

Monsieur le Président,

Je me permets de vous proposer la constitution d’une task force technique indépendante, composée d’experts tunisiens en chimie, environnement et ingénierie de maintenance. Je suis prêt, personnellement, à suspendre mes engagements à l’étranger pour me consacrer bénévolement à cette mission nationale, à trois conditions :

 1. Que cette équipe relève directement de votre autorité et non des ministères ou directions concernées ;

 2. Qu’elle ait accès à des données fiables du GCT ;

 3. Qu’elle dispose de la liberté d’analyse et de proposition nécessaire pour vous soumettre, dans un délai de trois à quatre semaines, des scénarios de solutions réalistes et hiérarchisés.

Enfin, permettez-moi de formuler quelques observations techniques sur certaines mesures récemment annoncées :

 • Concernant le joint défectueux dans une des unités : l’absence de stock de pièces critiques révèle une lacune grave dans la politique de maintenance. La définition et la mise à jour d’une Liste des Pièces de Rechange (LPR) sont essentielles pour prévenir de tels incidents.

 • Concernant le phosphogypse : le stockage temporaire de 15 000 tonnes par jour, soit l’équivalent de 750 camions quotidiens, est irréaliste. La seule voie durable consiste à recycler le phosphogypse, notamment pour la construction routière, et à traiter le phosphate brut au plus près des sites miniers.

Monsieur le Président,

La situation à Gabès peut et doit être résolue. Les compétences tunisiennes existent, la volonté aussi, à condition d’un appui clair et direct de votre part.

Je reste entièrement à votre disposition pour tout complément d’information ou échange technique susceptible de vous aider à prendre la meilleure décision pour le bien de notre pays et la protection de nos concitoyens.

Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très haute considération et de mon profond respect.

Hichem Jouaber (Consultant en Stratégie Industrielle - France)

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