Violence numérique : le nouveau front des violences faites aux femmes

Violence numérique : le nouveau front des violences faites aux femmes

À l’heure où le numérique envahit le quotidien, les Tunisiennes subissent une nouvelle forme de violence : invisible, continue, destructrice. Cyberharcèlement, menaces, diffusion de photos… l’ère digitale n’a pas effacé le danger, elle l’a déplacé.

Le monde célèbre ce mardi 25 novembre la Journée internationale pour l’élimination de la violence contre les femmes, placée cette année sous le thème : « La violence numérique est une violence réelle. #PasDExcuse pour la violence en ligne ». Une journée qui puise ses origines dans l’assassinat, le 25 novembre 1960, des sœurs dominicaines Mirabal, militantes contre la dictature de Rafael Trujillo. L’ONU a officiellement institué cette date en 1999.

Un bilan mondial alarmant

Selon un rapport publié par l’ONU, 85 000 femmes et filles ont été tuées intentionnellement en 2023, pour la plupart par un conjoint ou un membre de leur famille. « La maison reste l’endroit le plus dangereux pour les femmes », rappellent l’ONUDC et ONU Femmes, qui soulignent que 60 % des féminicides sont commis dans un cadre familial.
Cela représente 140 victimes par jour, soit une femme tuée toutes les dix minutes.

Les régions les plus touchées demeurent les Caraïbes, l’Amérique centrale et l’Afrique, suivies par certaines zones d’Asie. En Europe et sur le continent américain, les partenaires intimes sont les principaux auteurs, tandis que dans d’autres régions, les membres de la famille sont le plus souvent en cause.

En Tunisie : des lois avancées, des chiffres préoccupants

Malgré l’existence de la loi 58 de 2017 — considérée comme l’un des textes les plus progressistes du monde arabe — la violence contre les femmes demeure une réalité inquiétante.

26 féminicides recensés en 2024, selon Aswat Nissa.

22 cas enregistrés à la mi-2025, d’après les premiers bilans d’associations.

Entre 2018 et 2023, le nombre annuel de féminicides a été multiplié par cinq, passant de 6 à plus de 23 cas selon des rapports nationaux.

Au total, 109 féminicides ont été comptabilisés sur la période 2018–mi-2023.

Les profils diffèrent, mais les tendances se répètent : des meurtres souvent commis par un conjoint, un ex-partenaire ou un proche, et des actes d’une violence extrême. En 2024, près de 64 % des féminicides ont été enregistrés dans le Grand Tunis.

À cela s’ajoutent des violences non mortelles largement répandues. L’enquête nationale de l’INS publiée en 2022 révélait que près de 85 % des Tunisiennes déclaraient avoir subi au moins une forme de violence au cours de leur vie — qu’elle soit psychologique, physique, économique ou sexuelle.

Le nouvel enjeu : la violence numérique

Le thème de l’édition 2025 met en lumière un phénomène en pleine expansion. Harcèlement en ligne, menaces, chantage numérique, diffusion non consentie d’images : la violence virtuelle est devenue un prolongement des violences offline.

Selon un rapport d’Aswat Nissa, 37 % des adolescentes tunisiennes âgées de 15 à 17 ans affirment avoir subi au moins une forme de cyberviolence. Un chiffre qui illustre l’urgence de renforcer la prévention et l’éducation au numérique.

Que faire ?

Les associations féministes et les acteurs de terrain appellent à :

une collecte publique et régulière des données sur les féminicides ;

une application effective de la loi 58, notamment par la formation des unités spécialisées et l’augmentation des centres d’hébergement ;

des campagnes nationales contre la violence numérique et les stéréotypes sexistes ;

un meilleur accompagnement psychologique, juridique et social des victimes.

Un 25 novembre qui interpelle

À l’échelle mondiale comme en Tunisie, les chiffres rappellent la gravité d’un phénomène qui traverse les sociétés, les milieux et les générations. Si cette Journée internationale a pour vocation de rendre hommage aux victimes et de sensibiliser l’opinion, elle doit aussi servir de point d’appui pour exiger des réponses concrètes.

Car derrière chaque statistique, il y a une femme, une famille, une société en quête de sécurité et de dignité.

La Tunisie ne pourra prétendre à un avenir serein tant que ses femmes continueront d’être menacées dans leur vie et dans leur dignité. La lutte contre la violence n’est pas un supplément : c’est une condition de civilisation.

Brahim Oueslati

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