Face à la corrélation étroite entre urgences sanitaires et changement climatique, une riposte concertée s’impose !
Par le Pr Roma Chilengi et le Dr Githinji Gitahi (*)
Dans un monde où l’ampleur de la menace du changement climatique apparaît de plus en plus évidente, l’Afrique se trouve au bord du précipice d’une double crise ; une crise qui tient non seulement à la hausse des températures ou aux phénomènes météorologiques extrêmes, mais aussi à l’interdépendance complexe entre notre environnement et notre santé.
L’ampleur de ces menaces ne doit pas nous décourager, mais doit plutôt nous appeler à agir – à reconnaître la corrélation entre climat et santé, à chercher à mieux appréhender les conséquences du changement climatique et à nous engager à nous attaquer sans détour à ces menaces.
Sur l’ensemble du continent, les modèles climatiques ne suivent plus les rythmes prévisibles du passé, et ces changements ont de grandes répercussions sur notre santé. Les sécheresses prolongées, les inondations dévastatrices, la désertification et la dégradation de l’environnement perturbent les écosystèmes, menacent de nombreuses vies et de nombreux moyens de subsistance et rendent les communautés vulnérables à la propagation de maladies.
À mesure que les écosystèmes se fragmentent et que les habitats changent de configuration, les animaux et les hommes vivent de plus en plus souvent à proximité les uns des autres, ce qui accroît le risque de zoonoses, des maladies qui se transmettent de l’animal à l’homme, et vice versa, et ouvre grand la voie à des épidémies potentiellement dévastatrices.
L’évolution des températures et la modification des régimes de précipitations affectent également la répartition des vecteurs de maladies, tels que les moustiques, en étendant leurs habitats à des régions qui n’étaient auparavant pas touchées. Cela est susceptible d’entraîner une augmentation de la prévalence de maladies telles que le paludisme et la dengue. Par ailleurs, les sécheresses et l’évolution des régimes de précipitations peuvent entraîner une pénurie d’eau et une mauvaise qualité de l’eau, augmentant ainsi le risque de maladies d’origine hydrique telles que le choléra et la fièvre typhoïde.
Ainsi, depuis janvier 2022, plus de 238 000 cas de choléra et 4 327 décès dus à cette maladie ont été signalés dans 15 pays d’Afrique. Il s’agit de l'une des pires épidémies de choléra que la région ait connues depuis des années. Les inondations, les sécheresses, les cyclones et d’autres phénomènes météorologiques extrêmes ont exacerbé l’épidémie, et des mesures doivent être prises de toute urgence en vue de renforcer la préparation et la riposte des pays pour y faire face.
Quelle est donc la solution ? Comment agir face à cette interdépendance complexe entre le changement climatique et les urgences sanitaires ? Il convient tout d’abord de revoir notre façon de penser. Cela passe par l’adoption d’une approche plus holistique et par une plus grande collaboration intersectorielle. Il est urgent d’élaborer des politiques et des stratégies qui tiennent compte des effets à la fois sur l’environnement et sur la santé. Nous devons comprendre que l’atténuation du réchauffement climatique, l’adaptation à celui-ci et la résilience sanitaire ne sont pas des entreprises distinctes ; ce sont des démarches interconnectées qui s’étayent les unes les autres.
Le Plan d’action conjoint pour la préparation et la riposte aux situations d’urgence, une initiative menée par les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique) et l’OMS, offre un exemple concret de la manière dont les efforts de collaboration peuvent nous aider à nous adapter aux crises climatiques. Cette initiative constitue un partenariat stratégique destiné à renforcer les efforts de préparation et de riposte aux situations d’urgence dans toute l’Afrique afin de garantir une gestion efficace des épidémies lors des crises humanitaires et climatiques.
Ce plan se concentre sur plusieurs domaines prioritaires, notamment le renforcement des systèmes de surveillance et du séquençage génomique en vue de détecter plus rapidement les épidémies, la constitution de stocks de fournitures d’urgence dans les centres régionaux nouvellement établis afin d’améliorer les opérations de riposte aux situations d’urgence, et le renforcement des capacités afin de permettre le déploiement des premiers intervenants dans les 24 à 48 heures suivant l’apparition d’une épidémie.
Mais les efforts ne doivent pas s’arrêter là. Nous devons œuvrer en permanence pour consolider nos systèmes et infrastructures de santé, renforcer les établissements de soins, former nos personnels de santé, garantir l’accès aux médicaments et vaccins essentiels et investir dans la recherche, la sécurité biologique, la surveillance des maladies et les systèmes de riposte d’urgence. Tous ces investissements sont essentiels pour aider les pays à atténuer l’impact des urgences sanitaires provoquées par le réchauffement climatique.
Les nations, les dirigeants et les partenaires d’Afrique doivent également s’appuyer sur les institutions et les plateformes mondiales et régionales pour se réunir autour de stratégies communes et élaborer des plans d’action visant à accélérer les progrès. Au début de l’année, la Conférence internationale sur l’agenda de la santé en Afrique (AHAIC 2023) a offert une nouvelle perspective en faisant du changement climatique un thème central de la conférence, dans le but de faire tomber les barrières et de favoriser une plus grande collaboration entre les acteurs du climat et de la santé. Le communiqué de l’AHAIC 2023 appelle à une action unie pour le climat en Afrique, afin de prévenir et d’atténuer les effets du changement climatique sur la santé des populations africaines.
Malheureusement, le récent Sommet africain sur le climat a représenté une occasion manquée de réitérer cet appel à l’action. En effet, la déclaration de Nairobi qui en a découlé ne mentionne pas la nécessité d’approches intégrées et holistiques pour faire face à la double crise du réchauffement climatique et des urgences sanitaires sur le continent. Si la déclaration exhorte à d’autres changements importants, tels que la nécessité d’engager des réformes financières mondiales et de restructurer la dette pour permettre aux pays africains d’investir dans l’action climatique, nous devons également veiller à ce que la santé soit mieux intégrée dans le programme climatique de l’Afrique à l’avenir.
La prochaine Conférence internationale sur la santé publique en Afrique (CPHIA 2023) qui se tiendra à Lusaka, en Zambie, offre une occasion importante de faire progresser les discussions et les actions mondiales et régionales sur la double question de la santé et du climat. La CPHIA 2023 réunira les chercheurs, les décideurs et les parties prenantes du continent en vue de renforcer la collaboration scientifique et l’innovation à travers l’Afrique et, à cette occasion, l’accent sera mis plus particulièrement sur le renforcement de la résilience face aux menaces climatiques et le renforcement de la collaboration multisectorielle pour faire face aux défis liés au dérèglement climatique et à la santé de manière holistique.
Préserver la santé de l’Afrique face au réchauffement climatique n’est pas seulement une responsabilité, c’est un impératif. Les maladies émergentes et ré-émergentes et les menaces sanitaires auxquelles nous sommes confronté·e·s sont de plus en plus étroitement liées aux effets du changement climatique. Les pays africains doivent se montrer à la hauteur des enjeux. Pour ce faire, ils doivent allouer les ressources nécessaires et adopter une approche intersectorielle pour lutter contre le changement climatique tout en mettant en place des systèmes de santé résilients. Ainsi, nous serons en mesure de protéger la santé de notre population et de notre environnement, et d’assurer à l’Afrique un avenir plus sain et plus radieux. Le temps de l’action, de la collaboration et de l’engagement sans faille est venu.
(*) Auteurs: le Prof. Roma Chilengi, co-organisteur de la CPHIA 2023 ; directeur général de l’Institut national de santé publique de Zambie et conseiller présidentiel en santé, et le Dr Githinji Gitahi, directeur général, AmrefHealthAfrica
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