Il y a 49 ans disparaissait Ahmed Tlili, le compagnon qui a dit non à Bourguiba

Il y a 49 ans disparaissait Ahmed Tlili, le compagnon qui a dit non à Bourguiba

 

Il y a 49 ans, le 24 juin 1967 disparaissait Ahmed Tlili. Agé de 50 ans, il était à la fois militant destourien, leader syndicaliste et combattant infatigable de la liberté. Trésorier et membre du bureau politique du Néo Destour, il était à ce titre le compagnon de Bourguiba. Pourtant il était parmi les premiers à avoir marqué son opposition au pouvoir personnel du « Combattant suprême » dans une longue lettre restée célèbre qu’il lui a envoyée à la veille du 10ème anniversaire de l’indépendance en 1966. Né le 16 octobre 1916 à El-Ksar, dans le centre minier de Gafsa, c’est là qu’il entame ses études primaires avant de monter à Tunis pour poursuivre ses études secondaires au Collège Sadiki. Après avoir intégré les services de la Poste, il retourne à Gafsa, en 1944 où il défend les ouvriers des mines. En cette qualité, il participe aux côtés de Farhat Hached à la constitution de l'Union des syndicats libres du Sud. Il joue un grand rôle dans la fondation de l’UGTT, l’Union générale tunisienne du travail. Au Congrès constitutif de janvier 1946, il est élu membre de sa commission administrative de la centrale ouvrière.

Militant du Néo Destour, il est considéré comme l’un des principaux instigateurs de la lutte armée pour l’indépendance dans son fief de Gafsa et du bassin minier. Cela lui vaut d’être emprisonné à plusieurs reprises par les autorités coloniales. Il est connu aussi pour son soutien effectif du FLN Front de libération nationale en Algérie. Il a d’ailleurs participé à la lutte à ses côtés. Après l'indépendance, il devient trésorier et membre du Bureau politique du Néo Destour de 1954 à 1963. Il est en même temps Secrétaire général de l'UGTT de 1956 à 1963. Dans cette fonction, il réussit à accéder aux instances de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), en jouant un rôle déterminant dans la création de l'Organisation régionale africaine de la CISL (ORAF). Il est également à l'origine de la création de plusieurs sociétés coopératives qui permettent à l'UGTT de disposer de moyens financiers propres pour consolider son autonomie et renforcer son rôle dans la société tunisienne. Membre de l’assemblée nationale constituante en 1956, il est réélu député à l’Assemblée nationale en 1959 et 1964 représentant le gouvernorat de Gafsa qui englobe alors Sidi Bouzid.

Compagnon de Bourguiba, il est aussi l’un des premiers responsables de la Tunisie indépendante à avoir osé dire non au Combattant suprême en critiquant d’une façon vigoureuse son pouvoir personnel. Il se distingue également par ses prises de position courageuses en faveur de la démocratisation du régime et du respect des droits de l’homme. En juillet 1956, il quitte discrètement la Tunisie pour la Suisse où il fait des déclarations hostiles au régime tunisien. Le 18 novembre 1966, l’Assemblée nationale lui retire son mandat de député le contraignant à l’exil en Europe. Rentré à Tunis le 25 mars 1967, son état de santé se dégrade rapidement. Transféré à Paris, c’est là qu’il décède le 25 juin 1967. Il est ensuite rapatrié et inhumé au carré des dirigeants historiques de la Tunisie indépendante au cimetière du Jellaz à Tunis. Sa longue lettre datée du 25 janvier 1966 à Bourguiba est restée célèbre. Il y fait un diagnostic sans concession des méthodes de gouvernement du premier président de la république tunisienne qu’il critique d’une façon acerbe. Cette lettre commence ainsi : « Au seuil de la dixième année d’indépendance et au moment, où le peuple tunisien traverse l’une des phases les plus critiques de son histoire, mon devoir me commande d’insister encore une fois auprès de vous pour demander de repenser, sans passion, la politique ou, plus exactement, les méthodes de gouvernement qui ont conduit la Tunisie a une situation si grave aujourd’hui qu’elle risque de devenir, dans un proche avenir sans issue. » Bourguiba ignore la lettre et ne fait rien pour changer ses méthodes de gouvernement.

La mort d’Ahmed Tlili à 50 ans à peine fait oublier vite cette séquence de l’histoire contemporaine de la Tunisie. En 1968, le Chef de l’Etat tunisien donne le nom d’Ahmed Tlili à la caserne de Gafsa n’oubliant pas de rappeler ses qualités. A cette occasion Bourguiba dira : « je considère qu’Ahmed Tlili est un homme sur lequel nous pouvons compter, il représente une fierté non seulement pour Gafsa mais pour toute la Tunisie. En reconnaissance à cet homme qui a tout donné, je considère qu’il est ainsi de mon devoir d’inscrire son nom dans la mémoire nationale à travers cette commémoration, parce qu’il s’agit d’un exemple à suivre par nos jeunes soldats: Un exemple de courage de stoïcisme et de patriotisme ». En 1969, c’est l’échec de la politique de collectivisation menée par le prédécesseur de Tili à l’UGTT, Ahmed Ben Salah. L’éclaircie de 1970-71 est vite assombrie par la présidence à vie en 1975. S’enchainent ensuite les affrontements sanglants de 1978 et 1984 qui s’achèvent par la déposition du Père de l’indépendance en 1987. Et si Ahmed Tlili avait été entendu, l’histoire de la Tunisie aurait certainement pris une autre tournure.

Raouf Ben Rejeb

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